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Culture

Yann Marguet: «Avoir le papa le plus vieux de tous mes copains m'angoissait»

Christophe Pinol, Journaliste - ven. 01/03/2024 - 11:13
Depuis l’an passé, l’humoriste romand Yann Marguet cumule deux casquettes (des bonnets, plutôt ?) de chroniqueur à Paris : à la radio, sur France Inter, ainsi que sur le petit écran, à TMC. On fait le point sur le secret de son succès.
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Révélé par Les Orties sur Couleur 3, l'humoriste Yann Marguet cartonne en France aussi. © Valentin Flauraud / vflpix.com

C’est le nouveau chouchou des Français, et il est bien de chez nous. Caché derrière un look de hipster – barbe bien taillée et gros bonnet informe –, né il y a 39 ans à Sainte-Croix, « petit bled » (c’est lui qui le dit) du Nord vaudois, Yann Marguet dézingue tous azimuts dans deux chroniques hebdomadaires hyper médiatisées. L’une à la radio, dans l’émission Zoom Zoom Zen, sur France Inter. L’autre à la télé, à Quotidien, aux côtés de Yann Barthès, sur TMC.

Qu’il s’agisse de la colère des agriculteurs, des cartes Pokémon ou de l’infertilité, les vannes fusent. Mais pas que. Il en profite pour glisser un message ici et là, voire pour se livrer : sur ses déboires avec la SNCF durant ses allers-retours Lausanne-Paris ou sur sa peur du soulèvement des machines avec ChatGPT. Le tout avec un verbe bien trempé, un sens de l’observation diablement affûté et un humour décapant. Ce qui ne surprendra guère ses fans de la première heure, à l’époque de ses chroniques pour Couleur 3 avec Les Orties.

À côté de ça, il a aussi repris à Paris son spectacle créé à Lausanne, Exister, définition (jusqu’au 30 mars, au Lucernaire), et enchaînera ensuite avec une tournée en province. On a rendez-vous dans son fief, un café près du Flon, à Lausanne. Là où il se sent suffisamment bien pour se confier sur son succès en France, les morceaux de Suisse qu’il entend y apporter, ses doutes, sa famille…

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Vous avez repris votre spectacle à Paris. Comment jonglez-vous entre vos chroniques et celui-ci?
Grâce à une bonne organisation. Lundi, je lis la presse pour préparer mes chroniques. Mardi, j’écris celle de Quotidien, mercredi celle de France Inter. Jeudi, je prends le train pour enregistrer mes deux chroniques. Vendredi et samedi soir, j'ai mon spectacle. Je rentre dimanche… Et on se remet déjà à réfléchir aux prochaines chroniques.

Comment ça, «on»?
Je bosse avec ma copine, Audrey. On lit et on trouve les sujets ensemble, du moins pour Quotidien, vu que le thème pour France Inter est imposé. Elle m’apporte des angles intéressants, une certaine originalité, on repasse ensemble le texte au peigne fin… Elle a aussi un bon flair pour trouver des sujets avant que tout le monde s’en empare.

Passer quatre jours sur sept à Paris, ça ne vous donne pas envie de vous y installer?
Non. Je suis pour l’instant mieux en Suisse. Sans détester Paris, j’avoue que ce n’est pas MA ville. À New York, vous pouvez flâner, marcher des heures en discutant avec quelqu’un. À Paris, c’est plus étriqué. On passe les uns derrière les autres pour éviter la foule, on descend du trottoir, on remonte, on tombe sur ces bites chargées d’éviter que les gens ne se garent en voiture… Bref, je suis content de rentrer chez moi.

On vous dit hyper perfectionniste dans votre travail. Comment ça se traduit?
C’est simple: France Inter m’avait proposé une quotidienne avec ma chronique, mais avec le travail que ça me demande, ce n’est juste pas possible, j’ai besoin de peser chaque mot, chaque virgule… J’écris tout simplement plus lentement que d’autres. Le problème, c’est que le temps que j’y passe fait diminuer le tarif horaire; 200 euros, c’est bien quand on écrit en un après-midi, moins quand on a besoin de plus d’un jour. Et Quotidien, ça paie juste un peu mieux. Heureusement, le spectacle rétablit un peu la balance.

J’aimais bien me marrer et faire rire les autres, avec des imitations ou des réparties avec le prof”

Yann Marguet

C’est aussi un exercice plus dangereux. L’an passé, vous vous étiez démis l’épaule au cours d’une représentation…
C’est vrai. À cause d’un geste un peu brusque. Mais c’est fou : on pourrait crever sur scène que les gens penseraient que c’est une vanne. Là, ils étaient morts de rire pendant que je souffrais. J’aurais fait un AVC, ça aurait été pareil. J’avais demandé si un kiné était dans la salle… Et tout le monde pouffait. Alors j’insiste: «Non, sérieusement…» Et ça continue à se gondoler. Après trois minutes, un sapeur-pompier est finalement venu m’aider, je me suis un peu secoué et la tête de l’humérus est rentrée dans sa cavité. Ça m’était déjà arrivé, mais jamais sur scène.

