Le danger des pilules «miracle» contre l'anxiété

Apparus dans les années 1960, les pilules «miracle» ont été adoptées par les baby-boomers. On ne connaissait pas encore les effets négatifs à long terme. Prudence, donc. © iStock

 Les médicaments à base de benzodiazépines permettent de chasser l’angoisse et de retrouver le sommeil comme par enchantement. Mais consommés trop longtemps, ils deviennent dangereux.

C’est inquiétant. En Suisse, 13% des personnes de plus de 55 ans consomment plusieurs fois par semaine des benzodiazépines. Connus notamment sous le nom de Xanax, Valium, Temesta ou Seresta, ces médicaments «miracle» ont fait leur apparition dans les années 60. D’une faible toxicité, très efficaces, bien supportés par les patients, ils étaient prescrits facilement et ont vite conquis la génération des baby-boomers. Mais, à l’époque, ces psychotropes à grande efficacité n’étaient pas encore connus pour leurs effets nocifs à long terme: addiction, troubles cognitifs, perte d’équilibre, désorientation et, parfois, hallucinations. Aujourd’hui, on suspecte même les benzodiazépines de favoriser l’apparition de démences.

Prise de conscience collective

Le Dr Ahmed Ben Hassouna, chef de clinique adjoint au Service de médecine des addictions de l’Hôpital psychiatrique de Cery, fait le point: «Un Suisse sur dix prend régulièrement cette sorte d’anxiolytiques ou de somnifères. On estime à environ 350'000 les prescriptions qui sont problématiques en lien avec les benzodiazépines. Et 100'000 personnes sont au seuil de l’addiction au sens strict. C’est beaucoup, et il reste du travail à faire!» L’addictologue ajoute toutefois qu’une prise de conscience collective se manifeste depuis quelques années face aux risques que comportent les benzodiazépines. En effet, une diminution du nombre de prescriptions a été observée entre 2017 et 2020. «Beaucoup d’efforts ont été faits dans ce sens, poursuit l’addictologue. En particulier par les médecins de famille, qui sont les principaux prescripteurs de ces médicaments. Aujourd’hui, ils ne les prescrivent que si le trouble est vraiment important. Ils commencent par la posologie la plus faible et pour la durée la plus courte possible. La prescription ne devrait pas dépasser deux semaines, huit au maximum. C’est le rôle du médecin d’alerter son patient sur le risque de dépendance.»

Pharmacienne dans le même hôpital, Carole Grandjean constate que la plupart des patients respectent les dosages qu’on leur a recommandés: «Mais le problème, c’est la consommation au long cours, qui présente des risques importants. Le patient prend les médicaments trop longtemps et n’arrive plus à arrêter. Il faut savoir qu’une consommation régulière se traduit aussi par une perte d’efficacité: on continue à prendre le médicament pour ne plus souffrir, mais on n’en retire plus le même bénéfice. Donc pour obtenir le même effet, on est tenté d’augmenter les doses.» Voilà pourquoi certains patients pratiquent un tourisme médical en consultant divers médecins, afin d’obtenir plusieurs ordonnances et d’augmenter ainsi leur consommation. D’autres s’approvisionnent au marché noir, où les benzodiazépines sont facilement disponibles. 

Dans le cerveau, ces psychotropes exercent principalement une action sédative. Ils agissent comme une drogue. Explication de Carole Grandjean: «Si ces substances sont aussi addictives, tout comme les opiacés, l’alcool ou la nicotine, c’est parce qu’elles activent les mêmes récepteurs dans le cerveau. Elles stimulent le centre du plaisir en libérant de la dopamine.»

Les plus de 70 ans sont les plus gros utilisateurs de benzodiazépines. En raison de l’âge, leur santé risque d’être particulièrement impactée lors d’une consommation ininterrompue. Les études médicales mettent l’accent sur les conséquences d’une telle habitude: somnolence, troubles de la mémoire, état de confusion, manque de coordination des mouvements ainsi que des problèmes d’équilibre pouvant provoquer des chutes. 

