Le passé de la Russie est plus que jamais présent

photo: © iStock / yulenochekk
Voyager dans ce pays nécessite de se familiariser avec son histoire. C’est d’autant plus vrai en cette année de commémoration des 100 ans de la révolution.
Le grand livre de la Russie s’est rouvert sur un chapitre compliqué de son histoire, puisqu’on commémore actuellement les 100 ans de la révolution. Le régime tsariste a en effet été renversé en février 1917, avant qu’une nouvelle page ne s’écrive le 7 novembre de la même année à Petrograd, aujourd’hui nommée Saint-Pétersbourg.
Dans le bâtiment de l’Institut Smolny, alors transformé en quartier général des bolchéviques, un certain Lénine lança, ce jour-là, l’insurrection qui conduisit à l’installation du régime communiste. Une période mouvementée, avec laquelle doit désormais composer Vladimir Poutine, président obnubilé par l’unité, qui a toujours préféré cultiver la nostalgie du soviétisme plutôt que de revenir sur ses pages sombres. « Il est absolument intolérable de vouloir provoquer des divisions, de la haine et des condamnations, et de rendre notre rapport au passé plus difficile », déclarait-il.
Mais a-t-il bien négocié ce jubilé ? « C’est un vrai exercice d’équilibriste pour le régime, dont la ligne officielle consiste à réconcilier la société russe avec un passé terrible, qui l’a profondément divisée entre les rouges (NDLR les bolchéviques) et leurs opposants blancs, répond Eric Hoesli, chargé de cours sur la Russie à l’EPFL. Un siècle après la révolution, la fracture est encore relativement importante, en raison des conséquences que cela a provoqué (guerre civile, répression stalinienne, etc.). C’est pourquoi le gouvernement a pris ses distances face aux commémorations, laissant des événements se réaliser, comme des expositions, mais s’abstenant de grandes manifestations officielles et marquantes. » Hors de question de réveiller les vieux démons …
A la lumière de ce que l’on vit
Dans un pays où les symboles destinés à rétablir un équilibre avec le passé sont nombreux — comme le montrent les drapeaux, puisque celui de l’armée de terre reprend l’étendard de l’armée rouge, alors que celui de la marine arbore la croix de Saint-André du tsar —, ce besoin qu’a le chef du Kremlin de rabibocher les Russes avec leur histoire et, par conséquent, de revaloriser certaines de ses figures, ne conduit-il pas à un manque d’objectivité ? « Pour Poutine, l’enjeu n’est pas la vérité historique, car tous les leaders traînent de lourdes casseroles symboliques derrière eux, mais de ménager tout le monde, explique Eric Hoesli, qui a eu l’occasion de l’interviewer. Un bon exemple a été quand il a évoqué la période stalinienne, l’une des plus dures qui soit. Il a rappelé, dans la foulée, que c’est grâce à Staline que l’Union soviétique a gagné la Seconde Guerre mondiale. » Lénine, lui, est davantage resté dans le placard de l’histoire, car il est moins présent dans la mémoire russe, moins clivant qu’un Staline, moins détesté aussi que Gorbatchev ou Eltsine. « L’image de Lénine a toutefois été un peu égratignée, se rapprochant davantage de la réalité, détaille le spécialiste. On parle désormais d’un bon orateur, mais au caractère difficile, très rigide, cassant. Et il doit aussi répondre de sa responsabilité dans la répression, qu’on a longtemps imputée exclusivement à Staline. La perception des dirigeants se modifie toujours à la lumière de ce qu’on vit. Ce qui importe, finalement, ce n’est pas tant ce qui s’est passé, mais l’image qu’on en garde et l’utilisation qu’on en fait dans le temps présent … » Et si l’un n’excluait pas l’autre?
Frédéric Rein