Marcher avec un psy, le concept débarque en Suisse romande

photo: © iStock/Stewart Cohen

La marche libère la parole et est désormais l’alliée de certains psychologues ou de coachs de vie qui accompagnent leurs patients lors de séance extra-muros.

Depuis quelques années, une approche innovante fait son apparition en Europe, venue des Etats-Unis : le walk & talk, combinant séance de thérapie et marche.

 

En Suisse romande, pour le moment, une seule psychologue FSP, Mireille Régis, a axé ses activités exclusivement sur cette méthode dans le cadre du projet Walk2Talk qu’elle a créé depuis quelques mois avec son partenaire Nils Carpentieri, responsable de la partie administrative et de l’expansion de l’entreprise.

 

Pour la jeune femme de 26 ans, qui est également cheffe de projets responsable de la prévention à la Croix-Bleue romande, la démarche de proposer à ses patients des rendez-vous en pleine nature coulait de source: «Cette approche peut convenir à cette tranche de la population qui n’a pas envie d’aller dans un cabinet, chez un psychologue ou un psychiatre, qui ne veut pas risquer d’avoir une étiquette de «malade» ou de «victime», mais qui a juste le désir de faire du développement personnel, d’aller mieux et de reprendre un peu de contrôle sur sa vie en se faisant accompagner de cette manière. J’ai une spécialisation en psychologie de la santé et j’ai toujours été intéressée notamment par les bienfaits de l’activité physique sur l’esprit.»

Une source de mieux-être

La patientèle de Mireille Régis couvre tous les âges, de 12 à 60 ans. Tous se voient proposer des séances allant d’une à deux heures, en fonction de leurs besoins et de leur forme. Un lieu de rendez-vous est fixé dans la région de la Riviera vaudoise où est basée la psychologue, et une première promenade se déroule, pour évaluer les compétences physiques de la personne. Si le cadre informel qu’induit ce concept permet une relation plus naturelle avec la thérapeute, il n’est pas dénué de règles professionnelles. L’échange a lieu au fil de la marche, au cours de laquelle tous les deux construisent ensemble des solutions pour améliorer la situation du patient. La balade se déroule quelle que soit la météo, mais est adaptée à la personne, en aménageant des pauses si nécessaire.

 

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Jean-Nicolas Despland, directeur de l’Institut universitaire de psychothérapie, à Prilly, n’est pas réfractaire à la méthode, sous certaines conditions: « Imaginer une conversation thérapeutique en marchant implique une modification du cadre de travail, et donc d’autres règles, une autre forme de proximité. Il faut être extrêmement prudent sur les effets que cela peut avoir. Cela pose des questions éthiques, notamment en ce qui concerne la relation entre le thérapeute et son patient. Il faut être rigoureux et prudent, mais la démarche peut être intéressante. »

 

En pleine nature, les réactions sont très différentes de celles vécues dans un cabinet de consultation, comme a pu le constater Mireille Régis : «On pourrait penser que l’échange fonctionne mieux dans une pièce fermée où il n’y a pas trop de stimuli, mais ce n’est pas le cas. Dehors, nous filtrons spontanément les bruits extérieurs, et la personne est plus centrée sur elle-même. J’ai le sentiment que se trouver dans un grand espace permet de relativiser les problèmes. La nature continue d’avancer même si nous nous sentons bloqués et, en prendre conscience, aide à réfléchir plus créativement et plus profondément.»

 

Pour l’instant les séances ne sont pas remboursées par l’assurance maladie ou complémentaire, mais des solutions sont envisagées pour le futur. Et, qui sait, l’expérience pourrait donner envie à d’autres professionnels de tenter cette pratique ailleurs en Romandie.

Martine Bernier

L'AVIS DE L'EXPERT

« J’aime cette idée de redéfinition du cadre »

Anthropologue et sociologue, David Le Breton a beaucoup écrit, notamment sur les bienfaits de la marche*. Le regard qu’il porte sur les promenades thérapeutiques est bienveillant et lucide.

« Pour moi, marcher est toujours une recherche de guérison, puisque c’est laisser derrière soi les soucis qui nous ravagent, pour aller au-devant d’un monde et d’un temps que nous avons à construire. J’aime cette métaphore qui consiste à ouvrir sa porte et à aller au-devant du monde qui vient, dans l’incertitude de ce qu’il va apporter. Mais une chose est sûre, on sera moins dans la rumination de nos tracas que dans une forme de disponibilité au monde.

 

La marche thérapeutique existe depuis longtemps sous plusieurs formes: faire marcher ensemble des personnes qui se battent contre la maladie, des mineurs délinquants, parfois des détenus … Nous sommes, alors, dans des cheminements qui conjuguent la dimension thérapeutique avec la dimension éducative.

 

Dans le cas de la marche d’un psychologue et de son patient, nous sommes dans une démarche qui redéfinit le cadre thérapeutique. J’aime bien cette idée, car cela leur permet de changer de statut dans une expérience tout à fait nouvelle. Je suis sensible à cette idée de redéfinition du cadre. Cela libère l’esprit du patient qui va peut-être arrêter de ruminer sur des problèmes qu’il ne cesse de creuser depuis des semaines ou des mois. C’est une manière de faire voler en éclats l’imposition des statuts.

 

Le thérapeute ne voit plus son patient uniquement sous l’angle du problème qui l’occupe, mais comme un homme ou une femme qui s’émerveille du chant des oiseaux, du vent dans les arbres, de la beauté des collines ou des montagnes. »


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