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Santé & Bien-être

Les bienfaits du silence

Véronique Châtel, Journaliste - mer. 01/05/2024 - 10:57
Aspirer au calme n’est pas qu’une tentation de grincheux asocial. Cela relève d’un besoin vital. Revue de détail sur les méfaits du bruit et les bienfaits du silence.
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Chuuuuut. Le silence peut procurer un profond sentiment de bien-être. © iStock

Pour beaucoup, le paradis ressemble à un paysage en pleine nature baignant dans le silence. Comprendre sans le grondement d’une route qui passe sous ses fenêtres, ou d’un moteur d’avion, sans conversations tonitruantes émanant de partout, y compris d’un sentier de montagne, sans musique de fond envahissant aussi bien les zones piétonnes que les restaurants, sans signal de notification jaillissant de façon inopinée de chaque téléphone à la ronde. Rêve d’humain agri? Expression d’un besoin raisonnable, au contraire. L’homme n’est pas fait pour vivre dans le bruit.

Il est ainsi constitué qu’un son, d’où qu’il provienne, est d’emblée envisagé par le cerveau comme le signal d’un danger possible. Résultat: à chaque stimulation auditive, une kyrielle de réactions physiques et chimiques se déclenche pour un décryptage immédiat.

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Cela commence par des contractions musculaires: il s’agit que l’humain soit prêt à bondir et à déguerpir si, une fois identifié, il s’avère que le son exprime l’imminence d’un réel danger. Ensuite, une libération des hormones du stress, adrénaline et cortisol, s’opère, tandis que le rythme cardiaque et la respiration s’accélèrent, la digestion et le système immunitaire se mettant pendant ce temps en mode inhibé.

Lorsqu’on se tait, quelque chose peut advenir”

L'écrivaine Anne Le Maître.
Anne Le Maître
Ecrivaine

Le bruit de trop

Le chemin d’un son a été bien identifié par l’imagerie cérébrale:
a) le tronc cérébral reçoit les informations auditives parvenant des oreilles;
b) il les envoie vers l’amygdale, une zone qui s’active en cas de peur ou sous le coup d’autres émotions négatives;
c) proche de l’amygdale, l’hippocampe entre en jeu; son rôle est fondamental dans la gestion du bruit, car c’est lui qui attribue à un son une valeur émotionnelle positive ou négative;
d) jusqu’à un niveau acceptable de stress et de menace, le cortex préfrontal peut «gérer» l’amygdale en mesurant les bénéfices et les inconvénients d’une réponse comportementale en lien avec l’événement. Cela permet de faire des choix adaptés au contexte et aussi d’éviter le déclenchement des réactions de peur inutiles. 

Bref, on le voit: le bruit produit toute une chaîne de conséquences. Le plus souvent, on n’est pas conscient de la surabondance de signaux sonores à laquelle notre cerveau est exposé, ni de la fatigue nerveuse que cela entraîne. On s’en aperçoit au bruit de trop qui fait sortir de ses gonds. Les feux d’artifice du 1er Août, par exemple, dont la limitation vient de faire l’objet d’une initiative populaire fédérale. Ou le son des cloches des vaches, qui fera peut-être un jour l’objet d’une interdiction. Sans parler du chant du coq, qui dérange tant de citadins partis chercher le calme à la campagne. 

Si certaines personnes sont davantage affectées par le bruit que d’autres et se montrent plus intolérantes, c’est parce que leur hippocampe a attribué à un plus grand nombre de sons une valeur négative. Cela a pour conséquence de faire surréagir leur amygdale, chargée de traiter l’information. Ainsi, ce qui pour les uns semble un bruit acceptable, les cris des enfants jouant dans un square par exemple, peut apparaître pour d’autres comme une agression sonore rendant la vie impossible. 

Vivre dans le bruit tue

Mais, objectivement, à partir de quand un bruit sonne-t-il comme une nuisance? Le bruit se mesure sur une échelle allant de 0 à 130 décibels (db), 0 représentant le seuil de ce qui est audible pour l’oreille humaine et 130 db le seuil du supportable sans douleur. Un bruit devient désagréable quand son niveau dépasse les 75 db et carrément nocif pour l’audition à partir de 80 db; cela correspond au niveau sonore enregistré au bord d’une autoroute. Les marteaux-piqueurs génèrent, quant à eux, un niveau sonore d’environ 100 db. 

Mais même si, en apparence, le bruit n’est pas un problème, le manque de silence est toxique pour la santé. L’analyse de nombreuses études internationales a montré que les risques cardiovasculaires et d’infarctus du myocarde augmentent lorsque le niveau sonore autour des habitations dépasse les 60 db. Elle a aussi révélé que l’exposition chronique au bruit induit un mauvais stress, celui qui altère les cellules, modifie les taux de corticoïdes naturels, affaiblit les défenses de l’organisme et perturbe le sommeil. Par ailleurs, travailler dans le bruit requiert des ressources cognitives importantes, surtout lorsque les tâches à réaliser sollicitent la mémoire à court terme. Cumulée aux troubles du sommeil, la fatigue qui en résulte est à la source de comportements agressifs, anxieux ou dépressifs, entraînant toutes sortes d’addictions (prise de médicaments, d’alcool ou de drogues). 

Selon un rapport publié en 2014 par l’Agence européenne de l’environnement, le bruit est responsable de plus de 10 000 morts prématurées chaque année en Europe.  

Alors, on baisse le son!

Pour se régénérer, l’organisme a besoin de silence. Deux minutes de silence diminuent le taux de cortisol et d’adrénaline circulant dans le sang, les fameuses hormones du stress responsables des tensions physiques et psychologiques. Mieux: deux heures de silence relancent la production de cellules souches dans la région de l’hippocampe, favorisant ainsi la consolidation des souvenirs et des apprentissages. Ce n’est pas pour rien si l’on dit que le silence est d’or. Il l’est d’autant plus qu’il favorise la rêverie éveillée, propice à la restauration de capacités cognitives et créatives. L’imagerie cérébrale a montré en effet que, dans le silence, le cerveau se met à vagabonder et à faire des liens entre différentes régions du cerveau, ce qui est propice à la curiosité, à l’appétit de vivre. 

Autre grand bénéfice du silence: la possibilité de se connecter à sa vie intérieure. Vie intérieure? «C’est cet espace que l’on a en soi où l’on est soi-même, avec ses forces, ses faiblesses et ses désirs profonds», explique Anne Le Maître, autrice d’Un si grand désir de silence – essai qui vient de recevoir le Prix littéraire de la liberté intérieure. «Mais ça n’est pas un espace saturé de soi; les autres y ont leur place. Cela n’est pas un hasard si la première règle des moines bénédictins qui vivent dans le silence de leur monastère n’est pas «tais-toi», mais «écoute». Lorsqu’on se tait, quelque chose peut advenir.» La mort? L’expression «un silence de mort» n’a pas sa place ici! D’abord, le silence n’est jamais total. Coupé des sons extérieurs, les bruits intérieurs deviennent retentissants: gargouillis du transit intestinal, respiration, battements du cœur. Et puis, le silence n’est pas une fin en soi. C’est l’antichambre de ses aspirations intimes, voire de ses pulsions créatrices... Alors, vive le silence. Mais aussi précieux soit-il, qu’il ne devienne pas un luxe!

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