Bruit. Notre santé souffre en silence

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Elle nous rend vraiment malade. La pollution sonore est à chaque coin de rue. Des initiatives, comme la limitation à 30 km/h, voient le jour pour lui fermer le clapet.
Cet été, sur la plaine genevoise de Plainpalais, nombreux ont été les riverains à se plaindre des multiples fêtes bruyantes qui se sont déroulées en fin de soirée. Marre de la musique à pleins tubes et des vociférations intempestives qui extirpent violemment des bras de Morphée ! « C’est un bourdonnement de fond constant, un brouhaha qui empêche de dormir correctement », a déclaré à la RTS une habitante du quartier.
Autre région, autre sorte d’indécence sonore… En août dernier, un jeune Fribourgeois de 20 ans a choisi la route de Morat, à Granges-Paccot (FR), pour s’amuser à faire vrombir le moteur de sa voiture en accélérant fortement à trois reprises avant de planter sur les freins. Très mauvaise idée : une patrouille de police a dénoncé ce bruit excessif au Ministère public fribourgeois, qui l’a condamné à 400 francs d’amende, assortis de 200 francs de frais de justice.
Ces exemples illustrent bien cette sensibilité sociétale nouvelle face aux bruits intempestifs. « Depuis une vingtaine d’années, les gens sont devenus moins tolérants aux bruits, et tout particulièrement à ceux engendrés par les avions et les trains, constate Mark Brink, collaborateur scientifique de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) et spécialiste de l’incidence du bruit. C’est assez surprenant, dans la mesure où ces deux moyens de transports génèrent moins de décibels que dans les années 1970. En outre, les études prouvent que, en milieu urbain, le dérangement lié au trafic, qui est d’ailleurs plus intense qu’avant, est resté stable. » Toujours est-il que l’OFEV fait état d’une personne sur sept exposée à son domicile à un bruit nuisible ou incommodant issu du trafic routier durant la journée, soit 1,1 million d’Helvètes.
L’intérêt du 30 km/h
Face à cet ennemi sonore numéro un (à moins d’habiter à côté d’un aéroport ou d’une voie de chemin de fer), des voix s’élèvent pour exiger des mesures permettant de lutter contre cette pollution auditive. Un postulat demande, par exemple, une meilleure formation des policiers à l’identification des infractions relatives au bruit. Un combat qui trouve également un écho dans la rue. On déploie des radars acoustiques un peu partout, la pose de revêtements phoniques absorbants se multiplie et les contrôles policiers s’intensifient. A Yverdon, la police a ainsi examiné plus de 900 véhicules durant l’été 2020, constatant un taux d’infraction lié au bruit de 12 % à 15 %.
Dans le cadre d’une politique volontariste, Lausanne — la ville la plus bruyante de Suisse, notamment en raison des pentes qui la parcourent — a, pour sa part, décidé de mener une campagne de création de nouvelles zones modérées, à savoir des espaces destinés à limiter le bruit routier, à décourager le trafic de transit dans les quartiers et à améliorer la qualité de vie. « Il est essentiel pour nous de réduire les nuisances sonores que subissent les Lausannois et les zones modérées permettent d’atteindre cet objectif, tout en améliorant la convivialité et la sécurité dans les quartiers », souligne Florence Germond, municipale en charge de la mobilité. La capitale vaudoise a aussi décidé de généraliser la limite de vitesse à 30 km/h sur tous ses grands axes durant la nuit et cela pour une durée d’environ sept semaines à partir de la mi-septembre, ce qui constitue une première en Suisse.
Mais pourquoi 30 km/h ? Et est-ce vraiment efficace ? « Sans conteste, estime Mark Brink. Si, à une époque, le bruit du moteur pouvait représenter une vraie source de dérangement, aujourd’hui, le problème réside dans les bruits aérodynamiques à des vitesses supérieures à 100 km/h et dans le frottement des pneus sur la chaussée. Quand on ne dépasse pas la vitesse de 30 km/h, cette nuisance-là est fortement atténuée. »
Le citoyen peut-il aussi agir à son échelle ? « En modifiant ses habitudes de consommation, répond Mark Brink. Il convient de prendre le train, le vélo ou d’acheter une voiture légère avec des pneus étroits. » Il en va de notre santé ! Car si la surdité liée au bruit ne semble guetter que les ouvriers des zones industrielles, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) répertorie quand même des cas d’acouphènes liés aux bruits ambiants. Et c’est peut-être un moindre mal, à entendre les spécialistes énumérer la liste des maladies que le bruit peut occasionner. Voici les cinq principaux risques — qui ne répondent pas à un seuil universel de décibels, puisque chaque personne possède sa propre sensibilité.
