Soins à domicile: apprendre à faire confiance
Brigitte adorerait prendre des vacances, mais elle n’y pense même pas. «Impossible de partir et de laisser ma mère de 89 ans aux seules mains des professionnelles du domicile qui passent chez elle pour lui faire sa toilette. Mon plaisir serait abîmé par l’épreuve que je lui ferais vivre.» L’épreuve? «Il n’y a que moi qui sais ce qui est bon pour elle. Par exemple, lui masser les jambes avec une huile parfumée à la fleur de d’oranger.» Pas de projet d’évasion non plus pour Boris. «Il a fallu plusieurs semaines pour que mon père, 92 ans, accepte la présence d’une personne étrangère chez lui pour l’aider à faire ses repas et à entretenir son intérieur. Au début, il refusait même de lui ouvrir la porte, d’autant plus que c’était souvent une personne différente. Je reste donc à proximité et, parfois, je débarque durant une intervention. Cela me permet de vérifier que tout se passe bien.» Ce qui est généralement le cas, reconnaît-il. Même s’il raconte avoir été choqué de découvrir un jour son père en train d’éplucher lui-même des légumes sous l’œil de son assistante de vie. «On la paie pour ça, non?»
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La difficulté à déléguer le soutien de leurs proches à des professionnels est très répandue. Et c’est regrettable. Non seulement cela prive les aidants familiaux de moments de répit, indispensables pour soutenir longtemps leurs parents sans s’essouffler. Mais en plus cela ne permet pas d’établir une alliance entre tous les aidants, proches et professionnels. «Les enfants des personnes aidées sont plus méfiants que leurs conjoints», déplore Daphna, 42 ans, aide à domicile depuis une dizaine d’années. «Quand ils sont là, ils nous surveillent et, souvent, testent notre bonne foi, en vérifiant qu’on ne dérobera pas le billet de 20 francs qui traîne sur la table. Ou alors ils ne nous expliquent pas le fonctionnement d’un appareil électrique et nous laissent tâtonner comme pour nous mettre à l’épreuve, ne réalisant pas que c’est leur parent qui en subit les conséquences. En l’occurrence du temps en moins pour une tâche vraiment utile.»
Les professionnels du domicile sont des acteurs du bien-vieillir”
Aider ne s’improvise pas
Ces attitudes traduisent la méconnaissance des métiers de l’aide et des soins à domicile. Car aider est un métier! Qui s’apprend. Et de plus en plus même… D’une part parce que les bénéficiaires ont des besoins qui se complexifient. Les durées d’hospitalisation se raccourcissant, la rééducation et les convalescences se déroulent de plus en plus à domicile. D’où un besoin accru de professionnels dotés de compétences spécifiques. Y compris en psychiatrie.
D’autre part parce que «la formation est un levier d’attraction important pour recruter des collaborateurs ou les fidéliser», explique Ayah Ramadan, la directrice des ressources humaines de l’institution genevoise de maintien à domicile, l’IMAD. Elle précise que cette formation n’est pas seulement théorique: «Nous nous sommes dotés d’un espace de simulation - un appartement - pour permettre aux professionnels de se retrouver dans une situation de travail réelle et d'expérimenter les bons gestes et les bonnes pratiques. Par exemple, réaliser un transfert entre un lit et un fauteuil.»
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Encourager l'autonomie
Parmi les apprentissages, il y a celui-ci: aider sans agir. Chez certaines personnes en effet, l’important n’est pas de faire à leur place, mais de stimuler leur autonomie. «Quand une personne nous appelle pour qu’on mette en place de la livraison de repas pour son père parce que le trajet vers le magasin où il fait ses achats comporte des embûches, nous essayons de voir si nous ne pourrions pas plutôt l’accompagner faire les courses», explique Thierry Penseyres, directeur du service du développement des pratiques professionnelles, de la prévention et promotion de la santé à l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile (AVASAD). «Notre objectif est que ce monsieur reste le plus autonome possible, le plus longtemps possible.»
Et de citer cet autre exemple d’aide visant à prévenir la dépendance d’un bénéficiaire qui deviendrait de plus en plus sédentaire: l’inciter à aller chercher lui-même son courrier dans le hall de son immeuble plutôt que d’y aller à sa place. Pour cela, il faut que les professionnels intègrent cette autre compétence, et pas des moindres: impliquer la personne sans l’obliger. Le contraire relèverait de la maltraitance. «J’interviens chez une dame pour l’aider à faire sa toilette et à s’habiller», explique Daphna. Une fois par semaine, je l’aide à prendre sa douche et à laver ses cheveux. Régulièrement, elle s’oppose à cette douche. Pour toutes sortes de raisons: parce qu’il fait trop froid dans sa salle de bains; parce qu’elle n’a pas envie de sentir l’eau couler sur son corps; parce qu’elle voudrait que je fasse autre chose chez elle. Évidemment, je ne cède pas. Céder serait faillir à ma mission de veiller à son hygiène et sa dignité. Face à ses refus, j’argumente: «Vous vous sentirez tellement bien après: votre peau sera douce et parfumée.» Généralement, cela suffit à la convaincre.»
Notre objectif est de soutenir l’autonomie le plus longtemps possible”
Acteurs de la promotion de la santé
Imagine-t-on la patience que cela suppose pour un professionnel, dont le temps d’intervention chez un patient est compté? Difficilement. Et pourtant, cette patience-là et cette capacité à mobiliser une personne qui s’abandonne à sa solitude, à ses fragilités, à sa grande vieillesse, valent de l’or pour la collectivité. C’est ce que mettent en évidence Ayah Ramadan et Thierry Penseyres auprès, respectivement, des institutions genevoise et vaudoise.
En maintenant l’autonomie dans la mobilité, les transferts, ainsi que dans tous les gestes de la vie quotidienne (y compris dans l’épluchage de légumes!), les professionnels du domicile sont des acteurs de la promotion de la santé et du bien-vieillir. Leur rôle doit donc être reconnu et valorisé en conséquence.
Cet effort de communication doit se faire aussi en direction des proches aidants. «L’idéal serait qu’on fonctionne comme une équipe et qu’on partage ce que l’on observe chez la personne aidée», souligne Daphna. «Nous ne sommes pas des concurrents, mais des alliés au service d’une même cause: le bien-être d’une personne qui a besoin d’aide.» Alors, Brigitte et Boris, prêts à partir en vacances?