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EMS senior logement
Episode 4 / 10

Martina Chyba: «J’ai testé pour vous... le travail en EMS»

Notre chroniqueuse Martina Chyba a sans doute affronté la plus dure des épreuves au cours de cette journée avec une aide-soignante en établissement médico-social (EMS). Un témoignage émouvant et plein d'humanité.
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Martina Chyba avec sa guide du jour, Nataša, et l'un de «ses» résidents dans un EMS de Vevey (VD). © DR

À côté de chez moi, il y a un EMS. Nous passons devant avec mon chéri à 17 h 45. Il me dit d’un air déprimé: «Tu as vu, ils servent le repas maintenant. Alors ça, jamais!» Moi, plus pragmatique, je me suis dit: il y a un certain nombre de chances qu’on y finisse quand même, dans genre trente ans. Et j’ai pensé que l’on ne connaissait rien à ce monde que l’on cache soigneusement.

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J’ai donc contacté un EMS à Vevey (VD), pour y accompagner une aide-soignante pendant une journée. Début du travail à 7h30 à la Fondation Beau-Séjour, petite structure de 48 résidents. Je rencontre Nataša, qui va me guider sur son étage, j’enfile une blouse blanche pour me fondre dans le paysage et, hop, nous allons préparer les personnes pour le petit-déjeuner. Nous arrivons chez Madame A., elle a un peu mal partout, «c’est toujours la même histoire», mais elle est autonome. Il faut lui mettre des bas de contention, et elle peut se lever pour faire sa toilette au lavabo. Nataša a tout préparé la veille, les habits, marqués au nom du résident comme en colo, les couches aussi, car, oui, les gens portent des couches et ça n’est ni une gêne ni un tabou ici, juste un truc normal. Entre les soignants et eux, c’est très intime, on lave, on change les couches, on vide des sondes ou des poches, on nettoie des escarres, les gestes sont précis et respectueux. Même avec moi qui ne les connais pas, ils sont sans fausse pudeur. Eux sont nus, moi habillée, et on papote. Évidemment, c’est difficile de regarder des corps très âgés, et évidemment on se dit: «Je serai aussi comme ça.» Madame A. m’offre des petits bonbons aux herbes suisses.

Nous passons à Monsieur M., qui a eu un cancer de la vessie. Nataša l’emmène sous la douche, je reste de l’autre côté du rideau, et j’entends Monsieur chanter «Ursule. pour toi mon amour brûle, il faudrait une pompe à vapeur, pour éteindre le feu dans mon cœur». Il revient en robe de chambre et en Rollator, le couloir devient une sorte d’autoroute à déambulateurs. Bon, on ne circule pas vraiment à 120 km/h ici, mais ce n’est pas si facile: «Il faut un permis pour ces trucs!» me glisse Monsieur M. en riant. Madame C. s’amuse en me voyant: «Une star de la TV chez nous!» Dans sa chambre, il y a plein d’images de sa famille, en puzzle, en coussin, en T-shirt. Elle va faire sa toilette seule et, après, on fait des photos ensemble. Nous terminons la tournée du matin avec des dames qu’il faut déplacer à l’aide d’un lève-personne. Opération délicate qui se fait à deux, avec Fatima. Une des dames ne parle plus, l’autre a les jambes et les pieds très enflés et abîmés, elle ne se mettra plus jamais debout. Quand on ne peut plus se mouvoir, ni s’exprimer, ni lire, ni se nourrir seul, quelle est la qualité de vie? Je ne sais pas et je le dis franchement: c’est difficile à regarder. Heureusement, une résidente en pleine forme me lance: «Alors, vous notez tout ce qu’il y a de rigolo?» Heu, oui, je vais faire ça, promis! Je remarque d’ailleurs que Nataša rit beaucoup, même si elle fait un boulot peu rémunéré, debout toute la journée, avec des horaires de dingue. 

Il faut emmener tout le monde au repas de midi. Certains doivent être nourris. Les repas sont silencieux, mais essentiels pour rythmer la journée. Ensuite, il y a des activités organisées, mais le reste du temps s’écoule à être là, simplement. Que se passe-t-il dans ces têtes, dans ces mémoires? Une dame de 98 ans est depuis une heure dans sa chambre devant la télévision… qui ne marche pas! Un monsieur lit le 20 minutes à la loupe toute la journée. Madame F. est centenaire, très dynamique, elle perd un peu ses mots: «Je suis fatiguée.» C’est à ce moment que Fatima prononce la phrase culte de la journée: «Vous avez 100 ans, Madame F., vous avez le droit d’être fatiguée!» J’adore.