À l’école, vous étiez déjà le rigolo de la classe?
Oui, on peut dire ça… (Il sourit.) Mais sans être un fauteur de troubles pour autant. J’aimais bien me marrer et faire rire les autres, avec des imitations ou des réparties avec le prof. Mais toujours sur un mode bon enfant. On comprenait que c’était pour rire et pas pour foutre la merde.

Vous revenez de loin. Vous vous étiez d’abord orienté du côté du droit et de la criminologie…
Surtout, je viens de Sainte-Croix ! Ça me revient parfois comme un flash, comme l’autre jour à Quimper, où je me suis retrouvé face à une salle pleine à craquer ! Et ça m’émeut parce que je suis vraiment passé à ça de ne pas avoir pris cette direction. Je revois alors tout le chemin parcouru, où je me suis laissé porter presque tout du long, au gré des concours de circonstances, en suivant les potes… Une espèce de rivière bien tranquille, à peine troublée une fois, quand on m’a offert l’opportunité de bosser à Couleur 3 et de lâcher des études que je commençais en pédagogie. Je me rappelle avoir appelé mon conseiller ORP pour lui demander ce qu’il en pensait. « Prenez le risque ! » m’avait-il dit. J’avais déjà 32 ans ! Et là, aujourd’hui, c’est comme si tout prenait finalement du sens. Si ça n’avait pas tourné comme ça, je serais peut-être un mec un peu aigri et je pense qu’il m’aurait manqué quelque chose.

Il y a quelques années, quand on vous demandait quels étaient vos rêves, vous citiez une carrière en France. Alors, heureux?
Plus qu’un rêve, c’était avant tout une suite logique. Le rêve, il est plus de me rapprocher d’une famille humoristique qui m’a fasciné quand j’étais petit: Les Nuls, Les Robins des Bois, Kaamelott… Avec eux, j’en redemandais jusqu’à me faire péter le bide.

Des familles qui ont fini par passer au cinéma… Ça vous fait envie?
Oui. Mais pas à n’importe quel prix. Il faut que ça reste cohérent. Je ne veux pas faire Camping 4 simplement parce qu’on me le propose. J’ai besoin d’une intégrité artistique à défendre.

Vous tiriez parfois à boulets rouges sur Yann Barthès, du temps des Orties, avant qu’il vous demande de rejoindre son équipe. Vous avez mis de l’eau dans votre vin?
Je le vannais pas mal, oui. Et ça ne l’a pas empêché de me contacter sur Instagram. Au début, j’étais fan du Petit Journal. Mais dès qu’il traitait de la Suisse, il avait un ton un peu ricaneur qui ne me plaisait pas. Il se disait helvétophile, mais à chaque fois qu’il parlait du pays, c’était cliché sur cliché, en nous faisant parfois passer pour des bouseux. En m’écrivant, il m’avait dit: «Je sais que vous ne m’aimez pas, mais je trouve ça bien, Les Orties.» Alors, est-ce que j’ai retourné ma veste, je ne sais pas, mais en me contactant, il a au moins prouvé qu’il s’intéressait vraiment à la Suisse, pas seulement pour la tirer vers le bas.

Où vous situez-vous par rapport aux autres humoristes suisses exilés à Paris?
Je crois qu’on a tous nos spécificités, entre Alexandre Kominek, Thomas Wiesel, Marina Rollman et moi. Après, je n’ai jamais été nationaliste, mais je regrette juste que la France nous connaisse si mal. Contrairement à mes collègues, qui n’ont pas un accent très prononcé ou un discours spécifiquement suisse, j’aimerais bien réussir à amener un peu de chez nous en France, ne serait-ce que pour qu’ils arrêtent de nous imiter comme des merdes. Prenez la Belgique : Benoît Poelvoorde et François Damiens ont pu exporter un style et un accent typiquement belges pour amener une certaine vision de leur pays. C’est ce type d’éclairage que j’aimerais apporter sur la Suisse.

À Quotidien, on vous voit parfois avec votre traditionnel bonnet, parfois sans… Faut-il y voir un signe?
Non, c’est juste un des producteurs qui n’en voulait pas au départ. Il faut dire qu’ils ont un dress code un peu sérieux à l’émission, notamment avec les chemises qu’ils me proposent. Je préfère un look un peu plus extravagant. J’aime bien les vêtements larges, mais on me dit que ça fait gros à l’écran… Au bout d’un moment, je leur ai quand même demandé si je pouvais m’habiller comme je le voulais. Et j’ai débloqué le droit au bonnet !

