Nuria Gorrite: «Des racines sans qu’elles ne vous enracinent»

La conseillère d'Etat vaudoise Nuria Gorrite dans son bureau à Lausanne. © Yves Leresche
La conseillère d’Etat vaudoise Nuria Gorrite trouve son équilibre dans le fait d’avoir grandi dans une famille aimante, unie et heureuse. Fille d’immigrés espagnols, elle a été très tôt sensibilisée aux droits humains et à la justice sociale.
C’est une vieille blague nulle: «T’arrives à porter une gare, deux gares… six gares?» A elle tout seule, celle de Lausanne, avec son chantier de rénovation laissé en plan, pèse lourd en ce début d’année dans la tête de Nuria Gorrite, la cheffe du Département de la culture, des infrastructures et des ressources humaines du canton de Vaud. «Vivement la levée des charges, que les CFF puissent enfin démarrer la refonte de ce nœud ferroviaire si important pour le développement de la Suisse romande.»
Si la chose publique tient une place centrale dans la vie de la conseillère d’Etat socialiste vaudoise, elle n’en demeure pas moins attentive à ses proches: à commencer par ses parents. «Ils m’ont donné tout ce qu’ils pouvaient me donner.» De les savoir désormais confrontés aux affres de l’âge ou surpris par la maladie, Nuria Gorrite est plus que jamais disposée à redistribuer cette force qu’eux-mêmes lui ont transmise: «J’ai la conviction d’avoir eu la chance de grandir dans un foyer heureux et uni.»
Forte d’un héritage politique marqué à gauche et ce, depuis plus d’une génération, (un grand-père maternel qui a fait la Guerre d’Espagne, une grand-mère anarchiste), Nuria Gorrite tient avant tout à situer ses valeurs dans une sphère plus intime: «J’ai pu compter sur un socle d’amour et de respect mutuel, de solidarité. J’essaie de donner cela à ma fille.»
Des valeurs altruistes que ses parents, immigrés, ont exprimées également à travers des engagements partisans et militants qui forment la trame du paysage d’enfance de la conseillère d’Etat socialiste. Son père, d’origine basque, et sa mère, catalane, sont arrivés en Suisse à l’âge de 17 ans, suivant leurs parents sur le chemin de l’immigration. «Ils se sont rencontrés au sein de mouvements de défense des prisonniers d’opinion sous le franquisme.»
Enfance à Morges
Fille unique, Nuria Gorrite a 4 ans quand la famille déménage de La Chaux-de-Fonds à Morges où son père a trouvé un emploi. La famille s’installe dans le quartier de Préllionnaz, au nord de l’autoroute Lausanne-Genève, cette voie rapide qui a coupé la ville en deux en 1964, dix ans plus tôt. «A l’époque, le quartier présentait un visage plus sauvage. Il était découpé entre les immeubles subventionnés, où nous habitions, et le quartier des villas, proches de Chigny ou de Vufflens. Cela se traduisait par une certaine mixité sociale à l’école.»
Nuria Gorrite se souvient avec bonheur de ses jeux d’enfants. «Dans les hauts du chemin de la Mottaz, nous étions à proximité immédiate de la campagne, avec des champs de maïs et de la vigne.» Avec ses camarades, elle s’aventurait dans le «bois qui fait peur» pour y construire des cabanes.
Nuria Gorrite préparant une fondue fondue, avec ses parents, du temps de sa jeunesse heureuse. © DR
Parfaitement bilingue, Nuria parle le castillan et un peu le catalan, appris par le truchement de sa grand-mère maternelle. A 17 ans, la jeune fille rejoint les rangs d’Amnesty International. «J’étais militante. On s’interrogeait sur des questions de droits humains à l’autre bout de la planète. Et puis, on finit par se demander comment fonctionne la démocratie et les relais institutionnels plus près de soi.» Pas encore toutefois au point d’imaginer embrasser une carrière politique: «J’étais intéressée par l’art, la gestion culturelle.» Au début des années 90, dans les losanges aux accents brutalistes du BFSH2, le bâtiment tout en béton et acier des Sciences humaines de l’UNIL, Nuria Gorrite fréquente la cafétéria autogérée et autres lieux de rencontres où la politique s’invite cependant déjà autour de petites tables en alu.
Un beau jour, elle se laisse tirer par la manche à une séance du Conseil communal de sa ville. Un premier rendez-vous peu concluant: «J’ai failli ne jamais faire de politique. Il était question d’un crédit séparation des eaux claires et eaux usées. Je m’intéressais à d’autres questions.»
Sauf que l’ami qui l’a entraînée s’est montré opiniâtre, l’enjoignant à revenir quand serait discuté le budget. «Je me souviens d’un amendement qui avait été déposé par une partie de l’hémicycle pour diminuer la subvention au Théâtre Trois P’tits Tours. Tous ces gens avaient droit de vie ou de mort sur un petit lieu culturel.» Nuria Gorrite voit rouge! Elle aura désormais l’occasion de le dire au Conseil communal de Morges, dès 1993. En 2000, elle est élue à la Municipalité (exécutif) et en 2007, elle accède au Parlement vaudois. Un an plus tard, elle devient la syndique de Morges. En 2012, consécration, la socialiste parvient au Conseil d’Etat vaudois: «J’ai trouvé ma voie dans les institutions, parce que j’ai acquis la conviction qu’elles sont nécessaires pour transformer durablement la société sur la base des revendications et des luttes portées par les mouvements sociaux.»
Famille au sens large
Nuria Gorrite, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, ne demeure pas confinée dans les cénacles fréquentés par ses pairs en politique. Pour elle, le parti n’est pas une entité clanique ni une famille cultivant l’entre-soi, jusque dans la vie privée. Forte de ses convictions, prête à la défendre, elle n’en discute pas moins avec des personnes aux antipodes du PS, mais toujours ouvertes, comme elle, à la discussion sur les institutions, la démocratie et les idées. «Je me sens appartenir à la famille des gens qui ont un intérêt pour la chose publique.»
Nuria Gorrite au Parlement, lors de sa dernière assermentation, avec ses parents et sa fille Ségolène. © Yves Leresche
Les racines? «C’est important de savoir d’où l’on vient. L’essentiel étant d’avoir des racines, sans qu’elles ne vous enracinent. Du moment qu’elles ne nous empêchent de voler.»
Ségolène, bientôt 25 ans, dotée d’un master de droit international public, sait de quoi il en retourne. Elle qui a grandi avec une mère politicienne, son portrait placardé partout en ville en période électorale, explore sa propre voie pour la défense des droits humains. «Grâce à ma fille, j’ai beaucoup appris. Elle m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, notamment en termes de féminisme. Les jeunes femmes de sa génération se sentent plus légitimes dans leurs revendications, dans ce qu’elles sont et ce qu’elles osent exprimer. Ce dialogue intergénérationnel m’a fait progresser.»
Nicolas Verdan