Télémédecine, la grande crainte des seniors

La télémédecine présente une série de progrès en termes de prévention dans le domaine de la santé et du maintien à domicile. Encore faut-il savoir de quoi on parle exactement. © iStock

En plein boom, la télémédecine et les offres d’appareils connectés ne vont pas de soi. La consultation physique est toujours plébiscitée. L’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile en a fait le constat tout récemment.

Se connecter sur Zoom pour parler à ses petits-enfants, ça passe bien. Parler en ligne à son médecin traitant ou mesurer sa tension avec son smartphone, c’est moins excitant. Si la pandémie de Covid-19 a boosté la médecine à distance, en Suisse comme ailleurs, avec de plus en plus de téléconsultations, la numérisation de la médecine est encore loin de convaincre tout le monde. L’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile (AVASAD) a pu le vérifier en interrogeant, via une étude récente (voir tableau ci-dessous), ses bénéficiaires sur leurs attentes en matière de santé: les offres d’appareils connectés et de télémédecine ne sont pas plébiscitées par les seniors interrogés (31% et 28% respectivement). Pourtant, comme le souligne, Susana Garcia, la directrice générale de l’AVASAD: «Il s’agit d’une lame de fond et la question est plutôt de savoir à quel moment et comment ces nouvelles technologies vont être intégrées dans le processus de maintien à domicile et non pas si cela se fera.»

>> Lire aussi: La télémédecine au service de la cardiologie 

Faut-il s’en étonner? «Oui et non», répond Jean Gabriel Jeannot, médecin à Neuchâtel, spécialiste en médecine interne, passionné par le numérique et l’innovation en médecine. « Pour être plus précis, ce n’est pas surprenant pour les objets connectés. Cela l’est plus pour la télémédecine.» Et de pointer du doigt les fausses croyances qui parasitent le débat: «On a tendance à penser que la télémédecine doit remplacer la consultation présentielle, explique Jean Gabriel Jeannot. Ce sont pourtant deux choses différentes, idéalement complémentaires. Lorsque cela est nécessaire et possible, rien ne remplace une rencontre physique. Mais, parfois, la personne n’a pas besoin de voir le médecin. Une jeune femme qui a des symptômes d’infection urinaire connaît souvent le diagnostic et même le traitement adéquat. Les consultations à distance peuvent ainsi s’inscrire en complément à des consultations présentielles dans le cas de maladies chroniques comme en ont les seniors.» 

Présence physique indispensable

Un constat qui rejoint la philosophie de Susana Garcia: «Notre mission, c’est de faire en sorte que la personne puisse maintenir son autonomie. Bien sûr, la télémédecine peut établir un contact visuel et phonique permettant d’observer la personne chez elle et d’adapter une prochaine intervention. Tout en permettant un contact qui améliore le suivi. N’en demeure pas moins que dans le maintien, l’aide et les soins à domicile, le fait de se rendre chez la personne demeure essentiel. L’intervention humaine doit être maintenue, garantie, développée et soutenue. Notre enquête révèle une grande solitude, accentuée pendant la pandémie. La dimension sociale de l’action des CMS est essentielle.» 

Selon Jean Gabriel Jeannot, les soins à distance offriraient toutefois une plus grande proximité. «Pourquoi? Mais tout simplement parce que vous pouvez poser des questions sur votre santé qui ne justifieraient pas de rendez-vous médical et de consultation.» Jean Gabriel Jeannot pointe aussi du doigt le flou qui règne encore sur les contours de la télémédecine: «La grande majorité des professionnels de la santé n’a pas une idée claire sur ce qui peut être soigné à distance et ce qu’il ne peut pas l’être. Formulé autrement, ils pensent que seule une minorité des problèmes de santé peuvent être réglés à distance, ce qui n’est pas vrai.» 

D’où la nécessité d’une formation qui soit en phase avec la télémédecine et ses applications concrètes. Pour Susana Garcia, la prévention et la promotion de la santé, soutenues par les nouvelles technologies, sont «des éléments essentiels pour assurer un maintien à domicile en sécurité et avec une belle qualité de vie, notamment en tenant compte de l’évolution démographique à venir», conclut-elle.

Dans un environnement toujours plus numérisé, l’AVASAD cherche à combiner différentes possibilités, sans a priori. Avec toutefois ce constat: «La fracture numérique est palpable, surtout dans les foyers les plus modestes.» Près de deux tiers des seniors interrogés dans l’étude disent d’ailleurs avoir besoin d’être mieux informés et de savoir où trouver des données pertinentes. «Il est compliqué de savoir qui offre quoi et ce qui est adapté à ses besoins, observe Susana Garcia. Les CMS ont un rôle à jouer pour orienter les personnes dans une offre pléthorique.»

Obstacles technologiques

Jean Gabriel Jeannot reconnaît quelques obstacles technologiques à surmonter. «Pour une télémédecine valable, il faut que la connexion Internet soit de qualité. Si l’on parle de vidéo consultation, l’image doit être bonne.» L’écueil financier n’est pas non plus négligeable: «Les consultations électroniques ne sont actuellement en théorie remboursées que pour les téléphones (Tarmed). Le courriel et la vidéoconsultation ne le sont pas.»

Reste que dans les faits, on l’a vu, les obstacles sont avant tout culturels: «Ni les professionnels de la santé ni les patients ne sont habitués aux soins à distance.» Pour ce spécialiste, les réticences ne devraient toutefois pas enrayer le développement de la télémédecine: «Ne pas s’appuyer davantage sur les soins à distance alors que le nombre de médecins généralistes diminue, que les services d’urgence sont saturés et que les coûts de la santé explosent, ce n’est tout simplement pas acceptable.» 

L’appareil connecté ne fait pas tout

Comme pour la télémédecine, l’accueil plutôt tiède réservé aux appareils de consultation repose sur un malentendu généralisé: «Nous avons tendance à croire que l’innovation, technologique ou numérique, est suffisante en elle-même, explique Jean Gabriel Jeannot. Or, se peser sur une balance, connectée, quitte à récupérer chaque jour la mesure sur son smartphone, ne suffit pas à perdre du poids. Malheureusement! Ce n’est donc pas l’outil qui est intéressant, mais bien ce que l’on peut faire avec lui.» 

Le spécialiste déplore l’absence d’enseignement sur les appareils connectés et le flou ambiant qui les entoure: «Les études prouvant l’utilité médicale des objets connectés sont rares. A ma connaissance, le seul exemple est la mesure du taux de sucre chez les patients diabétiques qui permet un meilleur contrôle de leur diabète.» Et de s’interroger: «Nous avons tendance à penser que la mesure est utile en elle-même. Ne perdons pas de vue qu’une valeur de tension artérielle seule ne sert à rien. Encore faut-il qu’elle puisse être valorisée, par le patient lui-même ou par le médecin.»

Nicolas Verdan

 

 

0 Commentaire

Pour commenter