Joseph Incardona: la mort et moi
Quelle a été votre première confrontation avec la mort?
C’est la question de la première fois, celle où on prend conscience qu’on est mortel. Ça se passe un matin de mon enfance, j’ai 10 ans : un enfant de mon école n’est pas revenu. Un accident aux scouts, il est décédé. Rapidement après lui, un autre camarade, avec qui je jouais au foot, meurt également. Je sais que la mort existe, mais là, ça devient très concret, je comprends que ça peut m’arriver aussi. Peu après, un oncle de Sicile vient nous rendre visite à Meyrin, où nous habitons. Il nous annonce qu’il n’en a plus que pour quelques mois… Pendant cette période, j’ai développé une sorte de somatisation. C’est là que je suis devenu hypocondriaque.
Vous vivez avec l’angoisse de mourir?
La mort elle-même, ce n’est rien, vu qu’on n’est plus là. C’est la maladie qui fait peur. La déchéance, la douleur, l’impuissance. C’est être vivant et ne plus pouvoir vivre. Les morts les plus douces sont celles qui arrivent vite. Aujourd’hui, tout est fait pour ralentir la fin. Ça peut devenir une source d’angoisse.
Pensez-vous à votre propre mort?
Tous les jours. Mais pas de manière morbide. L’idée de la mort renforce ma joie d’être en vie. J’ai une pratique stoïcienne, je tends à imaginer le pire pour mieux jouir du meilleur. J’essaie de cultiver la conscience du cadeau qui nous est fait : la vie est précieuse, c’est la mort qui nous le rappelle. Mais on tend à l’oublier, à évacuer la mort, à l’invisibiliser. En Suisse, en tout cas.
Et dans votre autre pays, l’Italie?
On y veille encore les morts et les annonces mortuaires sont placardées dans les rues, même dans le nord du pays. Mais les nouvelles générations vont-elles continuer?
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L'idée de la mort renforce ma joie d'être en vie”
Vous arrive-t-il d’imaginer vos obsèques ?
Parfois, je me demande qui serait là, comment ça se passerait… Je préfère les enterrements sobres, quitte à ce qu’ils soient impersonnels. Toute cette personnalisation qui s’est développée ces dernières années, les chansons, les témoignages, le diaporama... Bien sûr, les gens qui viennent témoigner, c’est beau. Mais il y a une forme de sobriété à conserver. Quand ça devient une sorte de spectacle, c’est comme si la valeur du défunt se mesurait à la réussite de l’enterrement. Du coup, de nouveaux métiers apparaissent : célébrant laïque... J’ai des réticences.
Les gens ne vont plus à l’église, mais cherchent des rituels qui leur correspondent.
J’entends bien, mais alors il vaut mieux être autonome, même maladroitement, faire les choses soi-même. Cette professionnalisation me gêne.
Alors, votre enterrement ?
Quelque chose de simple et de beau. Une poignée de proches dans une chapelle sur une île grecque, peut-être ? Ou alors le cimetière de San Michele, à Venise. Le lieu est important, il faut penser au plaisir de ceux qui viennent sur votre tombe. On dit que le lieu où l’on souhaite reposer est le lieu qui nous correspond.
Quel est votre rapport à la religion?
Je tends vers le syncrétisme, je mélange plusieurs formes de spiritualité. Comme fils d’un Italien et d’une Fribourgeoise, j’ai une appartenance culturelle catholique. Je ne vais pas à la messe, mais quand je voyage, j’entre dans les églises.
Vous y allumez des cierges?
Oui. Je prie pour que ceux que j’aime soient protégés. Pour remercier la vie, lui rendre grâce. Et pour devenir meilleur. Le jeûne est très tendance actuellement. Je trouve qu’on devrait faire des jeûnes de haine et de méchanceté. Essayer de couper la chaîne des actions-réactions négatives…
A paraître cet automne
Joseph Incardona publiera encore cet automne 2024 Poulain qui voulait être un cheval, album jeunesse à paraître aux éditions La joie de lire.