Martina Chyba: «J’ai testé pour vous… les "faux" aliments»

Les "faux" aliments ont le plus souvent peu de goût mais un gros coût. © DR
Du faux salami, du saumon réalisé à partir de carottes, une imitation de poulet au goût de savon, Martina Chyba n’a reculé devant aucun obstacle pour satisfaire à sa curiosité. Quoi qu'il lui en coûtât. Bilan par le menu.
J’ai dans ma vie ce que les Anglais appellent un meat and potato guy. Un mec viande et patates. Genre saucisson-andouillette en entrée et bœuf bourguignon-blanquette en plat. Alors, quand on m’a proposé de goûter des nouveaux machins vegans qui «copient» des aliments existants, je me suis dit: «Cool ça va me faire une détox.»
J’ai acheté plein de choses fascinantes: du faux salami, de la fausse viande hachée, des fausses saucisses, des faux lardons, du faux thon, du faux saumon fumé, du faux poulet, du faux fromage râpé, de la fausse raclette si, si, je vous juuure, des faux œufs dans un tetrapack et un faux tiramisu. Pour faire glisser, du vin blanc sans alcool et pour pousser, un faux gin.
Plantes & Co
Donc, tout est à base de plantes. Le problème, c’est qu’il n’y a pas que des plantes. Il y a beaucoup d’autres choses. Trop. Exemple, le faux salami piquant: eau, huile de colza, protéines végétales, petits pois, fèves, épaississants, carthaghénane (ne me demandez pas ce que c’est), konjak, méthylcellulose et gomme guar, arômes, extraits d’épices, concentré de plantes, colorant, glucose, extrait de fenugrec, amidon, farine de graines de lin, épices, huile de tournesol, sucre, colorant, oxyde de fer, extrait de malt d’orge. Ouch! «Tu imagines tout ce qu’il faut faire pour transformer des pois en fromage à raclette?», me dit mon fils, qui prévient qu’il ne touchera à rien. Oui, c’est du Tricatel, vous vous souvenez? Dans le film L’aile ou la cuisse avec Louis de Funès en 1976. La pâte blanche sprayée à la peinture qui faisait un poulet? Eh ben, on y est, les amis. Maintenant, on va voir si c’est bon.
Comme dans les entretiens d’évaluation au boulot, on commence par le positif. Le faux saumon fumé, ce n’est que de la carotte avec de l’huile et du sel, visuellement ça ressemble, et sur un toast avec de l’avocat ça peut faire vaguement illusion, dans la bouche aussi. Le faux thon n’a rien à voir avec le thon, mais mélangé à du riz, ça va. Les saucisses (bon, les saucisses c’est déjà plein de cochonneries de toute façon) et la viande hachée en boulettes, avec beaucoup de moutarde forte, c’est plus ou moins comestible. Les lardons, déjà, l’idée de fabriquer des lardons vegans, WTF comme disent mes enfants, à savoir what the fuck, pour ceux qui ont besoin de la traduction. T’es vegan, t’as pas besoin de lardons! Bref, j’ai fait griller, c’est très salé, très gras, sans goût, le principe du lardon.
Le tiramisu sans œufs et sans mascarpone (plus rien du tiramisu quoi), est très dosé en cacao et en sucre pour camoufler, on va dire que ça nourrit comme une autre crème industrielle.
Plus «tox» que détox
Passons aux résultats plus difficiles… Le poulet qui n’est pas du poulet, c’est beaucoup de sel et d’herbes et un goût de savon ou de détergent en arrière-palais. Ce n’est pas bon, ça doit être destiné à être noyé dans un curry fort juste pour avoir un truc à mâcher. Le salami, déjà ça pue salement, j’ai pris une tranche dans mes doigts et l’odeur est restée deux jours. C’est plein d’eau, je n’arrive pas à trouver un mot pour le goût, c’est «immonde». La raclette… comment dire. C’est à base d’amidon de pomme de terre, donc une fois fondu, ça ressemble à une soupe de patates industrielle figée. Berk.
