François Berléand: «On est tous agacés par la même chose en ce moment!»

Dans Last Dance, François Berléand a particulièrement travaillé sa gestuelle: son personnage intègre la troupe de La Ribot. © Aurelie Lamachere/SIPA
A l'affiche de Last Dance, Prix du public au dernier festival du film de Locarno, François Berléand est, comme son personnage dans le film, à la fois exaspéré et étonné par le monde qui change. Rencontre chez lui à Paris, avant la sortie en salle.
Si il n’avait écouté que sa forme, il aurait annulé. En ce dernier jour d’octobre, sa toux et sa fatigue lui donnent davantage envie de faire la sieste que de répondre à une interview. Mais François Berléand est un homme de parole. Un rendez-vous pris ne s’annule pas à la légère. Alors, il a ouvert la porte de son salon, donnant sur le haut du boulevard Saint-Michel, non loin du Jardin du Luxembourg et il a proposé un café. Autour de nous, de belles toiles sur les murs. Et dans le lointain de l’appartement, un bruit d’aspirateur ainsi que des voix féminines. « Je suis rarement à la maison, alors quand je m’y trouve enfin, j’aime avoir mes proches (NDLR. sa femme, l’actrice et romancière Alexia Stresi et ses deux jumelles de 14 ans) autour de moi.»
A 70 ans, le comédien déborde d’engagements: passant d’une tournée théâtrale à une autre, du tournage d’un film à la promotion d’un autre. Sans parler des projets qui piétinent déjà devant ses agendas futurs. «J’ai un projet avec Pierre Arditi pour dans quatre ans. J’espère qu’on sera encore en jambes et en voix à ce moment-là!»
- Votre mémoire supporte-t-elle bien d’absorber sans cesse de nouveaux textes de théâtre ou des dialogues pour le cinéma?
- Je ne sais pas si j’ai une bonne mémoire. Pour retenir un texte, j’utilise aussi ma mémoire gestuelle, ma mémoire visuelle, la mémoire de ce que font les autres au moment où je prononce telle ou telle tirade. En décembre, je vais me prêter avec une centaine d’actrices et d’acteurs de tous les âges et aussi des étudiants à une expérience sur la mémoire dans un centre de recherches à Caen qui cherche à identifier les circuits de la mémorisation. Si cela se trouve, je vais découvrir que ma mémoire est défaillante.
- Cela doit être agréable de susciter autant de désir chez les metteurs en scène de théâtre et de cinéma…
- Avoir 70 ans me fait rentrer dans la catégorie des vieux acteurs «bankable». Une pièce de théâtre se monte plus facilement avec le nom de Pierre Arditi, André Dussollier, Niels Arestrup ou le mien, à l’affiche. Je ne suis pas dupe… Mais oui, j’aime toutes ces propositions, surtout celles qui me donnent la possibilité d’explorer de nouvelles pistes. Cela a été le cas avec ce film Last Dance. Je joue un personnage, Germain, qui devient veuf subitement et qui, pour respecter la promesse faite à son épouse, poursuit ce qu’elle avait entrepris: un travail chorégraphique.
- Vous connaissiez la chorégraphe La Ribot?
- Non et d’ailleurs quand Delphine Lehericey, la réalisatrice, m’a montré son travail j’ai eu la même expression de surprise un peu dépitée que mon personnage! Cela m’a rappelé mes débuts dans le théâtre dans les années 70, quand je m’essayais au Living théâtre, ce courant visant la confusion entre le spectateur et l’acteur, la réalité et la fiction, et que je courais nu sur scène en criant. Mais j’ai succombé au charme de La Ribot: elle a vraiment un talent relationnel incroyable. Elle sait saisir l’unique chez les gens.
- Ce personnage de Germain, 75 ans, vous fait jouer sur deux tableaux: l’amoureux inconsolable du décès de son épouse et le père infantilisé par ses enfants qui le surprotègent.
- J’ai beaucoup aimé ce personnage. J’ai été touché par le fait qu’il reste profondément attaché à sa femme et lui reste fidèle jusqu’à tenir la promesse de continuer ce qu’elle avait amorcé, c’est-à-dire la danse. Je n’ai pas compris tout de suite que ce film serait une comédie. Pour moi, la perte d’un être cher est tellement terrible que, spontanément, je ne vois pas comment on peut intégrer cela dans un scénario comique. Sans doute parce que je ne me remets pas de la perte de ma mère. C’était il y a plus de quarante ans, et cela reste douloureux pour moi.
- Qui était cette mère?
- C’était une mère aimante! Elle nous aimait, mon frère et moi, d’une manière inconditionnelle. Elle n’était pas possessive, mais je me suis senti aimé au-delà de tout. Et puis, c’était une belle femme avec des yeux pers qui changeaient de couleur en fonction de ses vêtements. Elle était joyeuse, dynamique et cheffe d’entreprise. Quand elle est décédée, l’un de ses salariés, d’origine maghrébine, est venu me dire plein d’admiration: «Ta mère, c’était un homme!» Elle était née en 1921 et avait connu les privations de la guerre. Elle a donc été écologique avant l’heure: elle ne jetait rien, récupérait les bouts de ficelles, les timbres qui n’avaient pas été oblitérés. Elle ne pouvait pas s’en empêcher.