On a vu pas mal d’humoristes déraper, aller trop loin… Avez-vous peur de l’accident?
On craint tous le bad buzz. Mais il ne faut pas que ça nous empêche de flirter avec les limites. Sinon, on ne fait que des trucs super sympas qui ne grattent personne. À Quotidien, on m’a une fois demandé de couper un truc, une autre fois à France Inter, mais j’ai l’impression d’avoir encore un peu de marge. Aux Orties, j’ai fait des choses que je ne referais pas aujourd’hui, qui sont passées inaperçues je ne sais par quel miracle. J’avais une espèce de fougue… Ma copine me suggère aussi parfois de sucrer un truc ou l’autre. Alors parfois, on s’engueule : « Tu ne comprends rien ! » je lui lance… «Et toi, t’es débile!» elle me rétorque.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance à Sainte-Croix?
Je n’ai pas la nostalgie, c’est sûr. Mon frère y habite encore. Donc j’y retourne quelquefois à Noël. Aussi parce qu’il y a un resto d’alpage de beignets au fromage absolument divins. Mais j’étais plutôt un animal d’intérieur, gamin, très télé et jeux vidéo…

Il ne faut pas que la crainte du "bad buzz" nous empêche de flirter avec les limites”

Yann Marguet

Qu’est-ce que faisaient vos parents ?
Mon père est mort il y a cinq ans, à 92 ans. Il a été directeur financier des usines HPI Olivetti à Sainte-Croix. Syndic aussi. Mais il m’a eu hyper tard, à 57 ans, après deux enfants d’un premier mariage : un frère et une sœur qui ont 30 ans de plus que moi. Ma mère est bretonne et s’est dévouée à mon éducation. Avec mes frères et sœurs, on s’est beaucoup rapprochés au moment du décès de notre père, mais j’ai plutôt grandi comme un fils unique. Petit, j’avais peur qu’il arrive quelque chose à mes parents et que je doive en supporter seul toute la charge émotionnelle.

Ça vous pesait?
Bien sûr. Mes parents m’ont avant tout donné beaucoup d’amour, mais c’est vrai que le fait d’avoir le papa le plus vieux de tous mes copains m’angoissait. Je craignais de le perdre plus vite que les autres, alors qu’il est finalement parti bien plus tard. Il était d’ailleurs encore en pleine forme à 80 ans en m’expliquant mes examens de compta, alors que les pères de certains de mes amis péclotaient. Ça m’a appris qu’avoir un papa vieux, ce n’est pas si péjorant. Je dis ça pour vos lecteurs qui voudraient avoir un enfant à 60 ans ! (Il rit.) 

Cet amour parental, vous n’avez pas envie de le transmettre à votre tour?
Non. Même si on ne peut jamais dire jamais. Après, je n’irais pas jusqu’à dire que mes auditeurs sont mes enfants, mais j’ai l’impression de mettre quand même beaucoup de moi dans mes textes. Et pour l’instant, cet amour, je le transmets de cette façon. Non, ce qui nous préoccupe surtout en ce moment, avec Audrey, c’est la problématique de la population vieillissante : comment intégrer au mieux les personnes âgées à notre société ? Il y a beaucoup de dépression, de gens seuls… J’aimerais bien réussir à parler de ça dans une de mes chroniques.

Qu’est-ce qui vous en empêche?
Il faut trouver le bon moment. Quand on fait un papier hors actu, c’est beaucoup moins vu. Parce qu’il faut avant tout avoir la meilleure vanne sur le truc dont tout le monde parle. Après, reste à trouver le moyen d’amener les choses de manière intelligente. Mais peut-être que je ne crois pas assez en moi, en cette capacité d’avoir une dimension supplémentaire que le simple fait d’amuser les gens…

«Les vieux», comme vous les appeliez dans vos chroniques des Orties, vous les avez pourtant pas mal allumés, à l’époque…
Oui… Mais on allume aussi ceux qu’on aime… (Il sourit.)

Faut-il se mettre à nu en tant qu’humoriste? Parler des choses qui nous touchent, qui nous préoccupent..?
Je trouve, oui. Mais ce n’est pas facile. Dès qu’on sacrifie du rire pour de l’émotion, on perd une partie du public : ceux qui auraient préféré rester dans la rigolade. Il n’y a qu’à voir cette vidéo que j’avais sortie pendant le Covid, très premier degré (NDLR « Merci ma Suisse », touchante lettre d’amour à notre pays au pic de la pandémie), qui avait très bien marché, mais pour laquelle on s’était aussi beaucoup foutu de ma gueule. On s’expose beaucoup plus quand on est sérieux. Il faut juste être bien dans ses bottes.

Où et quant voir ou entendre Yann Marguet

  • Jusqu'au 30 mars en spectacle à Paris, le Lucernaire.
  • Dans Quotidien (3e partie), le vendredi à 20h45, TMC.
  • Dans Zoom Zoom Zen, le jeudi à 16h, France Inter.
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