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Droit & Argent

Avec l'inflation, bien manger sera-t-il réservé aux riches?

Véronique Châtel, Journaliste - mer. 01/11/2023 - 15:15
L’augmentation du coût de la vie en Suisse a des répercussions sur le budget alimentation des ménages, notamment chez ceux dont les fins de mois sont déjà tendues. Comment faire face sans renoncer à se nourrir correctement?
Pates plat du pauvre inflation pouvoir d'achat
Les collectes alimentaires font le plein de pâtes et de riz. Mais l’être humain a besoin d’autres aliments pour bien se nourrir. © iStock

Les annonces d’augmentation du coût de la vie tombent tous azimuts. Et imposent cette réalité: il devient de plus en plus cher de se loger, de se chauffer, de prendre une douche, de se déplacer en voiture ou en transports communs, de disposer d’un forfait pour son smartphone et, maintenant aussi, d’accéder à des soins. Le renchérissement des primes d’assurance maladie, qui atteindra 8,7% au niveau national en 2024, mais sera encore plus conséquent dans les cantons de Vaud (+9,9%), Neuchâtel (+9,8%), Fribourg (+9,6%), Jura et Genève (+9,1%), a eu l’effet d’un coup de massue pour beaucoup de personnes. 

Avec un volume de charges fixes qui prend de l’ampleur, bon nombre de ceux qui se sentaient à l’abri des restrictions, parce que salariés ou bénéficiaires de rentes honorables, se mettent à compter. A réfléchir à leur budget: où renoncer à des dépenses? Où les limer? Pas facile de savoir de quel côté se restreindre quand on ne vit pas dans l’opulence. Et révoltant d’avoir à le faire quand on sait qu’en Suisse, le taux de chômage est bas: 1,9% contre 5,7% en Allemagne et 7,2% en France. Car cela signifie qu’exercer un travail rémunéré n’offre plus la garantie d’assurer sa subsistance. «On reçoit de plus en plus de couples avec des enfants où les deux adultes travaillent, mais dont les deux salaires ne suffisent pas à absorber les aléas de la vie. Il suffit d’une chaudière à remplacer pour que l’équilibre financier de la famille vacille», observe Sylvie Naudy, présidente du Secours d’hiver Comité genevois.

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Les rémunérations ne sont plus adaptées au coût de la vie. 305'000 personnes appartenant à un ménage de travailleurs pauvres (working poor) en font actuellement le constat. «Selon une étude réalisée par Caritas et la Haute Ecole sociale de Berne, il suffirait d’augmenter de 500 francs le seuil de pauvreté pour que le nombre de personnes pauvres double», s’inquiète Stefan Gribi, responsable de la communication politique à Caritas Suisse. Du côté des retraités, le bilan n’est pas moins anxiogène : selon l’Observatoire national de la vieillesse de Pro Senectute, environ 300 000 personnes de plus de 65 ans sont pauvres ou menacées de le devenir.

Faire des économies... mais comment ?

Selon Stefan Gribi, les solutions politiques et sociales pour remédier à ce déclassement social ne manqueraient pas. Et de les énumérer avec conviction: réduction individuelle des primes des caisses maladie plus élevées, prestations complémentaires pour les familles, telles qu’elles existent déjà dans les cantons de Vaud, Genève, Soleure et du Tessin, promotion de logements bon marché, revalorisation des salaires, mise en place d’un salaire minimum au niveau national. « Plus on accepte des conditions de travail précaires, plus on récolte des travailleurs pauvres», relève-t-il. Certes.  

Mais en attendant de futures votations en faveur de ce joli programme, comment parvient-on à joindre les deux bouts? En choisissant de moins dépenser pour se nourrir. C’est l’option prise par de plus en plus de Suisses. Le pain a augmenté de 6,3%, entre septembre 2022 et septembre 2023, (sources: OFS)? Tant pis pour le pain à farine spéciale et bonjour le pain de moindre qualité avec une farine blanche. Les fruits ont pris 4,1% et les légumes 3,4%? Vive les pâtes et le riz. Au risque de prendre du poids. Mais, par quoi remplacer le lait, le fromage et les œufs qui sont 5,2% plus chers qu’il y a un an? Par de la viande qui n’a augmenté que de 0,3 %? C’est une blague bien sûr! La Suisse est l’un des pays du monde où la viande est le plus cher: 141% de plus que la moyenne mondiale, 97% de plus que dans l’Union européenne. Cela fait belle lurette que les ménages aux fins de mois difficiles ne consomment de la viande qu’exceptionnellement.

Ne pas manger ce que l’on aime, c’est acceptable pendant une période déterminée”

Anne-Laure Counilh, chercheuse et enseignante en sciences sociales.
Anne-Laure Counilh
Chercheuse et enseignante en sciences sociales

Des privations alimentaires qui coûtent cher à sa santé

Toutes ces restrictions alimentaires finissent par avoir des conséquences sur la santé. C’est ce qu’a pu constater la chercheuse et enseignante en sciences sociales, à Sierre, Anne-Laure Counhil, co-autrice d’une passionnante étude anthropologique intitulée De l’aide alimentaire au droit alimentaire (Centre de recherches sociales, Genève 2023). «Au cours de mon enquête, j’ai rencontré beaucoup de personnes âgées qui se privaient de viande, et qui, ne sachant pas par quoi la remplacer, souffraient d’une carence en protéines; j’en ai rencontré d’autres qui souffraient de carences en fer, ignorant quels aliments riches en fer pourraient remplacer la viande rouge», ajoute Anne-Laure Counhil. 

