Une vie qui bascule

Mar, 01/10/2019 - 00:00. Mis à jour le Mar, 08/10/2019 - 08:56

Les photos de Sarah Carp illustrent le livre de Nicole Von Kaenel sur l'impact du handicap au sein des familles. Ici, un moment d'intimité entre Vincent et son fils Julien, handicapé moteur cérébral.
© DR et Sarah Carp

Après un accident qui la laisse handicapée, Nicole von Kaenel abandonne le monde des relations publiques pour l’écriture. Comment rebondir quand le malheur vous frappe ? C’est son histoire. C’est aussi le thème d’une série de conférences qu’elle donnera à la suite de la publication de son livre Aidants aidés, destins croisés.

Elle dit : « J’ai mal au dos en permanence. Seule la morphine me soulage quand la douleur devient insupportable. » Elle ajoute : « Mais je ne veux pas qu’on me plaigne ! » Que Nicole von Kaenel se rassure. Ce n’est pas de la pitié qu’on éprouve en entendant son histoire, mais un sentiment d’admiration. Il est difficile de dire adieu à une belle carrière professionnelle et de recommencer de zéro, piégée dans un corps qui ne peut plus, comme autrefois, « courir toute la journée ». Alors, elle ne court plus, mais elle marche. Dans la nature, 10 à 15 kilomètres par jour, un exercice indispensable pour fortifier tous les muscles qui aident à soutenir sa colonne vertébrale.

La chute

En 2013, la carrière de Nicole est en plein essor. L’agence de relations publiques qu’elle a créée multiplie les mandats, essentiellement dans le domaine culturel. Mais, sur le plan familial, les épreuves se succèdent : « Mon père nous avait caché la rechute d’un cancer qui s’était métastasé. Et, quand nous l’avons appris, il se trouvait déjà en phase terminale. Il est décédé peu de temps après. Puis, ma mère a perdu pied, elle a développé la maladie d’Alzheimer, ce qui a nécessité son placement en colocation. L’été qui a suivi, je suis partie en vacances avec mon compagnon et mon fils. Je pouvais enfin décompresser, reprendre une vie normale. Cela n’a pas duré longtemps. Peu après notre retour, ma vie a basculé. » C’est l’accident, l’accident bête. Pressée par le temps pour se rendre à un rendez-vous à la Radio, Nicole prend une douche en vitesse, glisse sur le sol savonneux, heurte violemment le sol et s’effondre, inanimée. Heureusement présent, son fils Thomas appelle l’ambulance. Le bilan est lourd : coma, vertèbres fracturées ainsi qu’une paralysie partielle qui la prive de mobilité pendant deux ans.

Pas à pas

Une vie derrière soi, et une autre vie qui s’ouvre, douloureuse, difficile. Solitaire aussi: cette femme d’action habituée à bouger, à gérer une équipe et à rencontrer quantité d’artistes, se retrouve coincée dans son appartement de Cugy (VD), dans l’incapacité de faire les gestes les plus simples. « J’ai eu la chance d’être bien entourée par mon compagnon et mon fils. Thomas, qui n’avait que 15 ans à l’époque, a appris à cuisiner. Il s’installait à côté de mon lit pour noter des recettes et il préparait les repas. » Grâce à la physiothérapie, Nicole von Kaenel retrouve l’usage de ses jambes. Pas à pas, elle réapprivoise l’espace. Mais la douleur, elle, persiste. « Je me suis rendue au Festival de Bayreuth avec Thomas, qui adore Wagner. Pour tenir le coup, j’ai dû faire le voyage en plusieurs étapes, et en train, car il m’est impossible de prendre l’avion. Certains jours, je suis incapable de me lever, confie-
t-elle. Parfois, il m’arrive encore d’être triste, en colère. Je reste fragile. »

Nouveau départ

Mais pour Nicole, 57 ans, pas question de baisser les bras. A l’AI à moins de 50 %, elle effectue des travaux rédactionnels pour améliorer ses fins de mois et décide de donner une nouvelle orientation à sa vie professionnelle. Elle s’attelle pendant deux ans à la réalisation d’un livre émouvant* dans lequel elle donne la parole à des familles confrontées à la maladie d’un proche. Bien placée pour comprendre les difficultés d’une existence marquée par un handicap, elle les rencontre à de nombreuses reprises, dans les moments heureux comme dans la peine. Les témoignages mettent en lumière des situations fréquentes, mais qui sont vécues le plus souvent dans la discrétion, au sein du cocon familial. Au-delà du drame se dessinent l’amour, la solidarité et l’espoir. Dans sa préface, Nicole von Kaenel écrit : « Ce livre m’a grandie en me rappelant que, sans le lien, on n’est rien. »
Celle qui avait autrefois l’habitude de côtoyer des personnalités célèbres du milieu artistique est passée du feu des projecteurs au monde de l’intériorité, développant sa sensibilité et sa capacité d’empathie. Son regard sur la société s’est modifié. Lui arrive-t-il de regretter son activité dans le domaine des relations publiques ? « Un peu, parfois. Mais, aujourd’hui, elle me paraît futile. La plupart des artistes ne s’intéressent qu’à leur propre personne. Ils parlent d’eux, s’attendent à ce qu’on les écoute, et ne s’intéressent pas vraiment aux autres. » L’écoute, c’est encore une qualité que Nicole a eu l’occasion de développer en préparant son livre. Elle ne s’arrêtera pas là et songe déjà au prochain. Ce ne sont pas les idées qui manquent …

Marlyse Tschui

A lire

Aidants aidés, destins croisés, Editions Belles Pages

5 conférences sur le thème « Aidants, aidés »

Lundi 14 octobre : 17 h 30, le Péristyle, à Neuchâtel, vernissage de l’exposition conférence avec Diane Dessouka.
Mercredi 23 octobre : 19 h, Association Proches aidants Valais, Châbles, Salle communale, conférence et témoignage de Diane Dessouka.
Mercredi 30 octobre : 18 h, Hôpitaux universitaires de Genève, Auditoire Jenny, vernissage de l’exposition, discussion autour du thème des proches aidants, avec Mauro Poggia, et les témoignages de Sara Dragone et Danya Stasuis.
Jeudi 31 octobre : 17 h 30, les CMS de la région lausannoise, place du Petit-Mont 6, Le Mont-sur-Lausanne, conférence avec le témoignage de Anna Gambele.
Mercredi 6 novembre : 18 h, Espace Proche, Pépinet 1, Lausanne, conférence et témoignages.