Aide au sevrage

Interrompre d’un coup son traitement est dangereux, car les symptômes du manque peuvent être ressentis violemment par l’organisme. Il est très difficile, voire impossible, de se débarrasser d’une telle dépendance sans aide médicale. Comme le remarque le Dr Ben Hassouna: «Tout sevrage passe par une réduction lente et progressive du dosage, qui peut prendre plusieurs semaines ou plusieurs mois. Pour y parvenir, un patient peut s’adresser à son médecin traitant ou à un centre d’addictologie comme le nôtre. Certaines personnes sont envoyées par leur médecin, d’autres viennent consulter chez nous spontanément. Nous disposons d’une offre ambulatoire pour les patients dépendants aux benzodiazépines. Il est important de comprendre ce qui est à l’origine des angoisses ou des insomnies qui ont conduit à la prise du médicament. C’est pourquoi nous proposons des consultations individuelles. Il s’agit d’entretiens motivationnels qui sont au cœur de notre travail en addictologie.» S’ils le souhaitent, les patients peuvent également participer à l’un de nos groupes: groupe pour la gestion des émotions, groupe pour la prévention des rechutes ou groupe de pleine conscience, lequel s’adresse aux personnes dépendantes en général, y compris la dépendance à l’alcool ou à des comportements comme les jeux d’argent ou les jeux vidéo.

Marlyse Tschui

«Je sens que je dois demander de l’aide»

Catherine a 78 ans. Cela fait quarante ans qu’elle ne dort plus sans somnifères. Accro, elle ne parvient pas à s’en passer. Elle a accepté de témoigner, à condition de rester anonyme.

«La première fois que j’ai souffert de troubles du sommeil, j’avais 12 ans. Je n’arrivais plus à dormir et on m’a envoyée dans une clinique pour faire une cure de sommeil. Le médecin qui me soignait m’a dit: «Parlons de votre mère!» J’aimais ma mère, mais j’avais toujours peur qu’elle m’abandonne. Peu auparavant, elle était partie en vacances en Egypte pendant deux mois avec son amant, nous laissant seuls à la maison, mon père et moi. Mon père devait parfois voyager quelques jours pour son travail et ma mère en profitait pour rejoindre son amant. Cela lui arrivait souvent de s’éclipser ainsi en douce, sans m’avertir. Je me levais la nuit et ma mère n’était plus là, les lumières étaient éteintes et la porte fermée. Je me demandais toujours si ma mère allait revenir. J’ai été traumatisée et j’ai longtemps souffert d’abandonnite. Par la suite, j’ai retrouvé un sommeil normal pendant des années. C’est à l’âge de 34 ans que mes insomnies sont revenues, à la suite de la mort d’un proche décédé dans un terrible accident. J’ai commencé à prendre des somnifères, d’abord occasionnellement, puis régulièrement. 

Au début, je prenais un demi-comprimé. Maintenant j’en suis à un comprimé, voire un et demi. Je triche pour être sûre d’en avoir toujours suffisamment. Mon médecin me fait une ordonnance valable six mois. Et, comme je sais que les pharmaciens font très attention à ce qu’on ne dépasse pas la dose prescrite, je vais dans deux pharmacies différentes pour m’approvisionner. Cela me permet de consommer davantage. Je ne supporte pas l’idée de ne pas avoir une réserve de somnifères. Quand je vais en vacances, j’emporte une boîte, mais je m’assure aussi qu’il me restera quelques comprimés à mon retour à la maison.

A plusieurs reprises, dans le passé, j’avais essayé de m’endormir naturellement. Je n’y arrivais pas et c’était angoissant, surtout à l’époque où je travaillais et où il fallait que je sois en forme le lendemain. Depuis de nombreuses années, tout va bien dans ma vie. Mon mari et moi sommes en bonne santé, j’adore mes petits-enfants, et je n’ai aucune raison de ne pas dormir. Je sens que je souffre d’une addiction. Au début, je me disais que, vu mon âge, cela n’avait pas beaucoup d’importance. Mais mes trous de mémoire se sont aggravés et il m’arrive de perdre l’équilibre. Je sens que je dois demander de l’aide. Je ne comprends pas pourquoi aucun médecin ne m’a jamais mise en garde contre les risques liés à l’utilisation prolongée de somnifères… 

M. T.

 

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