Martina Chyba: «J'ai testé pour vous... le jeûne intermittent»
«Toi, tu aurais besoin d’un coup de jeune!» Un pote un peu mufle ose me suggérer un lifting ou des injections de Botox. Naturellement, je me prépare à répondre un truc grossier du style «T’as vu ta gueule?». Mais il enchaîne tout de suite sur le mot «intermittent». En fait, il parle de jeûne avec accent circonflexe, donc le concept de «privation volontaire de nourriture». Aha. Il est vrai que sur les réseaux sociaux, depuis quelque temps, c’est la folie du jeûne intermittent. Il y a ceux qui font la version 16 heures/8 heures, ceux qui font 20 heures/4 heures, ne mangent pas à midi, ou jeûnent un jour par semaine. Tout ce petit monde a l’air de dire qu’on se sent beaucoup mieux après.
En ce qui me concerne, j’ai deux soucis. Non, j’en ai plein, et disons que pour mon oreille interne et mon compte en banque, le jeûne ne va pas être efficace (les quelques économies de nourriture n’y suffiront pas). En revanche, j’ai un secret espoir que cela aide pour le sommeil, les douleurs articulaires, et surtout le… hem… ventre. Vous savez, ce truc qui pousse devant vous, après la ménopause, même quand vous ne mangez que des salades et que vous faites des abdos et des marathons? Alors ça, si cela pouvait disparaître ou tout au moins s’aplatir un peu, ce serait quand même la victoire du siècle. Oui, je sais, c’est une PPP, une Préoccupation de Personne Privilégiée. Il y en a qui ont de vrais problèmes, je sais. Mais bon, ça se tente.
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J’opte pour la version la plus courante: 16 heures sans manger et 8 heures normales. Il n’y a pas le choix, il faut sauter soit le petit-déjeuner, soit le repas du soir. Comme je me réveille tout le temps la nuit, et définitivement vers 5h30, ça risque d’être long avant midi, donc je vais plutôt essayer de ne pas me nourrir le soir. Ne dit-on pas «qui dort dîne»? Moi, j’aimerais transformer ce dicton en «qui ne dîne pas dort». C’est parti. Dernier repas à 16h, un goûter yaourt/fruit/carré de choc à 90%. On va pas se raconter d’histoires, trois heures après, j’ai faim. La soirée risque d’être loooongue. Tu m’étonnes que tu peux perdre du poids, tu n’as pas le droit de mettre quoi que ce soit dans ton corps à part du liquide sans calories (même pas du miel dans la tisane ou une petite carotte dans le bouillon), ce qui signifie aussi pas de grignotage devant la télé, même pas une noisette, un autre carré de choc, un biscuit. Mon médicament contre l’hypertension et mon magnésium, je peux? Ça va, c’est pas trop calorique?
L'enfer, c'est les autres
La nuit se passe comme d’habitude, c’est-à-dire, vers 2h du matin, WC et, vers 4h, verre d’eau. À ce moment-là, ça gargouille dans l’estomac, je prendrais bien du pain avec du gruyère, mais non, je me recouche. Étonnamment, au réveil, je ne suis pas en PLS (position latérale de sécurité pour les non-initiés) et le petit-déjeuner de 8h est divin, le fameux pain et le fameux fromage avec un thé plein de miel, what else? Les jours suivants, je m’accroche, même s’il y a des heures où j’ai envie de finir les croquettes du chat. Et je tiens bon. Mais j’identifie rapidement le vrai problème du jeûne intermittent en mode 16/8. C’est les autres.
Oui, je vous laisse expliquer aux personnes qui vivent avec vous, par exemple un fils jeune adulte et un amoureux français qui mange entrée, plat, grosse viande et vin rouge tous les soirs, que non, je n’ai pas fait les courses, je ne cuisine pas et je ne mange pas. Alors, ils sont très cool et se font leur tambouille, mais disons que la vie sociale est moyennement conviviale. Et regarder les autres manger sans manger, c’est une sorte de torture, un test de résistance nerveuse. Sans parler d’une quelconque sortie chez des amis: «Bonsoir, ça a l’air délicieux, mais en fait, non merci, juste un verre d’eau. »
Voilà, j’ai fait un mois, je suis censée en faire trois. Est-ce que je dors mieux? Non. Est-ce que j’ai moins mal aux articulations? Peut-être un peu, oui. Est-ce que j’ai perdu du ventre? Quelques grammes, mais il y a encore du boulot. Est-ce que je peux m’inscrire à Koh-Lanta? J’y travaille. Et je continue. Mais vous savez quoi, je switche! Dès demain, je saute le petit-déjeuner et, le soir, je mets des carottes dans mon bouillon. La fête!
