Un effroi… décisif
Une fois de plus, il va s’agir de voiture. J'aime conduire depuis l'âge de 18 ans — permis obtenu juste après mon anniversaire! — et rêver dans ma bulle. Je préfère subir bouchons et autres énervements routiers plutôt que d'attendre coincée sur un quai de gare. Cette attitude est bien coupable. Sans doute, le nuage le plus sombre qui pèse sur mon attitude climatique.
J’ai pratiqué autrefois des dépassements déraisonnables, connu des frayeurs sur l’asphalte. Mais, tout récemment, j’ai franchi un pas de plus. Oui, à mon âge, septuagénaire qui va bientôt devoir soumettre au Contrôle vaudois ses capacités cognitives, ses réflexes et j'en passe.
La matinée était belle, avec devant moi sur la route à lacets descendant vers la plaine un camion à remorque qui tanguait pesamment. La vallée n'était pas loin, je n'étais pas pressée. Allez savoir pourquoi, j’ai décidé de dépasser le monstre juste avant un virage en épingle à cheveux. La manœuvre était délicate: accélérer pour dépasser tout en abordant le virage sans me rabattre trop tôt, au risque de heurter la masse métallique qui avançait imperturbablement.
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Allez savoir pourquoi, j’ai décidé de dépasser le monstre juste avant un virage en épingle à cheveux”
Un éventuel véhicule invisible en contrebas de l'épingle à cheveux? J’écris l’histoire, c’est donc que tout s'est bien passé. Mais quel effroi le virage franchi, en abordant la longue ligne droite déserte qui s’offrait à mes pulsions. Je n'ai ressenti aucune fierté minable, pas même du soulagement. Juste un effroi abyssal devant le risque que j’avais pris. Pour moi et pour les autres.
Si moi, vieille dame sans antécédents majeurs et qui boit peu, ai commis cet acte irresponsable, alors combien, parmi nous, se mettent, nous mettent en danger?! Tout.e.s ces fêlé.e.s qui foncent sur l’autoroute et les routes de campagne, qui slaloment avec bébé sur leur vélo, dégringolent les pentes sans casque en trottinette… Chaque jour, je me dis: «Comment ça se fait qu’il n’y ait pas plus d’accidents?» Eh bien, je fais partie du lot. Si je raconte l’effroi qui m'a agrippé la poitrine, c’est que je me crois – enfin – décidée à ne plus l'éprouver ni le susciter.
