J'ai besoin de toi
Parfois, j’écoute les patient·e·s et je repense à la chanson de Brel «les vieux ne bougent plus, leur monde est trop petit, du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit». Il avait compris tant de choses dans sa chanson… Avec le temps, j’ai remarqué qu’une des plus douloureuses pour les patient·e·s, c’est quand leur périmètre se voit toujours plus réduit. Que c’est difficile de ne pas arriver à se rendre aux toilettes, pourtant à quelques mètres. Que c’est difficile de parcourir 20 mètres pour être éreinté à la fin du parcours. Comme on aimerait être lièvre et pas tortue… Que devient notre liberté, notre indépendance, notre autonomie, le regard que l’on porte sur soi-même?
Quand je vois comme c’est difficile à vivre, je me dis qu’il serait si doux que notre société nous apprenne à aimer un peu plus la dépendance, qui signifie aussi du lien. Cela nous aiderait un peu dans les moments difficiles. Qu’il serait doux que notre société qui valorise tant la maîtrise et l’autonomie nous lâche un peu la grappe et relève les bienfaits du collectif, du «j’ai besoin de toi pour mieux vivre». Qu’il serait doux, individuellement et collectivement, que l’idée de la toute-puissance, et ceci jusqu’à notre mort, fasse enfin la place à l’idée d’une humanité fragile, en équilibre et qui, dans l’ordre des choses, ressemble plus à des bougies qui s’éteignent doucement et naturellement qu’à des robocops appelés à l’éternité.
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Ne serait-il pas bon de se rappeler que, face à l’inévitable, il nous faudra essayer de développer l’humour”
L’autonomie et la maîtrise sont-elles vraiment des valeurs cardinales si positives dans la maladie ou la vie tout court? C’est peut-être bien là le nœud du problème: elles sont érigées en valeurs, alors qu’elles ne devraient être qu’un état momentané de nos vies. Oui, il est indéniablement mieux de pouvoir faire seul·e ce qui répond en médecine au doux mot de AVQ (activités de la vie quotidienne), comme pouvoir se lever sans aide, s’habiller seul·e ou se déplacer jusqu’aux toilettes.
Mais, tôt ou tard, nous n’y arriverons plus. C’est un destin commun. Ne serait-il pas bon de se rappeler alors que, face à l’inévitable, il nous faudra essayer de développer l’humour et moins croire aux fadaises de la Silicon Valley, qui nous vend ses illusions de jeunesse éternelle alors que nous ne sommes pas des dieux? Juste de magnifiques humains.