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C'est un stress pour le corps, mais plutôt un stress positif”
«Le principe du jeûne existe depuis longtemps, mais ces dernières années, on y a ajouté le mot «intermittent», sourit le Dr Tinh-Hai Collet, spécialiste en médecine interne, endocrinologie, diabétologie et nutrition clinique aux HUG. Il est évident que cette mode est en lien avec la volonté des gens de perdre un peu de poids. Contrairement aux autres régimes, on ne se concentre pas sur ce que l’on mange, mais sur le moment où on mange.» Alors posons la question frontalement: le jeûne intermittent fait-il maigrir? «Oui, on peut perdre en moyenne quatre à six kilos, parfois plus, parfois moins, suivant la manière dont notre métabolisme répond. Il est généralement proposé des cures de trois à six mois. La difficulté, c’est d’en sortir sans reprendre le poids perdu. Nous suggérons donc des réadaptations progressives du rythme alimentaire.»
Une bonne idée?
Dans l’absolu, le jeûne est-il une bonne idée pour les personnes de plus de 50 ans? «Il n’est pas simple de répondre, explique le médecin, car la plupart des études scientifiques sont effectuées avec des sujets plus jeunes. Personnellement, j’envoie les seniors chez leur médecin pour un mini-check-up. Il vaut mieux qu’il n’y ait pas de maladies chroniques ou de traitements qui pourraient interférer avec le jeûne. Les deux risques importants pour cette catégorie d’âge sont la perte de densité osseuse, surtout pour les femmes après la ménopause, et la perte de masse musculaire. Il faut donc faire attention à ne pas trop maigrir, manger des protéines et faire de l’exercice.» Y a-t-il une méthode plus efficace qu’une autre? Faut-il jeûner seize heures, vingt heures? Un ou deux jours par semaine? «Nous proposons le plus souvent le jeûne intermittent 16 heures/8 heures, précise le Dr Collet. Vous mangez pendant huit heures et jeûnez pendant seize heures. Soit vous sautez le repas du soir, soit le petit-déjeuner. Comme les personnes plus âgées se lèvent assez tôt, elles ont plutôt faim le matin, et pour elles c’est probablement plus efficace de ne pas se nourrir le soir. En revanche, il faut bien s’hydrater toute la journée et surtout pendant l’été! C’est important pour éviter les maux de tête et les malaises. Mais avec des boissons sans calories: eau, tisane ou bouillon léger.»
Certaines personnes affirment que cela améliore le sommeil, les problèmes articulaires. Faut-il croire ce qu'on lit sur internet? «Il y aura un effet métabolique, cela peut faire baisser la pression artérielle, certains rhumatologues ont constaté des améliorations chez leurs patients; en revanche, encore rien de solide concernant le sommeil.» Et y a-t-il des risques? «C’est un stress pour le corps, mais plutôt un stress positif, qui va le pousser à puiser dans les réserves. Il y a peu d’effets secondaires; certains patients rapportent être tendus au début. Mais j’ai envie de vous dire que pour un jeûne intermittent de type 16 heures/8 heures bien conduit, la plus grande difficulté est sociale. Ne pas s’alimenter le soir est difficile… surtout pour s’accorder avec l’entourage!» admet le médecin. «Moi, pour qu’il n’y ait pas trop de frustrations, je conseille à mes patients de prendre un jour joker par semaine, pendant lequel ils peuvent manger leurs trois repas tranquillement. Et le conseil essentiel à retenir pour les seniors: ne tentez pas de jeûne intermittent tout seul, faites-vous accompagner.»