Miracles: ces fontaines aux vertus exceptionnelles

Olivier se rend à la fontaine de la route des Paysans quand, comme aujourd’hui, les lieux sont peu fréquentés. Parce que le week-end, ici, c’est la cohue. ©Sandra Culand/DR

Dans le Jorat vaudois, en terres fribourgeoises, en Valais et dans le Jura, entre autres, coulent des sources aux vertus hautement gustatives et, paraît-il, curatives ou miraculeuses. A boire donc sans modération. 

En ce mois de juin capricieux, la pluie tombe en trombes sur Lausanne et toute la campagne environnante. Toute ? Non. Car au cœur du Haut Jorat, pour l’heure, il n’y a d’eau que celle coulant du goulot de la fontaine de la route des Paysans. « Cela fait plus que vingt ans que je la bois. Elle est vraiment géniale ! » Sahin Okkes, habitant le village tout proche d’Epalinges, a garé son taxi Mercedes devant un imposant bassin en bois. Comme souvent, il prend le temps de remplir des bouteilles pour la maison. « Elle est connue pour être une fontaine de jouvence. En tous les cas, prenez n’importe quelle eau minérale en bouteille et comparez-la avec celle-ci. Vous y reviendrez ! »

Tandis que Sahin Okkes fait ses provisions du précieux liquide, deux voitures viennent se ranger derrière la sienne. L’une a les plaques valaisannes. On vient de loin pour s’abreuver à cette source à laquelle sont attribuées mille vertus. « J’étais gamin qu’on parlait déjà de cette fontaine, se souvient Olivier, lui aussi du coin. Le week-end, quand la météo est au beau, j’évite de venir ici. Il y a tellement de monde qu’on doit faire la queue. » Mais qu’est-ce qui attire donc tant de monde autour de ce bassin rudimentaire, le long de cette route en pleine forêt ? Qualifiée de naturelle, garantie sans produits chimiques, son goût est « unique ». Qui plus est, même si rien ne le signale, cette eau aurait également des propriétés « magiques ». 

Une fontaine de jouvence

De fait, épargnée par la pollution humaine, cette fontaine capte l’eau de la source en pleine forêt. Brisant un peu le charme, les analyses biologiques et physico-chimiques la qualifient de potable sans y déceler cependant la moindre caractéristique particulière. Pas de quoi décourager l’enthousiasme des gens qui viennent ici, leur coffre bourré de bidons. Avec des motivations, il est vrai, différentes : « Cette eau a un goût pur », dit un jeune homme. Son père ajoute : « Elle est surtout moins chère qu’au supermarché. » Gratuite, certes, mais surtout d’une valeur inestimable, disent celles et ceux qui boivent son eau avec en tête un perpétuel rajeunissement. Le ciel passe du gris au noir. Si l’on veut se désaltérer, mieux vaut se dépêcher. Il est en effet déconseillé de boire à la fontaine à la suite d’un épisode orageux.

 

En Suisse romande, rares sont les fontaines dites « miraculeuses » ou    « guérisseuses » (lire encadré). L’une des plus connues se situe à Posat, sur la commune fribourgeoise de Gibloux, dans le giron d’une chapelle dédiée à la Vierge, construite par les jésuites de Fribourg au XVIIe siècle. Son eau guérirait toutes maladies des yeux. « Une spécialisation tardive, née, semble-t-il, au XIXe siècle », explique Ivan Andrey, historien d’art qui a travaillé au Service des biens culturels de l’Etat de Fribourg. C’est à l’occasion de la restauration de la chapelle de Posat qu’il s’est intéressé à l’histoire de cette fontaine : « Elle est construite au fond d’une cuvette, là où convergent une série de ruisseaux souterrains qui se rassemblent dans la source située sous l’édifice. » Les jésuites l’ont faite sortir dans une fontaine ouvragée qui a présenté cinq goulots jusqu’au début du vingtième siècle. Ivan Andrey a consulté les archives de ces religieux qui ont consigné un certain nombre de miracles constatés chez ceux qui buvaient l’eau de Posat : « Des malades mentaux, des « énergumènes », des paralysés mais également du bétail. »

 

Les sources et autres fontaines miraculeuses sont toujours chargées d’histoire. « Pour l’historien, explique Ivan Andrey, le point de départ habituel, ce sont les noms de lieux, attestant de phénomènes anciens de cultes des sources, antérieurs au christianisme. » Les Celtes, en particulier, révéraient des éléments naturels, tels que l’eau vive, les pierres ou les arbres. Faute de source ( !) écrite pour cette période, la toponymie offre ainsi de précieux éclairages. A Cheyres (FR), Notre-Dame de Bonnefontaine est pour le moins explicite. Avec Posat, la référence à l’eau est indirecte, ce nom signifiant le « puits ». 
Ivan Andrey voit là un phénomène « classique » de récupération de cultes païens : « L’Eglise a été habile. Pour ce qui est des dieux romains, Jupiter ou Diane, il était facile d’abattre une statue. » En revanche, concernant de telles vénérations, centrées sur la santé et la guérison, personne n’a pu empêcher les fidèles d’aller puiser de l’eau de source.

