Virginie Rebetez: la mort et moi
Votre première confrontation avec la mort?
Si on parle de véritable confrontation, je dirais que c’est la première fois où j’ai vu, et touché, un corps mort. C’était à la fin de mes études d’art à Amsterdam, dans le cadre d’un projet artistique où je photographiais des habits de personnes décédées que personne ne réclame. Un employé des pompes funèbres m’a proposé de l’accompagner à la morgue, où il devait prélever un corps. C’est là que je me suis retrouvée devant une vieille dame toute nue, belle, paisible. Je l’ai lentement approchée et j’ai ressenti un grand apaisement. C’est une étape importante dans ma vie.
Pourquoi un apaisement?
Peut-être d’avoir vu que ce n’était qu’une coquille vide. D’avoir affronté le tabou, cet effroi que la plupart des gens ressentent à l’idée de voir un mort.
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Certains affirment qu’ils n’ont pas peur, j’ai de la peine à les croire”
D’où vient cette peur?
Beaucoup de gens craignent que cette dernière image n’efface toutes les autres. C’est ce que j’entends quand il est question de photographie funéraire, un service que je propose à côté de mes projets artistiques. Des personnes m’expliquent qu’elles préfèrent garder seulement les souvenirs heureux. Mais souvent, ces mêmes personnes m’avouent avoir pris, en douce, une photo du défunt, sans vraiment savoir pourquoi!
Vous savez pourquoi, vous?
Je crois que nous avons besoin de capturer, de retenir l’image de ce qui s’en va. C’est une manière de lui donner une place, de le faire exister. On n’a pas besoin de mettre la photo sur son frigo! On peut la ranger dans un tiroir, l’important c’est qu’elle soit là.
Parlez-nous de votre grand-tante, qui vous a commandé son dernier portrait…
J’étais en première année de l’école de photo à Vevey. Elle était très malade et m’a demandé de venir faire des photos d’elle et de son mari. Cette journée passée avec eux m’a ouvert à des questionnements probablement fondateurs pour mon travail artistique. Sur l’image, l’absence, la disparition, la trace…
Votre mort, vous y pensez?
Oui, beaucoup. Certains affirment qu’ils n’ont pas peur, j’ai de la peine à les croire. C’est si naturel d’appréhender ce grand voyage dans l’inconnu. Les gens me demandent souvent d’où vient mon intérêt pour la mort. Moi, la question que je me pose, c’est: comment peut-on ne pas s’intéresser à la mort?
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Imaginez-vous votre enterrement?
Oui, je veux des pleureuses! Et un corbillard vintage, comme en Amérique latine. J’ai fait mes demandes à mes amis. L’une va gérer les pleureuses, l’autre est chargé de l’habillement. Je me vois tout en noir, à la sicilienne, avec de beaux ongles rouges et de hauts talons noirs, dans un cercueil tendu de satin noir et blanc. Il faut se faire plaisir.
Et votre portrait funéraire?
J’en veux un, mais je ne sais pas encore à qui le commander. Peut-être à plusieurs photographes différents et ensuite ils feraient une expo, ce serait sympa! En fait, le rêve, ce serait de faire de ma mort un projet artistique. C’est une bonne manière de mettre l’angoisse à distance: confrontée à une réalité difficile, je pense «projet»…
Comment aimeriez-vous vivre le dernier jour de votre vie?
La question qui m’occupe: quelle dernière image verront mes yeux avant de se fermer? Souvent, dans telle ou telle situation, je me dis: non, pas ça! Par exemple, en regardant mon voisin assis dans l’avion ou le plafond au-dessus de mon lit… Pour le reste, je crois que j’aurais envie d’être seule. Mourir, c’est quitter les autres, mais c’est aussi se dire au revoir à soi-même.
Exposition de Virginie Rebetez
Prochaine expo (collective) à Genève, dès le 26 août.
Infos sur le site de l'artiste virginierebetez.com