Yves Brunelli, le Valaisan qui tutoie les vipères
«Les vipères, ce sont mes chéries.» Un mâle adulte dans la main, caressé par un oblique rayon de soleil matinal dans le val d’Arpette, dans les hauteurs de Champex-Lac (VS), ce mordu de reptiles qu’est Yves Brunelli, 60 ans, se confie en toute simplicité. Il a 12 ans quand son père, le prof de maths sédunois et fameux mycologue François Brunelli, lui ramène une couleuvre d’esculape: «J’ai flashé! Papa, ai-je dit, je ferai ça de ma vie: chercher des serpents.»
Depuis, ce passionné, qui en a fait son métier, n’a cessé de développer son savoir en autodidacte, à commencer par les vipères, dont il est à la fois un spécialiste hors du commun et, surtout, un protecteur.
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Rien que cette année, en Valais et ailleurs en Suisse, Yves a découvert 768 vipères. Sa photothèque comporte 140'000 prises de vue. Cherchant la bonne lumière pour révéler l’incroyable variété de couleurs des peaux recouvertes d’écailles, il réalise de superbes portraits de chacune de ses rencontres reptiliennes.
Ce matin, en cette fin d’été, nous suivons Yves dans un pâturage humide de rosée. «Cela fait plus de quarante ans que je viens chercher des vipères ici. Elles n’aiment pas les grands pierriers. Ici, ce sont des petits tas de pierres dispersés, ce qui permet aux mâles de se déplacer en période d’accouplement pour rechercher des femelles.»
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Difficiles à voir
Toutes les conditions sont réunies pour faire connaissance avec les vipères. La météo, tout d’abord: des températures en hausse. «Il fait bon, sans faire trop chaud.» Profitant d’une dernière période d’insolation avant leur hibernation, les vipères se délectent encore du soleil. Aura-t-on quelque chance d’en apercevoir? «Ce ne sont pas des animaux difficiles à trouver. Par contre, ils sont difficiles à voir pour des yeux non avertis, tant ils savent se mimétiser avec leur biotope.»
Pour l’heure, nous visons la lisière de forêt, direction un tas de pierres chauffées par le soleil. Et c’est là qu’on aperçoit notre première vipère aspic atra du jour. Lovée dans des myrtilliers, sur un tapis de mousse, elle se laisse attraper par Yves Brunelli. Avec une dextérité féline, il la saisit par la queue de sa main libre, avant de la faire passer dans son autre main, gantée avec un cuir épais. Ses gestes, précis, d’une grande douceur, témoignent tout à la fois d’un respect de l’animal et d’une connaissance approfondie de ses réflexes et de ses humeurs.
Après avoir observé son comportement, calme, Yves ôte son gant et offre sa main en support au serpent. On ne peut s’empêcher de lui poser la question qui tue: «Même pas peur?» La réponse coule de source: «Non, j’ai bien plus peur des gens que des vipères. En ce qui me concerne, je ne considère pas cet animal comme dangereux. Venimeux, oui, mais pas dangereux.» Mais attention, prévient aussitôt Yves, «les gens n’ont pas le droit de les toucher, ni de les manipuler ou de les capturer. Et les morsures sont inévitables pour toute personne ne sachant pas s’y prendre.»
«J’ai failli y passer»
Lui-même s’est fait mordre à plusieurs reprises. Toujours par inattention, ou parce qu’il était lui-même nerveux, la tête ailleurs. La huitième morsure, au fond de la vallée de Conches, a failli lui être fatale. Il s’est retrouvé plusieurs jours aux soins intensifs de l’hôpital de Sion. «Jusqu’alors, les morsures n’ont jamais nécessité une hospitalisation. Ce coup-ci, en revanche, j’ai failli y passer. J’ai fait un choc anaphylactique et trois arrêts cardiaques.»
Son expérience et ses conseils valent à Yves de collaborer avec le service de l’environnement valaisan. Il est aussi mandaté par des privés pour déplacer des serpents indésirables dans des propriétés ou dans des alpages. Les médecins, les secours en montagne ou la police n’hésitent pas à l’appeler quand il y a des morsures de vipère: «Les médecins sont compétents, mais ils ont des lacunes. Contrairement au Brésil, qui compte 15'000 morsures par an, on en a entre 12 et 14.»
Agressive
Plus tard dans la matinée, Yves tombe sur un bébé vipère qui serpente dans les herbes couchées par les vaches. «Il est né cet automne. Il cherche encore un endroit pour se cacher, car les bébés n’ont pas encore le réflexe de se trouver un petit territoire à eux.»
À force d’explorer les environs, Yves reconnaît des vipères rencontrées des années plus tôt. «Elles, en revanche, ne me connaissent pas. Elles ont un cerveau reptilien.» Aujourd’hui, dans un coin où il ne manque jamais d’en débusquer, il fait connaissance avec une belle vipère noire. Laquelle s’empresse de mordre son gant, laissant une trace de venin jaune. Avec celle-ci, pas question de manipulation sans protection. En Valais et dans d’autres régions des Alpes, Yves fait la distinction entre deux types de coloris noir: les vipères aspic atra mélaniques (elles ont l'œil absolument noir et toute l’écaillure de la même couleur et sans motif) et les mélanotiques (elles ont l’œil de couleur normale et les motifs du corps souvent très foncés, mais toujours visibles).
Prédateur, comme l’explique Yves, l’homme tue les vipères par crainte, superstition, bêtise ou habitude. Collectionnées, volées, vendues et revendues, elles subissent également les affres du trafic de reptiles. Mais il y a aussi un oiseau qui décime leur population: le circaète Jean-le-Blanc, qui en mange jusqu’à 600 par année.
Question, tout de même. Sont-elles stressées par ces rencontres et ces séances photos? «Non. Je les prends avec délicatesse et les remets où je les ai trouvées. Elles sont stressées par les ignorants qui essaient de les attraper et qui vont jusqu’à démolir des pierriers pour les capturer.»
Les conseils d’Yves Brunelli
- Ouvrez l’œil en montagne quand il y a des tas de pierres, des myrtilliers. Les regarder, les photographier, OK. Mais à distance respectable. Ne pas les toucher, jamais!
- En cas de morsure de vipère, ne pas s’agiter, rester calme, s’asseoir à l’ombre, ne pas paniquer. Appeler le 144.
- Taper du pied ou du bâton pour les éloigner: ça ne marche hélas pas à tous les coups.
- Bon à savoir: Yves Brunelli donne des conseils… et des conférences. Il suffit de l’appeler au 079-715 63 17.