À 18 h tapantes, le repas du soir est servi. J’appelle mon amoureux: «C’est bien à 18h, le repas, ça ne te conviendrait pas.» Moi, je vais rentrer. Nataša, elle, finit à 20h, et ce week-end, elle fera deux fois 12 heures d’affilée. Dans le train, je retrouve un bonbon de Madame A., je le savoure en me disant qu’il faut arrêter de regarder des films avec des super-héroïnes badasses qui sauvent le monde. Les super-héroïnes sont en blouse blanche à côté de chez nous. Elles s’occupent de nos parents. Et bientôt de nous.

Lorsque les gens entrent ici, ils sont surpris: il y a de la lumière, de la vie, ça bouge”

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Philippe Hirsiger
Directeur de la Fondation Beau-Séjour

«Un EMS n’est pas un mouroir. Lorsque les gens entrent ici, ils sont surpris: il y a de la lumière, de la vie, ça bouge. On devrait faire des semaines découverte!» Le directeur de la Fondation Beau-Séjour, Philippe Hirsiger, aime son métier. «Lorsque l’on parle des EMS, c’est souvent pour entretenir une image négative: la maladie, les coûts élevés, la fin de vie. Mais il faut voir les choses autrement: une personne seule chez elle est souvent isolée, risque de tomber, peut déprimer aussi, alors que dans une structure, il y a des activités et des liens qui se créent. Et, souvent, les résidents reprennent un peu de poids ici, car ils se nourrissent mieux.»

Le secret, c’est l’équipe. «Quand je suis arrivé en 2020, il y avait trop d’absentéisme, nous avons réussi à le diminuer pour atteindre le taux le plus bas possible dans ce genre d’institution, se félicite le directeur. Il faut de la présence continue, car les résidents ont besoin de stabilité, et pour travailler ici, il faut se sentir bien avec les personnes âgées, ne pas être choqué ou dégoûté.» Nataša Tomic, aide-soignante, renchérit: «Moi, je pense à ma grand-mère, à la manière dont j’aimerais que l’on traite ma maman et mon papa. Pour moi, la qualité principale est la patience. Si l’on n’aime pas ce travail, c’est impossible.» 

L'amour indispensable du métier

Katia Sforza est infirmière. Comment vit-on le fait de ne soigner que des gens en fin de vie? «Cela nous touche quand ils meurent, on ne s’habitue pas à ça, car on est très intimes avec eux, mais je me dis que j’ai fait au mieux pour les accompagner. Les résidents ont surtout besoin d’attention, de se sentir écoutés, d’exister.» Il y a d’ailleurs désormais un animateur spirituel à Beau-Séjour. Nataša ajoute: «Personne n’a envie d’aller à l’EMS, nous essayons d’offrir une maison, comme une famille, et les gens s’adaptent assez rapidement.»

Évidemment, tout n’est pas toujours rose. «Il y a parfois des résidents agressifs ou harcelants, relève Philippe Hirsiger. Dans ce cas, nous n’envoyons jamais une personne seule dans la chambre. Afin de prévenir la maltraitance, pour le personnel, c’est tolérance zéro, s’il y a des doutes, nous mettons un avertissement, s’il y a des témoignages concordants et/ou des faits avérés, nous licencions. Tous nos collaborateurs suivent des formations et doivent respecter une charte.»

Le directeur sait que cet univers doit évoluer. «Nous aimerions proposer plus de chambres individuelles, nous avons aussi un centre de jour; l’EMS tout seul, c’est fini. Dans l’idéal, j’ajouterais encore une structure de psychogériatrie pour les cas lourds et un home non médicalisé pour les cas très légers. Nous devons aussi faire plus d’efforts pour nous ouvrir à la communauté. Nous allons par exemple exposer en ville des photos de résidents et leurs histoires. Ces personnes, c’est nous dans quelques années, il n’y a aucune raison qu’on les cache entre quatre murs.»


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