Scène du film Last Dance avec François Berléand (à dr.) et l’acteur suisse Kacey Mottet-Klein (torse nu). © DR
- Comment réagiriez-vous si vos enfants étaient aussi intrusifs «pour votre bien» que ceux de Germain ?
- J’aurais un fils comme celui de Germain, je le tuerais! Cela me serait intolérable de subir une ingérence pareille dans ma vie. Par chance, mes deux enfants adultes ne réagissent pas ainsi. Hier, mon fils de 44 ans m’entendant tousser au téléphone, m’a juste demandé si j’avais été consulter un médecin et, comme je l’ai rassuré, la conversation s’est orientée vers un autre sujet que ma santé. Heureusement que c’est une femme qui a écrit le scénario de Last Dance. Si cela avait été un homme, on lui aurait sans doute reproché d’avoir des idées stéréotypées en tête, comme celle qui veut qu’un veuf soit incapable de se prendre en charge, de faire ses courses, de cuisiner!
- Et, finalement, vous l’avez perçue la dimension comique du film Last Dance?
- Bien-sûr. Et j’ai même assisté aux rires du public à Locarno. Je ne sais pas si c’est grâce à ce public si emballé par le film qu’il a applaudi longtemps, mais, pour la première fois, je ne me suis pas trouvé trop mauvais à l’écran.
- Pour la première fois?
- Je suis toujours déçu par ce que je vois au visionnage de l’un de mes films. Soit par mon apparence; j’ai de plus en plus de mal à me reconnaître sous les traits du vieil homme que je suis devenu. Soit par ma prestation d’acteur, soit par la prise gardée par le réalisateur. Il n’y a rien de plus frustrant que savoir que le réalisateur avait à disposition plusieurs prises d’une même scène, certaines avec des nuances subtiles et découvrir, à l’arrivée, qu’il a choisi la moins bonne pour des raisons pas toujours rationnelles. Je suis très content d’avoir tourné Last Dance, c’est un joli film émouvant.
- Vous jouez entouré de comédiens belges et suisses, notamment Brigitte Rosset et Dominique Reymond…
- Dominique Reymond est plus parisienne que suissesse. On s’est connus à Paris, tout jeunes comédiens. Je l’adore et c’est moi qui lui ai demandé de jouer ma femme. C’est un petit rôle, mais j’avais envie qu’elle le fasse.
- Vous avez le sens de la camaraderie…
- Si je peux mettre des copains sur des plans, je le fais. Mais ce qui me guide souvent, c’est le plaisir de jouer avec certains. J’aime jouer d’une façon générale, mais, en particulier, avec les comédiens qui jouent «avec». Moins avec ceux qui jouent «contre».
- Qu’entendez-vous par là?
- Il y a des acteurs qui jouent contre leur partenaire pour attirer l’attention sur eux. Je vais vous donner un exemple précis: je répète en ce moment une pièce avec Niels Arestrup (NDLR 88 fois l’infini, bientôt en tournée en Suisse) et c’est malheureusement, un acteur qui joue «contre». Au moment de mon monologue, il fait du bruit exprès pour attirer l’attention sur lui. Je le lui ai fait remarquer et lui a rappelé que notre ancienne professeure de théâtre, la comédienne Tania Balachova, nous avait appris à jouer «avec» et non «contre». Il m’a envoyé balader. J’ai dû mal à comprendre cette attitude. Cela correspond si peu avec ma manière d’envisager le métier. J’aime les gens, moi, j’aime regarder comme les autres s’y prennent pour jouer ceci ou cela.
- Comment vous sentez-vous dans le monde d’aujourd’hui? Vous qui avez eu 20 ans au début des années 70?
- Comme beaucoup de personnes de ma génération, je suis agacé par la même chose: le délitement de valeurs qui comptent pour moi. Le respect du principe démocratique, par exemple. Je vis mal le fait que, au prétexte de convictions écologiques, certains prennent l’espace public en otage. Je pense à ceux qui s’opposent aux retenues d’eau en France. Leur principe ayant été validé à l’issue de procédures démocratiques, s’y opposer s’apparente, selon moi, à une forme de fascisme. Je regrette aussi la si mauvaise application de la Loi de 1905 sur la laïcité dont la France est dotée, et le manque de respect, notamment à l’égard des plus âgés. L’existence des maisons de retraite me fait violence. Je trouve hallucinant que les familles se débarrassent des plus vieux. Cela me donne le cafard, sans doute aussi parce que je vais devenir vieux assez vite!
- Auriez-vous vécu avec vos parents âgés?
- Oui, sans réfléchir. Mais je reconnais que cela m’est facile de répondre ainsi, car ma mère est morte d’un cancer à l’âge de 56 ans. Quant à mon père, qui s’était remarié, il vivait avec sa seconde épouse quand il est décédé à 77 ans. Quand même… si ma mère était encore de ce monde, je m’occuperais d’elle. Je ne supporterais pas de la savoir seule dans une résidence pour vieux, après tout ce qu’elle a fait pour moi et mon frère.
