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Loisirs

Trouver son bonheur dans la penderie des grands-parents

Nicolas Verdan, Journaliste - ven. 01/11/2024 - 09:31
Les chemises du grand-père, les pantalons de la grand-mère: fouiller dans les affaires de ses aïeux est au goût du jour. Effet de mode ou conscience écologique, ce phénomène renforce aussi le lien intergénérationnel. La preuve par l'exemple.
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Flora, 18 ans, et son arrière-grand-mère nonagénaire dont elle présente un ensemble qu'elle a récupéré (à g.), et Lorène, 23 ans, et son grand-père dont elle porte une chemise. © Yves Leresche

Le vintage est à nouveau tendance. Entendez par là un style qui puise son inspiration dans les décennies passées, grosso modo des années 1920 aux années 1990. Mais au-delà du style, ce phénomène de société se traduit le plus souvent par un geste esthétique qui marie fripes et vêtements neufs. Dans ce contexte, la penderie des grands-parents se transforme en malle à trésors.

Alors que la mode est aux habits amples, décontractés, plutôt masculins, aux coupes confortables, à l’ancienne, nombreux sont les jeunes à s’intéresser aux pièces jadis portées par un grand-père ou une grand-mère. Ainsi, Lorène, 23 ans, et Flora, 18 ans, les deux jeunes femmes lookées que générations a rencontrées, intègrent ces pièces à leur garde-robe, affirmant un style unique et personnel, dans lequel elles se sentent bien.

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Selon Elizabeth Fischer, chargée de théorie sur l’histoire culturelle de la mode et des apparences à la Haute École d’art et de design de Genève (HEAD), le phénomène ne date pas d’aujourd’hui: « Dans les années 80, on a pu voir des femmes porter les chemises de nuit blanches de leur grand-mère ou de leur grand-père, qui sont devenus d’un coup le vêtement de dessus. C’était alors une forme de romantisme, accompagné d’un retour à la campagne. Car il y a différentes raisons qui peuvent inciter à reprendre les vestiaires passés.»

Et on ne le fait pas seulement parce que c’était mieux avant. «Il y a aussi l’idée de se rapprocher de la nature, de donner du soin aux choses. Ou l’expression d’un attachement affectif.» Cette pratique permet en effet une connexion émotionnelle avec des figures familiales.  «C’est une dimension vraiment très importante, estime la professeure associée à la HEAD. Je vois ça dans mon entourage, chez les jeunes à peine sortis de l’adolescence: ils portent certains des vêtements de leurs grands-parents, tous décédés, pour entretenir un lien affectif, comme avec les bijoux. C’est avoir quelque chose de l’autre et de soi en même temps, qui permet de savoir d’où l’on vient.»

On cherche aussi à se rapprocher des nos grands-parents”

Lorène Meyrat
Etudiante graphiste

La dimension écologique explique également cet intérêt pour des vêtements dont la longévité correspond à la recherche très actuelle de durabilité. On peut ainsi parler de mode responsable, d’économie circulaire par le recyclage d’articles textiles du passé. Les friperies, toujours plus nombreuses, en sont d’ailleurs remplies.

Inclure des pièces d’antan uniques dans un look moderne correspond d’ailleurs à un style à part entière, parfois identifié sous le nom de Grandmillennial. Cette contraction de «grand-parent» et de «millennial» décrit, de façon plus légère, ce pont intergénérationnel empreint de nostalgie et ludique. Elizabeth Fischer observe la chose chez ses étudiantes et étudiants, qui choisissent leurs vêtements dans les friperies et les mélangent avec la fast fashion.

L’intérêt pour le design et la mode est souvent partagé par ces jeunes qui n’hésitent pas à porter des habits uniques en leur genre. «Leurs études les rendent attentifs à des choses que les autres ne savent pas distinguer: ils aiment identifier un patron, comprendre comment une coupe évolue…»

Le phénomène est également identitaire: «Porter du vintage, explique la professeure de la HEAD, c’est aussi montrer qu’on connaît l’histoire du design. Selon le domaine, on sera plus attentif aux questions de forme, de style, à l’histoire du design, une manière d’appartenir à un certain clan.»  

À noter enfin une constante que souligne Elizabeth Fischer: «Fille et garçon vont plus facilement porter des vêtements du grand-père. Car c’est le vestiaire de l’homme qui domine depuis deux siècles de manière presque inchangée: chemise, costume, pantalon, gilet. Même si le pantalon est soumis aux tendances de la mode, avec une taille haute, basse, plus ou moins large, il demeure respectable et passe-partout. Vous avez de nombreuses icônes de la mode, telles que Patti Smith, Annie Lennox ou encore Diane Keaton dans le film Annie Hall de Woody Allen, qui se sont approprié ce type d’habillement.»

