La Castafiore et Minou
Je suis très sensible aux voix. Surtout dans les transports publics. La semaine passée, dans le train, une dame hurle dans son téléphone. Sa voix est très désagréable. Elle a une manière de «chanter-parler». Ça fait comme une sorte de «cantate pour crécelle».
«Je te jure, Doris, c’est un cinq étoiles! Même pas besoin de faire l’emmerdeuse, on s’occupe de toi. Et on t’opère pas le mauvais pied! C’est arrivé à Evelyne, on lui a charcuté le pied droit, alors qu’elle voulait se faire opérer du gauche. Mais si t’as pas les moyens, Doris, alors tant pis, t’iras te faire opérer dans le public! Tu vois, moi, j’ai les moyens, alors…» Je n’aime pas cette Castafiore qui rit, au nez de son amie Doris, de se voir aussi riche dans ce train.
Et je me souviens de ma rencontre, dans un tram, avec une autre voix, une autre cantatrice, une vraie. Arrêt Bel-Air, elle a de la peine à monter, des béquilles, elle se fait bousculer. «Je peux vous aider?» Je bloque les portes, les insolentes qui vous claquent sous le nez. Elle s’agrippe à mon bras, me remercie.
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Je la «googelise», mais rien. Zut!”
Elle a mal. Elle ne se plaint pas. Elle me dit, avec une voix toute douce, «comme elle est jolie votre robe!», avec un soupir, un petit aïe, en touchant ses genoux. Elle porte un chemisier assorti à une jupe à fleurs, des lunettes fumées. Je ne vois pas ses yeux. On se complimente sur nos tenues, on parle de son opération. On commente à voix basse la pluie, les annonces sur l’écran, et puis elle me demande quel temps il fera mardi: «J’ai invité des amis, j’espère qu’il ne fera pas trop chaud, mais beau.» Je la rassure: «Il fera beau.»
Au moment où je m’apprête à descendre, elle me dit: «Vous ne voulez pas vous joindre à mes amis, mardi, chez moi?» Je balbutie: «Ben… je regrette, je ne pourrai pas…» Elle rajoute: «Si jamais vous changez d’avis, je m’appelle Minou Felaïde et je suis cantatrice.» Je note son nom sur mon téléphone. Plus tard, je la «googelise», mais rien. Zut!
Alors, s’il vous plaît, si vous connaissez Minou, pouvez-vous la remercier de ma part pour son invitation? J’aurais vraiment dû accepter, pour continuer à regarder son sourire et l’écouter me raconter des choses avec sa voix douce...