 

Ça peut aider

« Aujourd’hui encore, la médecine moderne ne suffit pas à certaines personnes, rappelle Ivan Andrey. On va simplement puiser de l’eau qui peut soi-disant vous aider. C’est un besoin tellement fondamental. » Preuve de la longévité de ces lieux de culte « thérapeutiques », la présence, nombreuse, d’ex-voto : « A Posat, il n’en existe plus, déplore Ivan Andrey. Or, on sait qu’il y en avait beaucoup avant leur destruction. L’Eglise, les appelait des anathèmes. » Avant d’affirmer que c’était bien la Vierge Marie qui rendait la source miraculeuse. 

 

A force de se rendre souvent à Posat, Ivan Andrey a rencontré bon nombre de personnes venues faire le plein d’eau pour guérir leurs yeux malades : « C’est une survivance touchante, à laquelle on ne saurait être insensible, tant elle évoque une forme de détresse. » Si l’Eglise a désormais tendance à ignorer de tels lieux de culte, les pèlerins, eux, ont la conscience diffuse d’y accomplir un vieux pèlerinage à la source. 

 

Des miracles au goulot

Les « bonnes fontaines » guérisseuses n’ont jamais cessé d’attirer des personnes dévotes ou espérant le miracle ou une guérison. 

 

Fontaine de l'abbaye de Humilimont, dans le canton de Fribourg


©Sandra Culand/DR

La première chapelle de Posat aurait été construite vers 1140 par les seigneurs de Pont pour l’abbaye de Humilimont. Le couvent fut supprimé en 1580. La chapelle originale de Posat, datant de l’époque de la fondation du couvent, a été détruite, puis rebâtie et consacrée en 1680 par les jésuites; dédiée à la Vierge Marie, elle devient un lieu de pèlerinage au moins depuis le XVIIe siècle, les fidèles venaient prier devant une statue qualifiée de « miraculeuse », mais toute vermoulue. En 1677, l’ancien sanctuaire fut remplacé par une chapelle style renaissance plus vaste et mieux ornée. En contrebas de celle-ci se trouve la fontaine censée guérir les maux des yeux, avec niche à coquille et bassin à godrons.

 

 

Fontaine de Sainte Colombe, dans le canton du Jura


©Adrian Michael/DR

Sur la rive gauche de la Sorne, au sud-ouest de la vallée de Delémont, une vaste grotte accueille des pèlerins chrétiens depuis le XIIIe siècle déjà. Elle est mentionnée dans des documents de l’Eglise et de la communauté de Undervelier. Chaque année, le 15 août, on y vient se recueillir devant la statue de la Vierge et, chaque jour, des fidèles allument de nombreux cierges. On raconte que de nombreux prodiges se sont produits dans cette grotte. Des femmes, venant parfois de bien loin, amenaient leurs enfants faibles, débiles ou rachitiques. Elles priaient à genoux devant la croix placée à l’entrée de la caverne, puis les plongeaient dans l’eau de la source. Certains d’entre eux, et même des adultes estropiés, en seraient ressortis sains. De nos jours, les communautés portugaise, espagnole et italienne sont les plus ferventes et y déposent régulièrement des ex-voto. Avant l’été, la source n’est pas tarie et l’eau jugée miraculeuse remplit le bassin situé au fond de la voûte naturelle. On y trempe ses pieds ou on s’y lave les yeux en se marquant du signe de la croix, avec une ferveur comme celle qui s’exprime à Lourdes.

 

 

BonneFontaine, dans le canton de Fribourg


©Sandra Culand /DR

 

Comme ici à Cheyres, sur la rive sud du lac de Neuchâtel, les lieux appelés « Bonnefontaine », en Suisse romande et en France, sont souvent issus d’un culte celtique. Ivan Andrey rappelle qu’il existait une source nommée « Bonnefontaine » sur les flancs du Moléson, qui recevait encore les offrandes des pèlerins vers la fin du Moyen Age. La chartreuse de la Part-Dieu, située en contrebas, en revendiquait le produit des offrandes. La chronique mentionne le caractère religieux de la Bonnefontaine de Cheyres depuis l’an 1636, en pleine période de peste. Des témoins ont parlé d’une source miraculeuse liée à une « belle image » (Marie, sans nul doute) se montrant devant un bouleau, ayant à ses pieds des œillets et des roses. Le pèlerinage est toujours vivace. L’oratoire actuel remonte à la fin des années 1950. On puise au robinet l’eau de la source.

 

La source d'Embrun, dans le canton du Valais


©Le Nouvelliste/DR

Sur la commune de Saint-Martin, il est un trésor que les anciennes et les anciens connaissent bien : la source d’Embrun, située à 1675 mètres. Désormais assortie d’une fontaine en bois, elle n’est peut-être pas miraculeuse. Mais elle n’en est pas moins curative. La célèbre herboriste Germaine Cousin-Zermatten le sait bien, elle qui entendait parler de ces enfants grippés mieux portants après en avoir bu une rasade. Son fils Raymond utilise l’eau d'Embrun pour ses produits vendus sous l’enseigne de Santissa. « Elle ne se dégrade jamais. Les analyses géobiologiques révèlent un haut taux vibratoire. »

 

 

Nicolas Verdan

 

 

 

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