L’âge de ses vêtements ou les vêtements de son âge?

Un shooting haut en couleurs das les rues d'Yverdon avec Isabel, Danielle et Denis (de g. à dr.). © Yves Leresche

Comment s’habiller quand on n’appartient plus à la catégorie des jeunes « qui peuvent tout se permettre»? Quand on a, de toute façon, l’impression d’être devenu invisible? Shooting dans les rues de Genève et d’Yverdon: onze seniors décryptent leur garde-robe.

La mode se démode, le style jamais. Cette citation de Coco Chanel pourrait résumer l’impression que nous ont faites les onze personnes que vous allez découvrir ci-dessous. C’est d’ailleurs pourquoi nous les avons interpellées, tandis qu’elles passaient dans la rue à côté du notre studio de photo mobile. Leur touche personnelle, qui rend leur apparence unique et accrocheuse, nous a immédiatement sauté aux yeux. Ce qui a fait briller les leurs quand nous leur avons proposé de les photographier! Mais revenons au projet de ce reportage réalisé sur le vif, un après-midi dans un passage couvert à Genève et un matin dans une rue centrale d’Yverdon. L’ambition était de vérifier si le sentiment d’invisibilité partagé par de très nombreux seniors reposait sur une réalité. Devient-on invisible quand on a dépassé la cinquantaine? Ou alors s’arrange-t-on, au propre et au figuré, pour le devenir? Ne plus se voir regardé pourrait en effet conduire à une attitude «à-quoi-boniste». A quoi bon réfléchir aux vêtements que l’on va porter étant donné (pense-t-on) que les seniors sont, de toute façon, disqualifiés et mis sur la touche? A quoi bon se donner la peine de quitter son uniforme de confort si on sait, par avance, que personne ne nous regardera? A quoi bon résister à cette impression d’effacement progressif du paysage du fait que l’on vieillit? 

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La confrontation à la réalité de la rue est venue botter en touche tous ces présupposés. D’abord, il ne nous a pas fallu longtemps pour repérer ces onze femmes et hommes. Preuve que le style ne se trouve pas que du côté de la jeunesse. Et puis, vous le lirez, il se dégage de leurs témoignages le goût de plaire. Le désir de ne pas se laisser enfermer dans les archétypes de papys et de mamies. Et le plaisir de dénicher des vêtements colorés, dans des matériaux originaux, sans avoir forcément de gros moyens financiers. Plusieurs l’ont précisé: leur budget «habits» est modeste, car leur pension de retraite est maigrelette. Ils n’hésitent donc pas à fréquenter les magasins de seconde main pour renouveler leur garde-robe. Réjouissant aussi: ces seniors stylés ne sont pas toqués de jeunisme. Ils ont presque tous déclaré avoir, pour repère, la peur du ridicule. Ils ont conscience qu’à leur âge, l’excès n’est pas de mise. S’ils ne portent pas les vêtements que leurs parents portaient à leur âge, «des vêtements de vieux», comme l’a souligné un septuagénaire de Genève, ils ne cherchent pas à faire plus jeunes. Simplement à rester fidèles à leur personnalité. 

Véronique Châtel
 

«Mes cheveux blancs m’ont attiré beaucoup de critiques!» 

Isabel, 57 ans, encore dans la vie active, Yverdon.

                  

«Mon style? Je dirais que c’est de jouer avec les contrastes. Porter un perfecto en cuir et des bottines de style militaire quand on a des cheveux blancs renvoie à deux univers différents. Cela crée un petit choc visuel qui accroche. J’ai toujours aimé m’habiller. Ce goût me vient de l’enfance, qui s’est déroulée en Espagne. Je me revois dévorer les magazines de mode qui passaient à ma portée pour tenter de comprendre ce qui était tendance ou pas. Je n’ai jamais arrêté… Parfois, cela m’inspire au point de me lancer dans la confection de vêtements. Le sac que je porte est une fabrication maison ! Avancer en âge ne bride pas ma fantaisie. J’aime les imprimés léopard, je ne vois pas pourquoi je cesserais d’en mettre. En revanche, je me découvre moins en été. Aussi parce que je suis stratégique: si je montre un peu mes jambes, je renonce au décolleté. Ou alors, c’est l’inverse. Il ne faut jamais tout dévoiler!»