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Les risques liés aux bruits
« Le bruit peut causer de l'hypertension ou une augmentation du rythme cardiaque » raphael Heinzer, médecin chef CHUV
Les troubles du sommeil
D’après l’OMS, il s’agit du problème de santé lié au bruit environnemental le plus courant. « Le bruit nocturne est sans conteste la forme la plus inquiétante de pollution sonore en termes de conséquences sur la santé, car un sommeil de bonne qualité et d’une durée suffisante est nécessaire pour assurer une bonne vigilance diurne, la qualité de vie et la santé physique et psychique, confirme Raphael Heinzer, médecin chef du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) du CHUV. Les personnes qui luttent contre le bruit nocturne souffrent souvent, le lendemain, de somnolence et de fatigue, de changements d’humeur ainsi que d’une diminution du bien-être, de leurs performances cognitives et de leur qualité de vie. » Un niveau sonore de 33 décibels, soit le bruit d’une pluie modérée, pourrait déjà causer des perturbations sonores nocturnes. « L’impact du bruit sur notre sommeil dépend non seulement du nombre d’événements sonores et de leurs propriétés acoustiques, mais aussi des stades de sommeil et de la sensibilité sonore individuelle », déplore le spécialiste. « Les bruits qui perturbent notre sommeil sont surtout ceux qui sont sporadiques et très bruyants ou qui augmentent très vite », ajoute Mark Brink.
Les maladies cardiovasculaires
Le bruit met à mal notre cœur. « D’une part physiologiquement, car il peut causer de l’hypertension ou une augmentation du rythme cardiaque quand un son fort nous surprend, d’autre part psychologiquement, étant donné que le bruit passe par les nerfs et que le corps tente de se débarrasser de ce stress psychoacoustique en le somatisant », expliquait à la RTS Harris Héritier, épidémiologiste et coauteur de l’étude SiRENE, qui atteste du lien entre le bruit et les maladies cardiovasculaires.
Par sa faute, quelque 450 Helvètes mourraient chaque année d’un infarctus du myocarde ou d’une maladie cardiovasculaire. Cette étude, qui a été menée par l’Institut tropical et de santé publique suisse, évoque en outre une hausse du risque de mortalité de 2,5 % chaque fois que le bruit de la route augmente de 10 décibels.
La gêne due au bruit et la baisse de la qualité de vie
Troubles de la mémoire, nervosité, dépressions…L’inconfort lié au bruit se répercute de nombreuses manières sur notre santé. « C’est d’autant plus vrai chez les seniors, dont l’audition baisse naturellement avec l’âge, estime Xavier Falourd, docteur EPFL/SIA Acoustique. Leurs sensibilités auditives se dégradent particulièrement dans les hautes fréquences, ce qui ramène leur spectre audible (NDLR, l’ensemble des fréquences sonores pouvant être perçues par un être humain) au niveau du spectre du bruit ambiant, et notamment celui engendré par la route, où dominent les basses fréquences. La clarté de la parole décroît ainsi par effet de masquage sonore. Cette perte de sensibilité de l’audition participe à l’isolement et à une fatigue lors des repas et autres moments de rencontres. »
La diminution des performances cognitives
Le bruit altère nos capacités d’apprentissage. Telle est la conclusion d’une récente étude réalisée auprès d’élèves allemands dont les écoles étaient situées à une distance plus ou moins proche d’un aéroport. On peut notamment lire qu’une augmentation de 20 décibels conduit à une diminution de l’apprentissage de lecture qui correspond à environ deux mois. « Cette recherche porte sur des enfants, mais on peut aisément imaginer que les répercussions sur les capacités cognitives des adultes soient similaires », estime Mark Brink.
Le diabète
La flambée mondiale de diabète — qui est désormais l’une des causes principales de morbidité et de mortalité — semble aller de pair avec l’essor urbain. Et, comme l’exposition au bruit des transports agit sur le métabolisme par le biais de la sécrétion d’hormones du stress, comme le cortisol et l’altération du sommeil, il semble de plus en plus probable que la pollution sonore puisse augmenter le risque de développer du diabète. « Les études qui vont dans ce sens se multiplient », atteste Mark Brink. Une méta-analyse des résultats de cinq études publiées jusqu’en juin 2014 indiquait déjà une augmentation du risque de diabète de 22 % en cas d’exposition à long terme à une pression sonore dépassant 60 décibels.
Heureusement, notre compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans les dommages causés aux cellules ciliées et aux nerfs par le bruit a considérablement progressé, ces dernières années. De fait, outre les mesures antibruit qui sont en train d’être mises en place ici et là, on peut aussi espérer que des médicaments préventifs et thérapeutiques soient disponibles dans les années à venir.
Frédéric Rein
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1 Commentaire
Dans votre échelle des niveaux sonores, vous omettez - sciemment? - les cris, les ciclées et les hurlement des enfants. Je suis fatiguée d'entendre tout le temps que le trafic est trop bruyant et qu'on veut le limiter. Pour moi, c'est le bruit des enfants qui me perturbe le plus. Ces chers petits ont tous les droits, même celui de déranger le voisinage. Or la législation est claire: les enfants doivent apprendre à respecter autrui. Eh bien ce n'est pas le cas du tout de nos jours. Je n'ai rien contre qu'ils s'éclatent un moment à la sortie de l'école, mais pas toute la journée. Et même la soirée, quand les parents invitent des amis pour un barbecue au jardin. Bien sûr, le lendemain matin, ils sont de mauvaise humeur parce qu'ils n'ont pas assez dormi. J'ai trois piscines à moins de 20 mètres de mon balcon, je ne peux plus l'utiliser normalement et ça m'agace. A côté, le bruit du bus qui démarre à l'arrêt en côte, du camion-poubelle, de la tondeuse à gazon, du fil à couper l'herbe, du tracteur du paysan, c'est supportable parce que ponctuel. Les gosses, c'est tout le temps, mais comme ils sont idolâtrés par les parents, personne ne fait rien.