L’impact d’une alimentation restrictive concerne aussi la santé psychique. Combien de fois la chercheuse a-t-elle entendu que le souper se résumait pour des personnes âgées à «un yaourt et au lit». D’ailleurs, comment avoir envie d’inviter des amis à venir manger chez soi, quand on sait qu’on ne pourra pas leur servir une nourriture festive? La chercheuse a remarqué que de nombreux retraités fréquentaient les restaurants sociaux. Moyennant 5 fr. ou 10 fr., ils ont l’assurance de manger une fois par jour un repas complet et équilibré dans une ambiance conviviale, surtout s’ils y retrouvent des amis. Mais encore faut-il avoir la chance de vivre à proximité de ce type de restaurant.

Le droit de choisir son alimentation

Le canton de Genève vient d’inscrire dans sa Constitution le droit à l’alimentation, un sacré progrès. Encore que s’alimenter ne soit pas une action satisfaisante dans un pays riche doté d’une population éduquée. Bien s’alimenter serait plus adéquat. Comprendre: manger en respectant des règles de diététiques. Ou manger dans le respect de sa culture alimentaire. Car notre manière de nous alimenter nous est propre. Cela explique pourquoi, d’ailleurs, les bénéficiaires de colis alimentaires ne sont pas toujours satisfaits de ce qu’ils y trouvent. Au grand dam de certains bénévoles qui les distribuent et ne comprennent pas qu’on puisse ne pas s’en satisfaire. «L’aide alimentaire organisée par des associations caritatives est surtout constituée d’invendus des supermarchés», rappelle Anne-Laure Counhil. Si les bénévoles s’efforcent de constituer des paniers équilibrés, contenant des produits frais et des fruits, ils sont dépendants des rythmes de production de l’industrie agro-alimentaire et des actions marketing de la grande distribution. Autant de facteurs qui ne permettent pas aux bénéficiaires d’aide alimentaire de choisir les aliments qu’ils aimeraient consommer. «Ne pas manger ce que l’on aime, c’est acceptable pendant une période déterminée», poursuit la chercheuse. «Mais lorsque cela se prolonge et qu’on se retrouve obligé d’accepter ce qu’on nous donne cela devient pesant. C’est comme si on niait son identité.» Or, beaucoup de ceux qui recourent à l’aide alimentaire le font dans la durée, le contexte économique favorisant la précarité.

Alors, cela n’est pas par hasard si les épiceries solidaires ont le vent en poupe. Contre la présentation d’une carte d’achat, les clients peuvent non seulement acheter des aliments à prix cassés aux horaires qui leur conviennent, (ce qui n’est pas le cas pour la distribution des colis), mais aussi les choisir en fonction de leur goût. Un conseil: lors des prochaines collectes alimentaires, souvenez-vous de ne pas acheter seulement des produits de première nécessité (du riz, des pâtes, de l’huile, du sucre…), mais aussi des produits frais, riches en protéines, en fibres, bref, en qualité nutritionnelle.

En pratique: comment bénéficier des aides alimentaires?

Trouver un dispositif d’aide alimentaire relève souvent de la gageure. Il en existe 850 en Suisse qui sont gérées par des associations ou des fondations privées. Colis du cœur, Fondation Partage ou Table suisse sont les plus connus en Suisse romande. Ils sont alimentés par l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution qui font dons de leurs invendus ou les vendent à prix réduits. Les associations les achètent grâce à des subventions émanant en partie de la Confédération. 

Pour y accéder, il convient de remplir certains critères définis par l’association à laquelle on s’adresse. Par exemple, pour bénéficier de l’aide alimentaire des Colis du Cœur, pour une durée maximale de 26 semaines reconductible, il faut s’adresser à un service social agréé du canton de Genève, lequel vérifie que les conditions d’octroi fixés par les Colis du Cœur soient respectés, à savoir habiter dans le canton, disposer de revenus en dessous du minimum vital ou se trouver en situation d’urgence. 

Pour faire ses courses aux Epiceries Caritas, il faut remplir au moins l’un des critères suivants: bénéficier de l’aide sociale; recevoir des prestations complémentaires de l’AVS/AI; bénéficier de subsides à son assurance maladie (uniquement dans certaines régions); prouver que son revenu se situe au niveau du minimum vital; posséder une CarteCulture (qui peut s’obtenir en ligne); avoir le statut de réfugié ou être demandeur d’asile; se trouver dans le cadre d’une procédure d’asile avec permis N, F ou S et «sans papier». La première démarche est de se faire connaître par le service social de sa commune.

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