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Opinion

Le déclassement social est silencieux

Véronique Châtel, Journaliste - mer. 01/11/2023 - 15:00
L'éditorial du magazine générations de novembre 2023.
Consommation de biens limitée à cause de l'inflation restrictions
Le panier de consommation de base rapetisse en même temps que les prix augmentent. © iStock

C’est un constat dur à avaler. La Suisse a beau faire partie des pays les plus riches de la planète, l’inflation des charges fixes (logement, mobilité, santé, énergie…) amène de plus en plus de personnes à restreindre leur budget « nourriture ». D’autant plus que l’augmentation du prix des denrées élémentaires a bondi en un an*:  +6,3% pour le pain, +5,2% pour le fromage et les œufs, +4,1% pour les fruits, +3,4% les légumes… Résultat: la précarité alimentaire se développe. 

L’accès à une nourriture quantitativement et qualitativement suffisante, correspondant à ses traditions culturelles, selon la définition du Droit à l’alimentation adoptée par l’ONU, n’est pas garanti. Travailler ou être bénéficiaire d’une rente AVS/AI ne permet plus forcément de se nourrir à sa guise. D’acheter ses aliments préférés, issus éventuellement de filières respectueuses de l’environnement, de cuisiner ses recettes favorites, celles qui étoffent les liens intergénérationnels et qui transmettent des valeurs familiales.

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Va-t-il falloir attendre que la fondue soit reconnue plat national en péril... pour que la Confédération, à l’instar du canton de Genève en juin dernier, inscrive le droit à l’alimentation dans la Constitution?”

Véronique Châtel

Pour l’instant, cela inquiète peu, car cela passe presque inaperçu. Les Suisses qui mangent plus souvent des pâtes que des légumes, et plus jamais de viande, non par choix environnemental, mais uniquement pour des raisons économiques, fréquentent toujours les magasins et ne viennent pas (encore) grossir les rangs de ceux qui vivent de l’aide alimentaire. Le déclassement social est silencieux. Et quand il génère de l’aigreur, les personnes concernées préfèrent s’en prendre à plus pauvres qu’elles que se rebeller contre les bas salaires. Nombre de métiers célébrés durant la pandémie du Covid-19 n’ont toujours pas été revalorisés… Par ailleurs, en Suisse, le déclassement social est ressenti comme honteux. Quelle idée d’avoir choisi un métier vital pour la société, mais si peu lucratif, regrettent les travailleurs pauvres! 

Et si la difficulté à finir le mois était le signe d’une incapacité à bien gérer son budget? se reprochent les familles comptant pourtant deux salaires. Résultat, ceux qui se serrent la ceinture ne desserrent pas les dents. Ils subissent la disette sans broncher ni se faire reconnaître par les services sociaux de leur commune. Le non-recours aux aides et autres prestations complémentaires concernent plus de 15 % des plus 65 ans qui y auraient droit, pour ne citer que cette classe d’âge.

Va-t-il falloir attendre que la fondue soit reconnue «plat national en péril» — vu l’augmentation du prix du fromage et de celui du pain, cela pourrait bien arriver! — pour que la Confédération, à l’instar du canton de Genève en juin dernier, inscrive le droit à l’alimentation dans la Constitution? Pas sûr, en tout cas, que tous les Confédérés que nous sommes se retrouvent unis avec la même ferveur autour d’un plat de nouilles.

* Source: Office fédéral de la statistique (OFS) 2023

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