Les sexagénaires s'éclatent en boîte de nuit!

Le temps resplendissant de ce premier dimanche de septembre n’y change rien: une petite foule se presse à la rue Centrale de Bienne (BE), dès l’ouverture des portes de la disco. Le cheveux est gris, le dos parfois courbé, la démarche, chez certains, claudicante: les personnes qui attendent n’en sont plus à leur premier printemps. Mais elles trépignent d’impatience ou, pourrait-on dire, elles «bougent comme une pierre roulante». C’est en tout cas ce qu’annoncent les affiches, allusion directe au célèbre groupe de rock: «Move like a Rolling Stone.»
C’est ici, au Duo Club de Bienne, que la piste est réservée aux seniors le 1er dimanche de chaque mois, avec une ou un DJ spécialisé dans les tubes des années 60, 70 et, un peu, 80. Et ça marche: depuis la première édition, en février, chaque édition a rassemblé du monde, jusqu’à 300 personnes durant les mois d’hiver.
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La musique et la danse ont toujours été importantes dans ma vie”

L’idée de faire guincher les 60 ans et plus dans une «vraie disco» à des heures qui leur conviennent et sur «leur» musique est née dans l’esprit de deux Biennois qui s’y connaissent, en mouvement: Pascale Wettenschwiler, responsable du domaine mouvement, loisirs et formation de la section bernoise de Pro Senectute, et Sascha D’Antonio, gérant du Duo Club. «Nous voulions une offre pour de jeunes retraités, qui ont, eux-mêmes, dansé en club dans les années 70 ou 80, explique la première. Nous voulions aussi proposer un antidote à la solitude qui est souvent plus douloureuse, le dimanche, jour des familles.»
Sascha D’Antonio, lui, dit avoir souvent entendu que ce public-là se sent un peu «oublié». «Nous avons un endroit magnifique, cette salle, mythique, qui était un cinéma avant de devenir l’Abraxas et maintenant, depuis 18 ans, le Duo Club, et nous essayons de le mettre à disposition du plus grand nombre.»
Les jeunes seniors ne voudraient-ils pas plutôt danser le soir? «Non, je préfère l’après-midi, je peux ainsi rentrer quand il fait encore jour», dit Thérèse (67 ans) entre deux longs passages sur la piste de danse où sa robe rouge ne passe pas inaperçue. Pour Françoise (65 ans), de Tramelan (BE), qui n’a pas manqué une seule édition avec ses amis Claudine (66 ans) et Stéphane (64 ans) et qui commençait déjà à danser en prenant son ticket à la caisse, ce sont précisément les horaires des discos habituelles, où la musique commence tard, qui posent problème. Comme les styles musicaux, aussi: «Nous, nous sommes de la bonne génération, nous avions de la bonne musique!», s’exclame Stéphane.
J’aimerais bien danser avec quelqu’un. Je sais danser le tango, la mazurka, etc.”

Bon pour la tête et le corps
La bonne humeur envahit toute la salle dès les premiers morceaux lancés par Thomas Breitlinger, alias DJ Tomtom, qui a l’âge de son public. Venus de Shocking Blue, Shame shame shame par Tina Turner, mais aussi le Raspoutine de Boney M et quelques tubes d’Abba se succèdent, avec, de temps en temps, les cris de joie de celles ou ceux qui reconnaissent un morceau qu’ils adorent. Thomas (68) et Helen (65) attendent avant de se lancer. Eux aussi sont déjà des habitués. «Nous venons pour la musique, pour le mouvement, pour maintenir notre condition physique, dit Madame. Et aussi parce que nous aimons danser!» — «Euh, surtout elle», précise Monsieur.
Pascale Wettenschwiler avait également à l’esprit ces qualités intrinsèques de la danse en proposant «Move like a rolling stone.» «Danser, c’est bien pour les contacts sociaux, mais aussi pour la santé, explique-t-elle. On bouge, on exerce son équilibre en étant souvent sur une jambe et son orientation dans l’espace, sans y penser.» D’ailleurs, ajoute-t-elle, il était clair qu’il fallait un vrai club et pas une salle de paroisse ou une salle de gym — endroits où l’on trouvera plutôt des thés dansants. Un concept qui fait presque horreur au trio de Tramelan: «Les thés dansants, ce n’est pas notre truc», dit Claudine. Thérèse, elle, aime les deux. «Mais à la disco, je peux être un peu plus sauvage.»
Nous venons pour la musique, pour le mouvement et pour maintenir notre condition physique”

