Les dates limites de consommation sont-elles bonnes à jeter?

En Suisse, chaque habitant jette en moyenne 90 kilos de déchets alimentaires par an. © iStock

Pour limiter le gaspillage, plusieurs supermarchés anglais ont décidé d’enlever la date de péremption de certaines denrées alimentaires. Cette mesure est-elle probante et sera-t-elle aussi introduite en Suisse?

Elles s’affichent fièrement sur les emballages des aliments que l’on achète. Introduites en Suisse par Migros en 1967, les dates limites sont, en effet, omniprésentes dans nos vies de consommateurs. Généralement consultées avec attention, elles représentent un véritable point de repère dans la constellation de nos achats alimentaires. Pourtant, en Angleterre, plusieurs supermarchés ont décidé de s’en passer. Le grand distributeur Waitrose, par exemple, les a enlevées de 500 produits. «Nous estimons que la suppression des dates sur les fruits et légumes frais pourrait sauver l’équivalent de 7 millions de paniers de nourriture de la poubelle», a-t-il expliqué. Quant à Morrisons, autre chaîne de supermarchés anglais, elle les a effacées sur 90% des emballages de son lait de marque distributeur. But avoué de la manœuvre? Limiter le gaspillage alimentaire et, par effet ricochet, lutter contre diverses pénuries. A l’aune des 153,5 millions de tonnes de nourriture qui finissent, chaque année, dans les poubelles rien qu’au sein de l’Union européenne, on se dit que ces mesures sont sensées. 

Ce procédé pourrait-il dès lors inspirer la Suisse qui, avec en moyenne 90 kg de déchets alimentaires par habitant et par an (soit une perte de 2000 francs chaque année pour un ménage de quatre personnes), figure au 10e rang mondial d’un rapport sur le gaspillage alimentaire édité par l’ONU? Peut-on imaginer que les dates limites de consommation finissent progressivement par disparaître? Pour le savoir, il faut se tourner vers l’Ordonnance fédérale concernant l’information sur les denrées alimentaires (OIDAI), qui oblige depuis les années 1980 le datage de la plupart des aliments, exception faite, notamment, des fruits et  légumes frais, du vin et d’autres boissons alcoolisées ainsi que des produits de boulangerie destinés à être consommés dans les 24 heures. De fait, comme les fruits et légumes ne sont généralement pas datés en Suisse, nous avions déjà un coup d’avance sur les supermarchés anglais qui ont pris ces mesures. «Il n’est pas prévu d’aller plus loin et de supprimer cette obligation de date de durabilité minimale», assène d’emblée Doris Schneeberger, collaboratrice scientifique au sein de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV).

Effet inverse

Rebecca Eggenberger, spécialiste alimentation et cosmétiques à la Fédération romande des consommateurs (FRC), s’en réjouit: «Plusieurs études ont montré que la suppression pure et simple des dates de conservation minimale de denrées non réfrigérées, comme par exemple les saucissons secs, les conserves, les pâtes, le riz, les fromages à pâte dure ou le café, ne représente pas une mesure efficace. La date de conservation minimale fournit en effet des renseignements sur le produit et garantit qu’il correspond au prix et à la qualité promise au moment de l’achat. Sans repère, le risque de jeter l’aliment avant même l’échéance de péremption est encore multiplié! De plus, cette information aide les consommateurs à gérer leurs stocks d’aliments en prenant d’abord les plus anciens, ce qui limite, dans un même temps, la migration de résidus de l’emballage vers les aliments.

Toujours est-il que la Confédération, qui s’est engagée auprès de l’ONU à réduire ce gaspillage de moitié d’ici à 2030, doit agir. Comment? Elle a mandaté le groupe de travail, Foodsave 2025, afin de mettre en place une série de guides pour aider les consommateurs et les producteurs à s’y retrouver dans la jungle des datations. A l’heure actuelle, il existe en effet deux systèmes de datation: la date de durabilité minimale (DDM), mentionné par un «à consommer de préférence avant le…», et la date limite de consommation (DLC), signifiée par un «à consommer jusqu’au…». «De telles mesures visant à mieux informer la population sont importantes, car elles rendent le système de datation plus compréhensible, confirme Rebecca Eggenberger. Il peut effectivement y avoir une confusion entre les deux systèmes dans la tête des consommateurs et on peut le comprendre. Par précaution, certains d’entre eux traitent toutes les dates comme des DLC et jettent donc des produits parfaitement consommables. On estime que cette confusion est responsable de 10% du gaspillage alimentaire. Le lait, les yogourts et les jus frais, par exemple, sont des produits sur lesquels il y a un potentiel de réduire le gaspillage alimentaire grâce aux dates.» 

>> Lire notre fiche conseils et astuces contre le gaspillage alimentaire

Nouvelles possibilités

Demeure une question: les grands distributeurs, qui possèdent une marge de manœuvre sur certains produits, jouent-ils le jeu ou font-ils prévaloir leurs intérêts commerciaux pour inciter à la consommation? Ils semblent évoluer avec leur temps et se battre à fond contre le gaspillage. Coop, Migros ou Denner, par exemple, soutiennent les mesures de réduction du gaspillage alimentaire telles que celles proposées par Foodsave 2025. Prenons l’exemple de Migros. «Le double datage («A vendre jusqu’au» et «A consommer jusqu’au» ou «A consommer de préférence avant le») a vu le jour en 1993 et il s’est agi longtemps d’une spécificité des produits en marque propre Migros, détaille Tristan Cerf, son porte-parole. Mais nous avons constaté que cela n’aidait pas les clients à mieux gérer les aliments dans leur réfrigérateur, notamment à cause du fait que c’était une spécificité Migros et que ce système n’avait pas été adopté globalement. Nous avons donc mis fin au double datage dans le courant de 2021, ce qui a favorisé la lutte contre le gaspillage alimentaire, puisque nos produits sont maintenant datés comme les autres produits de marques et concurrents. Il est important que le client ne soit pas confronté à plusieurs systèmes.» Le géant orange a également laissé tomber la congélation de la viande qui approchait la date limite de consommation, que la Confédération avait rendu possible. «Un projet pilote a été mené dans une de nos coopératives régionales, mais n’a pas été concluant, notamment pour des raisons de sécurité alimentaire», commente le communicant, qui rappelle que, aujourd’hui, les mesures les plus efficaces des distributeurs pour lutter contre le gaspillage alimentaire sont la planification des assortiments, la vente à prix réduit, l’information au client et la distribution à des associations caritatives.

Si les distributeurs semblent prendre le problème du gaspillage à bras le corps, les consommateurs, eux, se doivent d’acheter dans les bonnes quantités les aliments qui constitueront leurs menus. Surtout lorsqu’il s’agit des catégories d’aliments les plus gaspillés en Suisse, à savoir les légumes frais (30%), les fruits (20%), le pain et les pâtisseries, des produits qui ne sont généralement pas datés.

Frédéric Rein

Liens utiles

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