«Mon entourage a beaucoup critiqué mon choix de ne plus me teindre les cheveux. Me prédisant que cela me vieillirait. Je ne trouve pas, finalement. Le fait que vous m’ayez repérée dans la rue me fait trembler d’émotion. Je suis dans une phase où mon estime de moi-même se reconstruit tout doucement. Je sors d’une séparation difficile avec un homme qui a sévèrement entamé ma confiance en moi. Vous avez illuminé ma journée.»

«Je ne cherche pas à être visible»

Nori, 65 ans, réalisateur de documentaires, Genève.

«Ma manière de m’habiller n’a pas changé avec le temps. L’âge, c’est juste un chiffre, cela ne me définit pas. Je reste attiré par la même sorte de vêtements et par les couleurs. Je ne me censure pas. En été, vous m’auriez vu avec un short. Pour les cheveux, c’est pareil. Le fait d’en avoir moins ne m’incite pas à renoncer aux coupes un peu stylées. Mon travail me mettant au contact des autres, je fais attention à mon apparence. Mais je ne réfléchis pas, chaque jour, à la manière dont je vais me vêtir. Cela me vient spontanément.»

«En sortant de chez moi, ce matin, j’ai remarqué qu’il faisait frais et, comme j’aime me promener au hasard des rues, j’ai attrapé cette écharpe pour ne pas avoir froid. Je marche en écoutant la radio et en observant les autres : je ne cherche donc pas à être visible. D’ailleurs, depuis que je suis devenu père, il y a longtemps, mon ego a rétréci.» 

«Je m’apprête pour moi-même»

Kataline, 76 ans, architecte à la retraite, Genève.

«Je compose mes tenues en fonction du temps et de la lumière, par couleur et par style. Je répartis mes vêtements dans quatre armoires. Une par saison. Elles sont archi-pleines, car je suis du genre à conserver mes habits. Depuis toujours, je les choisis de bonne qualité, alors ils ne bougent pas. C’est moi qui ai un peu changé, certains ne me vont plus, car je ne suis plus aussi mince.»

«Je me suis forgée un style, plutôt classique, toute seule, car j’ai évolué dans un univers d’hommes. Ce matin, c’est une petite pluie qui m’a fait mettre ce foulard plus seyant qu’une capuche. Vivant seule, je m’apprête pour moi-même, car personne ne me regarde. C’est ce qui me semble.» 

«On a toutes quelque chose à camoufler!»

Valérie, 63 ans, vendeuse dans un magasin de confection, Genève.

«Les vêtements, c’est mon dada, y compris quand je ne suis pas en train d’en vendre! D’ailleurs, j’envisage d’acheter encore quelques belles pièces avant de prendre ma retraite, car je sais qu’ensuite, j’aurai du mal à m’en payer. Avec le temps, mon style est devenu moins classique:  je porte davantage de couleur et d’accessoires originaux. J’ai aussi appris à me mettre en valeur, dissimuler mon ventre et mon buste un peu long.» 

«On a toutes quelque chose à camoufler ! Etre en contact avec mes clientes est une source d’inspiration. Leur style me donne des idées. Je remarque que les femmes de mon âge s’inquiètent à la fois de ne pas faire mémé ou da-dame et à la fois de ne pas faire trop jeune. Le curseur n’est pas facile à placer!» 

«Je dis non au trop!»

Mary, 74 ans, retraitée, Genève.

«Mon repère est de ne pas paraître ridicule. J’essaie d’adapter mon style à mon âge. Je m’interdis les mini-jupes, les grosses bottes militaires, bref, le «trop» court, voyant, serré... en général.»

«Ma petite retraite m’oblige à faire attention à mes dépenses; les accessoires pas chers, qui rehaussent une tenue un peu terne, comme ce petite sac bleu accordé à mon chemiser, ne sont pas faciles à trouver à Genève.» 

«Je ne suis pas un vieux schnok!»

Gérard, animateur socio-culturel à la retraite, Yverdon.

«A 73 ans, on n’est pas un vieux schnok. Donc, je ne m’interdis rien. Ni les cheveux un peu longs, ni les coups de cœur pour des vêtements originaux. J’essaie juste de camoufler mon petit ventre. En hiver, je suis souvent en noir, mon passé de rocker! Avoir travaillé avec des adolescents m’a permis de rester dans le coup!»

