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Loisirs

Des champs ou des villes, la corneille est toujours aussi maline

Jean-Marc Rapaz, Journaliste - ven. 01/03/2024 - 15:25
Si elles font le désespoir des agriculteurs, c’est bien dans nos cités que les corneilles trouvent un garde-manger parfait pour passer l’hiver. Avec une préférence pour les frites, relève un spécialiste qui plaide pour une cohabitation homme-volatile responsable.
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Comme les humains, les corneilles raffolent de la malbouffe, à commencer par les frites et le ketchup. © iStock

À la mauvaise saison, les corneilles – et leurs cousins, les corbeaux freux – envahissent le ciel des villes. Leurs silhouettes noires, leurs cris, que certains jugent lugubres, accompagnent nos journées de grisaille. Indésirables? Si elles se plaisent tellement en notre compagnie et que leur population semble grandissante, c’est bien la faute des humains et de leurs déchets. Dans nos cités, ces volatiles des plus «marioles» ont trouvé le garde-manger parfait, mieux que les Restos du cœur une fois l’hiver venu. Et elles ont leurs mets de prédilection. À Paris, où les poubelles sont en plastique transparent pour déjouer les attentats terroristes, elles ont ainsi appris à repérer les emballages provenant des fast-foods McDonald’s et n’auront de cesse alors d’éventrer les sacs dans l’espoir d’y trouver des frites. «Et même du ketchup ainsi que des barquettes de nuggets (NDLR croquettes de poulet panées et frites)», ajoute le célèbre ornithologue français Frédéric Jiguet. Chargé de mission pour la Ville de Paris depuis 2015, ce Monsieur Corneille vient de livrer un plaidoyer épatant pour une cohabitation responsable, dans le futur, entre humains et oiseaux*.

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Massacre en France

Cohabitation? Il est temps, surtout dans les campagnes gauloises, où les corvidés font le désespoir des agriculteurs, avec une préférence pour les semis de maïs et de tournesol. «Chaque année, on tue chez nous près de 500'000 individus, rappelle Frédéric Jiguet. Mais ça ne sert à rien, si ce n’est à défouler ceux qui tirent!» En Suisse, on l’a mieux compris. Jouer de la gâchette en espérant obtenir un résultat probant est illusoire. «Cela déplace le problème, puisque la plupart des oiseaux ne font qu’aller plus loin et peuvent revenir dès que le chasseur ou le garde-faune est parti», souligne Alice Baux, chercheuse à Agroscope, le centre de compétence de la Confédération dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire. 

Alors, que faire? «Dans le cadre d’un projet financé par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), nous, Agroscope, avec plusieurs partenaires cantonaux et la vulgarisation agricole, testons des solutions, avec l’appui de Frédéric Jiguet: répulsifs, sous-semis, techniques d’effarouchage. Nous étudions également le comportement des corneilles pour mieux identifier les parcelles à risque et adapter nos techniques.» Et la chercheuse de poursuivre: «L’alternance de techniques est une piste, mais ça reste pour l’instant difficile à mettre en œuvre d’un point de vue logistique. C’est très coûteux et ça prend énormément de temps.» 

Chaque année, on tue en France près de 500'000 individus. Mais ça ne sert à rien, si ce n'est à défouler ceux qui tirent”

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Frédéric Jiguet
Ornithologue

Joueuses et malignes

Dans notre pays, très urbanisé et où l’on n’est jamais loin d’une agglomération, sortir le fusil est par ailleurs risqué. Pas question de blesser un humain. On ne dira pas qu’on a baissé les bras, mais on se rend compte que ce n’est pas la bonne solution. « De temps en temps, lorsqu’il y a des travaux d’élagage, on enlève un nid », reconnaît Jean-Marc Duc, inspecteur police faune-nature pour Lausanne ville-Lavaux-Riviera. Mais cela s’arrête à peu près là. Il est aussi admiratif devant l’intelligence de ces oiseaux: «Il y avait un noyer près d’un de nos dépôts. Mais on ne comprenait pas pourquoi il y avait tous ces bouts de coque devant le bâtiment le soir venu. En fait, les corneilles venaient déposer les noix le matin et elles attendaient qu’avec le passage de nos véhicules on les casse.»

Des exemples, Frédéric Jiguet en a aussi à la pelle. Comme le fait que ces oiseaux reconnaissent des humains. Lui, à force de se promener dans les rues de la capitale pour les piéger – afin de les baguer –, s’est rendu compte qu’il avait son portrait-robot dans les colonies. «Elles ne me distinguent pas seulement avec le visage, mais aussi avec ma démarche, mes habits.» Mieux, celles qui se sont fait attraper plusieurs fois pour cause de gourmandise deviennent plus agressives. «Elles me donnent des coups de bec parce qu’elles ont compris que je ne leur ferai aucun mal!»

