Les yeux dans les yeux
Toc toc toc. Je frappe fort à la porte et prends mon temps pour avancer dans la chambre. Avant même la parole, c’est le regard que l’on échange lorsqu’on entre dans une chambre d’hôpital. Ce sont des yeux ronds d’interrogation, d’attente, d’espoir, parfois d’inquiétude qui accueillent le nouveau venu. Vient ensuite la parole. Bonjour, nous ne nous connaissons pas. Je porte la blouse blanche, mais je ne suis ni médecin, ni infirmière. Je suis accompagnante spirituelle. Alors quelquefois ces yeux se détournent car, en vérité, ils n’ont pas envie d’écouter des boniments! Parfois, ils sont exaspérés et déçus, car c’est le médecin qu’ils attendent, parce que cela fait des jours qu’ils sont là et ils ne savent toujours pas ce qu’ils ont. Alors non, ce n’est vraiment pas le bon moment! D’autres fois, ils nous invitent à nous asseoir parce qu’ils ont tant de choses à nous raconter. Parfois, ils sont absents parce qu’ils ne savent plus qui ils sont.
publicité
Allait-on rater ce moment si important de la rencontre en raison d’une antipathie personnelle?”
à lire aussi : Ada Marra: «Pourquoi j'ai décidé de devenir aumônière»
Et quelquefois, et peut-être pour encore quelque temps, ils me fixent, car ils savent «qui je suis». On se connaît, non? On s’est déjà vus, non? Votre visage me dit quelque chose… Au début, expliquer ma transition professionnelle de politicienne à accompagnante spirituelle me rendait immensément timide. Allaient-ils me prendre au sérieux? Et si je rencontrais des malades d’obédience politique différente? Allait-on rater ce moment si important de la rencontre en raison d’une antipathie personnelle que j’ignorais ? L’enjeu était de taille. Ne jamais mentir, mais aussi ne pas s’attarder. Ramener la discussion très vite sur l’autre.
Maintenant, après six mois de pratique, j’ai compris que cette transition de vie pouvait être une «porte d’entrée supplémentaire». Avec leurs questions sur ce changement de vie, un dialogue s’installe. C’est à moi de leur montrer que la douceur est possible entre nous. Parce que mon but dans ce nouvel habit, c’est de montrer que nous sommes reliés les uns et les unes aux autres, que nous avons une unité de destin qui nous fera peut-être sentir moins seul face à la maladie et à la mort. Et ça, ce n’est pas rien.