«Jupes plus longues et cheveux plus courts»

Loyse, 74 ans, enseignante à la retraite, Yverdon.

«J’aime le rouge, j’en portais déjà à 20 ans. Mais on ne se retourne plus autant sur mon passage! Il faut dire que je ne mets plus de mini-jupes. Ce fut! J’ai coupé mes longs cheveux à 50 ans. Et cessé de les teindre quand j’ai pris ma retraite. C’était compliqué à entretenir. Si je les avais longs encore, je me ferais bien des chignons.»

«L'audace vient avec l'âge»

Denis, 76 ans, coach de vie, Yverdon.

«J’ai toujours aimé la couleur, le lin, les pantalons amples, mais en vieillissant, je m’autorise plus à en porter. Les vêtements sont un langage et permettent de dire qui on est. Me connaissant mieux, je prends du plaisir à m’habiller. Je viens de repérer un gilet rouge dans un magasin de seconde main, je me vois bien dedans!»

«J’ai envie de rester attirante»

Danielle, 76 ans, enseignante à la retraite, Yverdon.

«Je ne veux pas donner l’image d’une petite mamie pour qui on aurait de la pitié. J’ai un certain âge, je l’assume, mais je défends ma place de femme âgée. C’est mon côté féministe ! Je l’ai toujours été. De même que j’ai toujours été intéressée par les vêtements, non pas pour être à la mode, et donc comme tout le monde, mais pour trouver le style en adéquation avec ma personnalité. Ce dont je me garde, c’est de verser dans le ridicule. J’aime l’originalité, mais pas à n’importe quel prix. L’effet produit par mes vêtements doit rester harmonieux et esthétique. La seule chose à laquelle j’ai renoncé, c’est à porter des robes courtes: j’estime que mes jambes ne sont plus assez jolies»

«Je fais du soutien scolaire et suis donc en contact avec des jeunes. J’estime que je me dois de leur donner envie de venir vers moi. De ne pas être repoussante. Mais je soigne mon apparence aussi pour moi-même, pour rester attirante. Je voudrais transmettre l’idée que vieillir n’est pas une catastrophe. Il y a quelque chose après la jeunesse! Trop de femmes ont honte d’avoir vieilli et, du coup, renoncent à se mettre en valeur. Quel dommage!»

«Je n’ai pas renoncé à dénuder mes bras  en été»

Nicole, 77 ans, infirmière à la retraite, Yverdon.

«Mon manteau vous plaît? Je l’ai payé 20 francs dans un magasin de deuxième main. J’ai tout de suite aimé sa coupe et ses couleurs. J’ai été une infirmière de salle d’opération, donc toujours en uniforme de travail, alors j’aime les habits! Depuis longtemps. J’ai appris à reconnaître ceux qui me tirent en bas et me donnent une sale mine et ceux qui me mettent en valeur.»

«Je n’ai pas l’impression d’avoir l’âge que j’ai, c’est ma peau qui me le rappelle! Je ne porte plus de jupes courtes, mais je n’ai pas encore renoncé à dénuder mes bras en été. Je me dis qu’il n’y a pas de raison. Je sors d’une cérémonie en tant que célébrante laïque et j’ai mis ce foulard fuchsia sur un ensemble noir car je le trouvais lumineux.»

«Ce que je porte n’est pas le fruit du hasard»

Romano, 80 ans, retraité, Genève.

«Ce que je porte n’est pas le fruit du hasard. Je n’aurais pas mis un jean avec du noir, par exemple. Tout est calculé. Mon apparence est importante depuis toujours. L’avancée en âge n’a rien changé. Cet été, vous m’auriez vu avec une veste rouge que tout le monde remarque de loin. Elle me plaît beaucoup!»

«J’achète des vêtements de qualité, donc je peux les porter longtemps. Cela n’empêche pas les coups de cœur. Pour cet automne, j’ai envie de m’offrir une veste avec une pièce en tricotage, c’est à la mode et je trouve très joli. Je suis en train de faire un repérage dans les magasins… L’âge qu’on fait tient souvent à une simple attitude. Si je monte dans le tram, avec ma canne, c’est sûr que quelqu’un va se lever pour me céder sa place. Mais, quand je me sens en forme et plutôt fringant, personne ne se lève.»

Textes: Véronique Châtel
Photos: Yves Leresche

 

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