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Société

Rosette Poletti: la mort et moi

Anna Lietti, Journaliste - lun. 01/04/2024 - 15:29
Infirmière, auteure, chroniqueuse pour Le Matin Dimanche et générations, la Payernoise de 86 ans est une avocate immensément populaire de la bienveillance et du travail sur soi. Elle forme actuellement des doulas de fin de vie (NDLR des personnes qui apportent leur soutien) dans un centre à son nom*.
Rosette Poletti, infirmière, auteure, chroniqueuse pour Le Matin Dimanche et générations.
Portrait de Rosette Poletti, infirmière, auteure, chroniqueuse pour Le Matin Dimanche et générations. © Nicolas Zentner

Votre première rencontre avec la mort?
J’avais 6 ans. Nous vivions à la campagne avec la grand-mère de ma mère. C’est elle qui l’avait élevée. Lorsqu’elle est morte, ce qui m’a marquée, c’est l’immense tristesse de ma mère. Mon père était mobilisé, j’étais l’aînée, je prenais le rôle au sérieux: je cherchais quoi faire pour la soulager, je lui apportais des fleurs… 

Une expérience fondatrice!
Oui! On peut dire que toute ma vie j’ai tenté de soulager la peine des autres.

Et votre peine à vous?
J’ai bien vécu ce deuil parce que j’ai été incluse à toutes les étapes. La veillée, la marche derrière le corbillard, encore tiré par les chevaux… Plus tard, en étudiant les théoriciens du deuil, j’ai compris à quel point, même pour les petits-enfants, c’est important d’être là, de participer au rituel. 

Et si l’enfant ne veut pas?
On ne le force pas. Mais il faut savoir qu’il peut changer d’avis. Et qu’il est souvent angoissé par l’angoisse des autres. On peut donc lui demander plusieurs fois et le faire accompagner par une personne qui n’est pas angoissée.

Être une spécialiste du deuil, ça aide quand on perd un être cher?
Le savoir ne suffit pas. Ce qui m’aide surtout, c’est la méditation, le travail sur la compassion, disons une certaine pratique psycho-spirituelle. Et aussi l’exemple de mes «enfants de cœur», la famille de réfugiés tibétains avec qui je partage mon appartement. Depuis douze ans, je me lève le matin et je les vois souriants et paisibles malgré les difficultés. Ils m’apprennent à ressentir les émotions sans les laisser déborder.

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Ce qui m'aide surtout, c'est la méditation”

Rosette Poletti

Votre mort, vous y pensez?
Oui. J’ai tout préparé! Avec les pompes funèbres, avec la gérance, la partie financière… Je ne veux pas que ces démarches soient un poids pour mes proches. J’ai vu tellement de situations lourdes et compliquées pour les personnes en deuil… 

Alors, cette cérémonie, ce sera comment?
Je voudrais que ça se passe au temple, mais qu’une place soit faite à mes amis tibétains, qu’ils puissent prier à haute voix. Je suis protestante, j’ai même fait des études de théologie, mais je me sens très œcuménique. Il y a cinq ans, j’ai fait une maîtrise en Buddhist studies: passionnant! 

Où serez-vous quand vous ne serez plus là?
Je fais confiance au mystère. Je suis sûre que quelque chose continue, une énergie de vie qui se transforme. Mais je me refuse à la définir. Je m’en remets à ce qui se passera. Et si rien ne se passe, je ne m’en rendrai pas compte… 

Voulez-vous être incinérée ou inhumée?
Il y a, avec l’incinération, quelque chose de précipité que j’ai du mal à accepter: une personne meurt et, trois jours plus tard, elle n’est plus qu’un tas de cendres. L’inhumation laisse un peu plus de temps aux proches pour vivre un processus de deuil. Je souhaite donc être enterrée. Au cimetière, avec une tombe. Je ne veux pas être dispersée…

Vous formez des doulas de fin de vie. Vous imaginez-vous être accompagnée par l’une d’elles le moment venu?
Si j’en ai besoin, oui, pour soulager mes proches. Ce qui est sûr, c’est que j’aimerais mourir à la maison, comme la majorité des Suisses, qui meurent pourtant à l’hôpital… Aider les proches aidants pour pouvoir rester à la maison, c’est une des raisons d’être des doulas. Nous avons créé cette formation*, pionnière en Suisse, il y a cinq ans; je tenais beaucoup à le faire, et à le faire vite! J’ai 86 ans: je souhaiterais pouvoir enseigner encore trois ou quatre ans, si Dieu me prête vie…

* Site internet du Centre Rosette Poletti 

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