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Opinion

Vieillir comme Noé

Jean-François Duval, Journaliste et écrivain - sam. 01/02/2025 - 10:38
Les Fantaisies, la chronique de Jean-François Duval.
chronique Duval bienveillance Arche de Noé
"Que chaque être, chaque meuble, chaque plante, chaque bout de papier et cette aimable araignée qui tisse sa toile au plafond y coulent à jamais des jours tranquilles et heureux!" © iStock

Plus je vieillis, plus je deviens sensible aux moindres choses, une propension qu’accentue encore chez moi la dégradation de la planète. Par exemple, je ne jette plus une seule feuille de papier à la corbeille sans qu’une souffrance me traverse. Derrière ce bout de papier jeté, je vois se profiler des forêts décimées, des continents désertifiés. Le plus infime de mes gestes, de mes comportements, me semble contribuer à la destruction de cette Nature qui s’est développée ici-bas depuis 5 milliards d’années... De même, je n’écrase plus jamais le moindre moucheron en balade sur mon bureau: il a autant droit à la vie que moi. Je répugne à tuer les guêpes, fussent-elles asiatiques, elles qu’un mauvais sort a jeté sous nos latitudes. Je déniche de nouvelles clés pour les tiroirs qui n’en ont plus. Voilà: je deviens un vieillard bienveillant, soucieux de tout ce qu’il fait. Je me fais penser à mon père qui, réflexe hérité de la guerre, éteignait la lumière à peine quittait-il une pièce. En tout je prône la modération et l’équilibre.

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Voilà: je deviens un vieillard bienveillant, soucieux de tout ce qu’il fait”

Jean-François Duval

Il est très clair que, conscient de la disparition des choses et à mesure qu’approche la mienne, j’ai un souci toujours accru de les sauver, les choses, qu’elles soient vivantes (comme le moucheron) ou inanimées (comme la feuille de papier). Je restaure tout objet endommagé. Et comme, avec l’âge, je me sédentarise, c’est mon appartement qui devient par définition le lieu de ces menus exploits. Dites donc! Ne serait-il pas en train de devenir une Arche de Noé, cet appart!? Que plus rien n’y disparaisse! Que chaque être, chaque meuble, chaque plante, chaque bout de papier et cette aimable araignée qui tisse sa toile au plafond y coulent à jamais des jours tranquilles et heureux! Ah ça, devenir vieux, serait-ce devenir de plus en plus empathique? Et entrer toujours davantage en osmose avec le monde qui nous entoure et auquel nous appartenons?

Sans doute oui, car, à l’heure de m’endormir vers minuit, j’évoque avec joie tous mes silencieux compagnons, les autres occupants de ce même espace où je me tiens, objets divers, tache sur la tapisserie revirginisée au Tipp-Ex, pucerons minuscules, couple de «poissons d’argent» (lepisma saccharinea) qui se promène nuitamment dans la salle de bains. Je me dis quel bonheur, leur présence, oui, qu’ils existent toujours et encore! Et, allez, que vogue ma belle Arche qui assure leur salut!

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