Martina Chyba: «J’ai testé pour vous... le vin sans alcool»
Je suis née dans un pays de l’Est où on trempe la tétine des bébés dans la vodka et où on remplit le biberon avec de la bière. Oui, j’exagère, mais si peu. Mon père, en bon Tchèque, disait que «l’eau, c’est pour se laver» et que certains aliments (genre knödel et tranche panée) ne se rincent qu’à la bière, et on pousse le tout avec la becherovka, liqueur à base d’aiguilles de pin. Bref, génétiquement, je devrais «tenir l’alcool», comme on dit. Eh bien, pas du tout.
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Après un verre, je suis «pompette», comme le chantait Sheila dans les années 70. Moi, à 0,0001% d’alcool, je ne peux pas conduire, ni d’ailleurs me conduire correctement. Et puis l’idée de perdre le contrôle, d’avoir la tête qui tourne et la nausée le lendemain, ne sont pas des choses qui m’enthousiasment. Souvent, je prends des mocktails, mais ce sont en fait des mélanges de limonade et de jus, bourrés de sucre quoi. Alors, des vins ou des spiritueux sans alcool, c’est la fête!
Je vais faire des courses dans un grand magasin où il y a un petit rayon sans alcool. Puis, chez un marchand de vins de mon quartier: «Ah, je viens d’en recevoir, vous êtes la première qui les demande.» Je prends un truc rouge, un truc blanc, et je demande «c’est bon?». Réponse: «Ben… moi qui connais et qui aime le vin, honnêtement, je ne bois pas ça!» Booon, je me rends à la bien nommée boutique en ligne La Sobrerie, qui possède un magasin éphémère à Lausanne (voir ci-dessous). Là, je goûte. Un apéritif amer type Campari sans Campari super bon (j’ai acheté la bouteille, héhé!). J’ai aussi été sidérée par le faux pastis, qui ressemble tellement au vrai que je pense que même le chanteur Renaud, grand connaisseur, s’y laisserait prendre. Je repars aussi avec un pétillant rosé et un vin rouge, défini comme «très proche» du vrai vin. Moi, je l’ai trouvé pas mal, mais j’ai un doute sur le verdict de mes potes qui adorent les soirées rouges (vin, tomates, viande, fraises).
Effets... secondaires
À la maison, avec tout ça, je fais mon petit effet: tadaaaam, je vais vous faire essayer des vins sans alcool! «Euh, t’es sûre?» Faut voir leurs visages, c’est comme si je leur annonçais qu’on mange des épinards en branche cuits à l’eau. Mon copain Jean-Claude, qui ne boit pas d’alcool: «T’as pas du thé froid, plutôt?» Mon compagnon parisien, grand amateur de vin (oui, nous sommes davantage un couple «les contraires s’attirent» que «qui se ressemble s’assemble») commence à m’expliquer, avant même de goûter: «Moi, j’aime le lâcher-prise que provoque l’alcool, c’est agréable en fin de journée, c’est pour cela que les gens aiment tellement l’apéro.» Ouais. C’est pas gagné.
Première bouteille de rouge: «On dirait du sirop sans sucre.» Ils ont tous fait la gueule et je soupçonne qu’une partie du contenu des verres a fini dans les plantes, qui faisaient aussi la gueule le lendemain d’ailleurs. Deuxième rouge, mieux. Mon chéri trouve qu’il y a plus de «matière», il sent un petit côté tannique, mais il est gêné par le côté trop fruité, et puis, bon, la petite brûlure de l’alcool n’y est pas, évidemment.
Le lendemain, je tente le faux champagne en tête-à-tête. Moi, j’aime beaucoup, c’est bien meilleur que du Rimuss pour trinquer. En face de moi, c’est plus compliqué: «Pourquoi ils mettent des fruits rouges là-dedans? Le vin ou le champagne, c’est du raisin!» Globalement, je remarque que les gens préfèrent essayer les boissons originales plutôt que les imitations, car dans une imitation, on va chercher des marqueurs qui nous plaisent et on risque de ne pas les retrouver. Je déguste encore une boisson organique blanche pour gourmets à base de verveine; c’est bon, mais c’est comme une tisane froide, quoi. Le gin sans alcool, par contre, je suis pour: avec du tonic et du citron, ça fait un cocktail tout à fait potable.
Résultat des courses, je suis partagée sur le vin, je me laisserais draguer avec du faux champagne, je trouve un peu cher le truc à la verveine par rapport à la vraie verveine, et je dis oui à 100% aux spiritueux, et si les bars pouvaient les proposer et concocter des super cocktails avec, je serais… ivre de bonheur!
On arrive à des résultats de plus en plus bluffants”
«Quand on sort et que l’on ne veut pas boire d’alcool, il n’y a souvent que des jus et des sodas, très sucrés, ou de l’eau. Nous, nous proposons des boissons pour adultes, mais sans alcool», sourit Amélie Dumont, la jeune fondatrice de la boutique lasobrerie.com. Mais, concrètement, de quoi sont composées ces boissons? «Il y a deux familles de produits. D’abord, les simili: la bière sans alcool, le vin sans alcool, les spiritueux sans alcool. Ce sont des produits que l’on doit désalcooliser. On les chauffe à basse température, on extrait l’éthanol, qui est récupéré pour autre chose, on réinjecte des composés organoleptiques et on rajoute du moût de raisin pour texturiser. On arrive désormais à des résultats de plus en plus bluffants, avec des marqueurs que l’on retrouve, par exemple un peu de tannin. À côté, il y a les produits originaux: ce sont des boissons gastronomiques, pensées pour remplacer les alcools à table, avec une palette aromatique complètement différente. C’est plus recherché, avec des macérations, des assemblages, des épices, etc. De plus en plus de chefs étoilés proposent des accords mets-boissons sans alcool. Au début, cela peut être un peu déstabilisant.»
Des gastronomes comme clients
Et quelle est la clientèle pour ce genre de produits? «Il y a beaucoup de gastronomes, poursuit Amélie Dumont, mais aussi des femmes enceintes, des personnes ayant souffert de dépendance à l’alcool, ou atteintes de certaines maladies, et celles qui veulent passer une bonne soirée sans les effets de l’alcool et sans trop de calories.»
Justement, quel est l’impact de ces nouvelles boissons au niveau calorique? «Le vin sans alcool est beaucoup moins calorique, relève la diététicienne Maaike Kruseman, auteure du livre Changer de poids, c’est changer de vie (Éditions Planète Santé), il y a entre 3 et 4,75 fois moins de calories. Pour les spiritueux, c’est encore plus flagrant. En revanche, pour la bière, c’est un peu moins marqué: environ 1,8 fois moins de calories dans la version sans alcool.» Ces boissons sans alcool sont-elles meilleures pour la santé? «L’alcool est néfaste pour les organes, explique Maaike Kruseman, particulièrement pour le cerveau, le foie, les reins et le pancréas. En le supprimant, on évite d’exposer son corps à un toxique avéré. On renonce aussi à l’effet désinhibant de l’alcool, souvent présenté comme convivial, alors qu’en vérité l’usage de l’alcool est surtout associé à de la violence et à des accidents. Donc, sur le plan de la santé, c’est difficile de trouver des inconvénients à consommer moins d’alcool. Le remplacer par des boissons «sans» plutôt que par de l’eau, pourquoi pas? À mon avis, pour un moment festif sans alcool, mieux vaut une de ces boissons qu’un jus de fruits, qui est très sucré, ou qu’un soda.»