Et que dire de ces corneilles si malignes qui piquent des pots de crème sur les terrasses des cafés et crèvent l’opercule avec leur bec pour se délecter du liquide? Mieux vaut aussi ne pas laisser des yogourts traîner sur son balcon ou un rebord de fenêtre. Là encore, les exemples sont nombreux: elles reconnaissent le contenant et l’ouvrent.

Sauvetage dans le métro

Détestées dans nos campagnes, où les épouvantails les font bien rigoler, les corneilles, omnivores, ont donc découvert un havre de paix en ville, où elles ont de surcroît de quoi se sustenter grâce à nos déchets. Et comme, aujourd’hui, la biodiversité prime dans la politique des gouvernants et pour une bonne partie de la population, elles ne sont pas près de disparaître. D’ailleurs, pourquoi les chasserait-on? Nuisibles? Frédéric Jiguet refuse de répondre à la question: «Si elles sont là, c’est qu’il y a de la place pour elles!» Et de relever, entre autres, qu’elles participent au renouvellement des sols en cachant des graines un peu partout. De fait, on ne peut guère leur reprocher un côté malfaisant, hormis quelques cas, rares, d’attaques sur des têtes de bipèdes. «Généralement, c’est le fait d’oiseaux nicheurs dont un bébé est tombé du nid. Elles agissent ainsi pour le défendre, comme elles le feraient s’il y avait un renard ou un autre prédateur dans le coin.»

À l’inverse, la corneille nous est devenue si familière que l’humain déploie parfois des efforts disproportionnés pour lui venir en aide. Récemment, Frédéric Jiguet a dû intervenir dans le métro parisien, où des usagers se sont émus de voir un oiseau bloqué dans les tunnels. Avant ça, une retraitée et une riveraine l’ont nourri tous les jours, lui amenant un récipient d’eau pour les bains qu’il appréciait. À la troisième tentative, le squatteur a enfin pu être capturé après que l’électricité a été coupée sur la voie. Plusieurs heures ont suivi: l’oiseau a été enfin pris dans un filet, bagué, avant d’être relâché vers 5 heures du matin près du cimetière du Père Lachaise, où de nombreux congénères passent leurs nuits.

Régler le problème à la ville

Les corneilles, qui se distinguent entre autres des corbeaux freux par des plumes sur la base du bec, ont-elles définitivement remporté la partie? Les spécialistes n’ont pas encore rendu les armes. On note toutefois que les comptages, dans les données de la Station ornithologique suisse de Sempach s’arrêtent en 2019, «car l’espèce est maintenant considérée comme commune», explique Alice Baux. Faute de statistiques précises, on relève que la population des corneilles se situerait autour de 80'000 à 120'000 couples (2013-2016). Mais pour Jean-Marc Duc, le doute n’est pas permis: «S’il y en a plus en ville? Oui, c’est certain.» Du côté de Changins, on remarque que c’est la colonie des corbeaux freux qui semble en réelle augmentation.

L’ornithologue français espère maintenant vérifier une nouvelle théorie. Il n’y aurait pas des corneilles des villes et des corneilles des champs, mais bel et bien des oiseaux citadins qui partent aux champs une fois le printemps arrivé. «En fait, ce sont les jeunes qui quittent alors le nid. S’il s’avère que c’est le cas, on pourra travailler de manière efficace. Il appartiendra de régler le problème dans les cités avec une politique de régulation qui passera par une meilleure gestion des déchets humains, par exemple avec des poubelles que les corneilles ne pourront pas ouvrir.»

Où dormir, où manger ?

Frédéric Jiguet ne manque pas d’humour. Dans son livre, il propose ainsi quelques pages inspirées du Guide du routard à l’attention des corneilles qui désirent visiter Paris. Au chapitre «Où dormir», il indique ainsi les meilleures adresses, comme le Jardin des plantes ou le cimetière du Père Lachaise: «Vous ne quitterez pas ce dortoir sans passer rendre hommage à Jean de La Fontaine, poète auteur de la fameuse fable Le corbeau et le renard.» 

À la section nourriture, il indique les 26 fast-foods de l’enseigne M, le quartier chinois avec de nombreuses carcasses de volaille. Quant aux immanquables touristiques, pas question de passer à côté de la rue Corneille, dans le VIe arrondissement, ou de l’impasse du même nom, dans le très chic XVIe arrondissement.

La corneille en quelques chiffres

  • 80'000 à 120'000 corneilles en Suisse
  • 400 à 600, en grammes, le poids d'une corneille
  • 44 à 51, en centimètres, la taille d'une corneille
  • 17 ans et 10 mois, la longévité maximale d'une corneille 
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