Chez d’autres, la joie du mouvement est visible de façon plus discrète… dans les yeux. Cette dame, dans une chaise roulante, qui a beaucoup de peine à s’exprimer, est manifestement aux anges. Elle regarde les gens sur la piste et bouge un peu le haut de son corps. Mais ses pupilles, véritablement, dansent la samba.
Autres images frappantes: des «enfants» viennent avec leurs parents, même si les premiers sont, en principe, trop jeunes — c’est-à-dire dans la cinquantaine. «Nous avons accepté, car ils passent un moment très beau», dit Pascale Wettenschwiler. Si des rencontres en amitié ou en amour ont déjà eu lieu, elles ne sont pas recensées. «J’ai vu certaines personnes s’ouvrir, de fois en fois, grâce à la danse», ajoute-t-elle.
Disposition spéciale
La surreprésentation des femmes est visible. «Mais j’ai déjà vécu ça lors de thés dansants de Pro Senectute, poursuit la spécialiste. En fait, sans qu’on sache vraiment pourquoi, avec le bouche à oreille peut-être, cela s’équilibre, après un certain temps.» Hedi ne semble pas s’en préoccuper. A 87 ans, cette super-active (baignade dans le lac été comme hiver, pratique du vélo, jardinage et lecture de six livres par semaine) dit qu’elle pourrait «venir danser tous les jours, si le programme était proposé quotidiennement. La musique et la danse ont toujours été importantes dans ma vie, dit-elle, mon mari faisait de la musique, nous chantions.» Et la voilà repartie sous les boules kaléidoscopes. Savourant une pause au bar, Stéphane Peyer (66), qui a une carrière dans l’hôtellerie derrière lui, est admiratif. « Ils ont trouvé un super concept, beaucoup de restaurateurs et d’hôteliers seront jaloux », lâche-t-il.
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De fait, les responsables soignent les détails pour que le public se sente bien. «Nous n’avons pas le même mobilier que lors des autres soirées, explique Sascha d’Antonio. Il n’y a pas de stroboscopes, la lumière est un peu plus forte, mais le volume un peu plus bas. Nous installons aussi beaucoup plus de chaises, c’est important. Si quelqu’un a besoin d’aide pour descendre aux toilettes, car la rampe d’escalier est très raide, nous avons un ascenseur.» Pour le gérant des lieux, qui met aussi à disposition la salle et du personnel aux bars, le bilan commercial de l’opération n’est pas le plus important. «Cela me donne de l’énergie de voir les gens tellement heureux, qui remercient en partant. C’est magnifique. Et si certains parlent des choix du DJ, soit en bien soit en mal, c’est que nous avons fait tout juste!»
Le programme de Bienne a déjà fait des «petits»: des soirées «Move like a Rolling Stone» ont été mises sur pied dans les Grisons et Pascale Wettenschwiler reçoit des appels d’autres sections cantonales de Pro Senecute intéressées, comme celle de Genève. Pour celles et ceux qui ne veulent pas attendre que leur région propose aussi le programme, les prochaines discos biennoises auront lieu le 5 novembre, puis le 3 décembre. A vos paillettes!
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EMS vaudois aussi à la disco
Depuis environ deux ans, les résidentes et résidents d’EMS du canton de Vaud peuvent aussi retrouver (ou découvrir) les charmes de la disco une fois par mois, le jeudi, au Club No Name de Lausanne. Des bus emmènent et ramènent les personnes intéressées. L’initiative a été mise sur pied par le Groupement des praticiens en psychogériatrie (GPPG).
«L’idée de ces soirées est de favoriser l’inclusion de ces personnes dans la société, de leur permettre de passer une soirée conviviale, chaleureuse et en musique », explique Emilie Fahrni, responsable des activités socioculturelles de la Fondation Résidence du Léman à Corseaux, qui participe aux soirées, avec une vingtaine d’autres EMS et EPSM (établissement psycho-social médicalisé) du canton. «Il y a beaucoup de monde, la discothèque est bondée», précise-t-elle. Au point que le GPPG, annonçant la prolongation du programme, recommande à celles et ceux qui n’aiment pas la foule de venir à partir de 22 heures.
Les effets positifs sont évidents, assure Emilie Fahrni: larges sourires, retrouvailles d’amies et d’amis vivant dans d’autres établissements et des liens sociaux renforcés en résultent. La discothèque étant également ouverte au public, les barrières se brisent et des liens entre les générations se créent: c’est donc un grand moment de partage entre les générations.»
Deux dates sont encore prévues cette année: le 2 novembre et le 7 décembre.
Informations sur le site www.gppg.ch/activites et, par courriel: info@gppg.ch