On ne trouve plus des choses comme ça à des prix raisonnables”

Flora
Etudiante

Tout a commencé le jour où Lorène, 23 ans, fait part à sa grand-mère paternelle de son désir de porter des chemises. Celle-ci l’invite à jeter un œil dans l’armoire de son grand-père, Pierre-André. «On s’est dit que cela pourrait apporter du style que de porter une de ses chemises, d’autant plus qu’elles sont un peu trop grandes.» Cette étudiante en graphisme à l’École romande d’arts et communication (Eracom) y trouve trois pièces à son goût, deux estivales et une pour l’hiver. Qu’en a dit le principal intéressé? «Je n’ai rien su, dit-il avec un large sourire. Jusqu’à ce fameux jour où je la regarde et que je dis à ma femme: «Elle est pas mal, sa chemise.» Elle m’a fait gentiment remarquer que c’était la mienne!» 

Lorène s’est aussi procuré la veste de son arrière-grand-père, qui lui avait été offerte par sa petite-fille avec son premier salaire. Une pièce qui a donc une histoire. Dans cette garde-robe d’antan, les tons foncés l’emportent. Le gris notamment, comme pour la veste qu’elle porte ce jour-là, aux carreaux avec des nuances de bleu: «Très peu flashy.» Cela tient-il au style de son grand-père ou à ses goûts? «Les deux!»

Lorène l’affirme: dans son entourage, elle n’est pas la seule à s’intéresser à des habits déjà portés, en particulier au sein même de sa famille. Faut-il y voir une forme de conscience écologiste? «D’une part, oui. De l’autre, on cherche à se rapprocher de nos grands-parents. C’est une des raisons qui m’ont conduite à prendre cette première chemise. Il y a aussi un esprit de révolution : les femmes, notamment, tiennent à se réapproprier des vêtements plus confortables et plus pratiques. Personnellement, j’en ai marre de me sentir mal à l’aise avec des pantalons trop serrés et sans poche où glisser mon portable. C’est pourquoi je porte des modèles plus amples.» 

Pour son grand-père, la démarche n’est pas anodine. «Le fait de savoir que Lorène porte mes vêtements, ça fait réfléchir. Cette chemise que je vois sur elle, ma petite-fille, je l’ai portée.  On a pu piquer des fringues à nos grands-parents, pour faire le cirque, le temps de rigoler. Mais là, on est au-delà de l’effet de déguisement: elle la porte parce qu’elle lui plaît. Cela fait chaud au cœur. »

«J’aime les pièces uniques et de qualité»

Pas moins de 72 ans séparent Flora, 18 ans, de Luce, son arrière-grand-mère de 90 ans. Ce qui n’empêche pas Flora de se balader ces jours avec une paire de pantalons en coton qui appartenait à son aïeule. «Je portais ces pantalons l’été; ceux-ci étaient dans ma caravane», explique cette fringante nonagénaire qui passe ses étés au camping d’Yverdon (VD). Pas de regrets? «Pas du tout! Une fois que mes vêtements quittent mon armoire, ils sont à elle. J’en propose un certain nombre à mes petites-filles et à mon arrière-petite-fille.» Dont de nombreux ensembles: «Ce n’est pas simple d’en trouver de nos jours en magasin, explique Flora. Et encore faut-il qu’ils ne coûtent pas trop cher! On ne trouve plus de choses comme ça à des prix raisonnables et de bonne qualité.» Dans cette famille, les vêtements s’échangent ainsi d’une génération à l’autre. «Moi, il m’arrive encore de porter des vêtements qui étaient à ma maman, née en 1906, explique Luce en riant. J’en ai donné à Flora. J’ai grandi à la campagne, en temps de guerre, et je ne peux rien jeter. Je porte un pyjama qui était à mon papa.»

Flora est pour ainsi dire tombée dans la marmite de la couture dès son plus jeune âge. «J’ai eu deux machines à coudre. Pour la première, je devais avoir 12 ans. Et la deuxième, je l’ai récupérée chez ma grand-mère. J’ai créé plusieurs vêtements, des costumes. J’ai fait de la couture durant toute ma scolarité. Finalement, je me suis dirigée vers le graphisme.» Elle avait également 12 ans quand elle a commencé à porter des vêtements de sa grand-mère: «Ce n’était pas encore la mode. C’était même plutôt mal vu.» Au-delà du style, chez elle, la dimension économique et écologique est déterminante: «Je vais souvent dans des boutiques de seconde main, dans les friperies, à l’Armée du Salut, à Emmaüs. Dans ma classe, dans le domaine du graphisme, on est beaucoup à chercher des pièces uniques.»

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