Le pompon… j’avoue, ce sont les œufs à base de soja. Sur l’image, il y a des œufs brouillés, je me suis dit: «On va mettre ça à la poêle.» Est sorti une sorte de euh… crème blanche, qui ne cuisait pas du tout. J’ai goûté avec une cuillère et je suis allée cracher dans l’évier. «Dégueulasse.» Ça, sincèrement, je crève à côté, mais je ne mange pas. Au compost. Et ce n’est pas gentil pour le compost.
Je me suis désinfectée avec le faux vin blanc qui n’est ni du vin ni du jus de raisin, mais moi, qui n’y connais rien, ça me va encore. Le faux gin n’est pas bon, mais le vrai non plus. Et le fait de créer des boissons sans alcool, je trouve que ça a du sens, et répond à une question de santé publique.
Globalement, c’était plus «tox» que détox. J’ai ingéré des tonnes de sel et de gras, et il n’y a pas un truc que je rachèterais pour me faire plaisir. Je n’ai pas eu trop mal au ventre, en revanche, j’ai eu mal au porte-monnaie, car tout ce commerce m’a coûté un rein et vu toutes les saletés qu’il y a dedans, celui qui reste ne doit plus fonctionner très bien.
Martina Chyba
Beaucoup trop salé
«Le marketing fait bien son travail», relève Eléa Schneeberger, diététicienne chez MK-Nutrition à Genève. «Ce sont des produits vegans que l’on voit partout, poussés en avant par le veganuary (janvier végétarien) et par les réseaux sociaux. On peut comprendre que certaines personnes ne mangent plus de viande pour des raisons éthiques et qu’on leur propose des alternatives. Mais croire que c’est bon pour la santé, parce que c’est à base de plantes, est une erreur.»
D’abord, il n’y a pas lieu de parler de viande, de lait ou d’œufs, car ce ne sont pas des protéines animales. Ces produits contiennent des protéines, mais souvent beaucoup moins. «C’est un recours ultime, il vaut mieux manger cela plutôt qu’aucune protéine, poursuit la jeune diététicienne, mais ce sont des produits ultra-transformés. Ils contiennent de très nombreux ingrédients, plus de 15 parfois, et des composants qui n’existent pas dans nos cuisines, des arômes, des épaississants, des additifs, bref des choses chimiques. Par ailleurs, ils sont beaucoup trop salés et trop gras.»
Mais, alors, que fait-on si on veut diminuer ou arrêter complètement la viande? «Les gens qui consomment encore de la viande ont peu de risque de carence, pour eux, ces produits n’ont aucun intérêt. Que l’on mange moins de protéines animales ou plus du tout, la meilleure option est de les remplacer par des aliments bruts, comme les légumineuses ou le tofu. Associer, par exemple, des lentilles avec une céréale comme le riz, permet de compenser certains acides aminés que l’on trouve dans la viande.» Le conseil global par rapport à ces produits? «Considérer qu’ils sont tout en haut de la pyramide alimentaire, comme les chips et les viennoiseries, à consommer le moins possible, exceptionnellement, car ce ne sont pas de bons produits du point de vue nutritif.»
Et pour ce qui est du goût? Manuella Magnin, rédactrice en chef du site www.gout.ch et consultante en gastronomie, ne mâche pas ses mots: «J ’en ai beaucoup testé et goûté, je dis clairement non. Les gens cherchent dans ces produits des réminiscences de la viande ou du fromage, car ils aiment ça, et cela leur manque. Mais si on mange un produit censé ressembler à ce que l’on aime, on va comparer et, gustativement, on ne peut qu’être déçu.» La journaliste relève aussi l’excès de sel. «Comme la base est fade, on surcharge en exhausteurs de goût et condiments, c’est beaucoup trop salé.»
Manuella Magnin précise que c’est un énorme marché pour l’industrie. «Pour nous donner bonne conscience parce que nous savons que nous devons manger moins de viande. Mais si on veut faire cela, il faut cuisinier des produits non transformés. Les vrais vegans ou végétariens le font très bien. Un risotto, c’est facile et rassasiant par exemple. Et j’ai passé trois semaines en Inde à me nourrir sans aucune viande… et c’était parfait. Et bon! (M. C.)