- Certaines personnes préfèrent rejoindre une maison de retraite plutôt qu'avoir la sensation d’être un poids pour leurs enfants…
- Si c’est un choix personnel, évidemment, cela ne se discute pas. N’empêche que, à chaque fois que je vois des vieux assis devant une maison de retraite, cela me navre. On aurait pu trouver d’autres manières de finir sa vie.
- Aimeriez-vous que vos enfants vous prennent en charge, plus tard ?
- Dans 15 ans, j’aurai 85 ans. L’âge où ça peut basculer. Je sais que je travaillerai jusqu’à ce que je ne puisse plus: j’aime être sur un plateau de théâtre ou de cinéma. Je ne m’envisage donc pas retraité. Je n’ai pas élevé mes enfants pour qu’ils soient des cannes de vieillesse. J’aime que mes enfants soient attentifs à moi, qu’ils répondent à mes propositions de nous retrouver pour une semaine de vacances, de temps en temps. Mais je peux vivre sans être entouré de leur sollicitude. C’est ce que j’apprécie avec les tournées: pouvoir m’extraire de ma vie de famille et vivre à l’hôtel pendant quelques semaines sans avoir de comptes à rendre s’il me prend l’envie de sortir pour aller au cinéma.
- Vous partez toujours en cure de jeûne, l’été? Vous en aviez parlé lors d’un précédent entretien pour générations.
- Oui, c’est devenu une habitude: démarrer l’été par deux semaines de jeûne. Cela me fait un bien fou. Cela m’apaise et remet les pendules à zéro. Je vais beaucoup au restaurant, notamment durant les tournées et comme je suis gourmet… Cette année, j’ai ajouté au jeûne, la méditation. J’ai appris à me recentrer sur moi en pratiquant des exercices de respiration. Cela a été une révélation. Depuis, quand je me sens stressé, avant de monter sur scène avec Arestrup (rires), je pratique la méditation!
- Quels sont les films qui vous laissent un souvenir heureux ?
- Ma rencontre avec Pierre Jolivet, qui m’a confié un rôle important dans Ma petite entreprise et m’a valu un César du meilleur second rôle en 2002, a été importante. Il m’a aidé à lâcher prise. Plus tard, j’ai eu la chance d’être choisi par le brillantissime Claude Chabrol pour deux de ses films (L’ivresse et La fille coupée en deux) et un téléfilm (Le petit fût, adaptation de Maupassant). Travailler avec lui a été un grand bonheur. Quand je lui demandais: «Qu’aimerais-tu que je fasse, là?» Il me répondait: «Je t’ai choisi parmi 10'000 acteurs, tu ne vas pas m’emmerder à me demander quoi faire. Tu fais. C’est toi le pro!»
Propos recueillis par Véronique Châtel
Last Dance ou le travail de La Ribot à l’honneur
La Ribot, 60 ans, est une danseuse, chorégraphe, vidéaste, plasticienne d’origine espagnole, qui vit et travaille à Genève depuis 2004. Figure de la danse contemporaine, couronnée de nombreux prix internationaux, elle considère l’expression corporelle comme « un langage qui sort par le corps. » Elle sait décrypter les langages de ceux qui n’ont pas les codes de la danse et les sublimer dans des chorégraphies étonnantes. Voilà pourquoi elle collabore régulièrement avec des danseurs amateurs. C’est ce travail que la réalisatrice de Delphine Lehericey a filmé pour Last Danse et auquel s’intègre François Berléand.
Des séances exclusives avec Pro Senectute
Pro Senectute propose en janvier prochain et en exclusivité des séances dans toute la Suisse romande:
- Vendredi 20 janvier, au cinéma Scala de La Chaux-de-Fonds
- Samedi 21 janvier, au cinéma Rex de Neuchâtel
- Vendredi 27 janvier, au Cinémont de Delémont
- Samedi 28 janvier, au cinéma Beluga de Bienne
Avant-premières possibles grâce au partenariat avec la Fondation la Chrysalide.
Entrée libre (chapeau à la sortie) pour les 100 premières inscriptions, ensuite CHF 10..-frs p.p. - Inscriptions : 032 886.83.02, ProSenectute.CF@ne.ch
- Lundi 23 janvier, au cinéma Le Prado de Bulle (Gratuit - Collaboration Pro Senectute Fribourg avec la ville de Bulle. Séance suivie d'une discussion. Infos et réservation (possible mais pas obligatoire): 026 347 12 93)
- Lundi 13 février au cinéma Rex de Fribourg (13.- frs - dans le cadre de Dolce Vita (ciné des aînés) - www.cinedolcevita.ch/fr/)
Collaboration Pro Senectute Fribourg avec la ville de Bulle. Séance suivie d'une discussion. Infos et réservation (possible mais pas obligatoire): 026 347 12 93
- Mardi 24 janvier, aux cinémas Scala de Genève (projection privée sur invitation)
- Vaud: Plusieurs lieux vaudois dans le cadre de ciné-seniors
>> La bande annonce du film: