Mobilité : le vélo revient dans le peloton de tête

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Dopée par ses versions électriques et par le coronavirus, la petite reine connaît, aujourd’hui, un véritable boom, comme au bon vieux temps. Rencontre avec quelques-uns de ses adeptes qui n’ont jamais cessé de monter en selle.
Dans la grande course à la mobilité urbaine, le vélo revient dans le peloton de tête, duquel il avait momentanément été distancé. « Il a été très présent sur les routes suisses et européennes jusque dans les années 1950, confirme Patrick Rérat, professeur de géographie des mobilités à l’Université de Lausanne et coauteur du livre Au travail à vélo.
Ensuite, la voiture et les deux-roues motorisés se sont largement imposés, influençant grandement l’aménagement du territoire et les normes sociales. L’utilisation du vélo de manière utilitaire a alors décliné. Un rebond a pu être observé dès les années 1970 aux Pays-Bas et au Danemark, mais seulement il y a une dizaine d’années en Suisse. » Un retour en force en forme de clin d’œil de l’histoire, d’autant que de nombreuses montures de marques disparues ont refait leur apparition.
Un chiffre résume cette tendance : en 2019, le marché suisse des ventes de vélos a augmenté de 5,2 % (pour atteindre 363 497 unités). La progression de ce candidat pour désengorger les villes est, avouons-le aussi, en grande partie due à l’arrivée du vélo électrique. Selon une extrapolation de l’Office suisse vélo et e-bike, il devrait enregistrer une hausse de 25 % pour l’année en cours. Les e-bikes permettent de compenser le poids des années et les côtes trop raides.
Le rôle d’accélérateur du Covid-19
Une pratique également dopée par le Covid-19. A l’heure du maintien des distances sociales, les deux-roues ont en effet représenté une alternative efficace aux transports publics. Durant cette période, le trafic cycliste a ainsi bondi de presque un tiers, comme le montre une étude de l’Ecole polytechnique de Zurich. Conséquence logique, cela a incité de nombreuses cités européennes (Rome, Berlin, Barcelone, etc.) à créer des pistes cyclables supplémentaires.
En Suisse aussi d’ailleurs. « L’augmentation du nombre de cyclistes a conduit plusieurs villes, à l’instar de Berne, de Genève ou de Lausanne, à mettre en place des mesures provisoires pour compenser le déplacement du trafic des transports publics vers la mobilité active, comme le vélo, note Claudia Bucher, porte-parole de Pro Velo Suisse. Nos associations régionales demandent aux villes de les pérenniser. Avoir de bonnes infrastructures cyclables, comme à Winterthour ou à Bâle, augmente le nombre de pratiquants, car la sécurité y est meilleure. »
Silencieux, sain, propre
« L’enjeu est de proposer des conditions de circulation qui soient attractives, par exemple en réduisant la vitesse des voitures pour améliorer la cohabitation, renchérit Patrick Rérat. La Suisse est en retard sur ce point et le débat porte davantage sur le casque que sur les infrastructures et les aménagements qui pourraient rendre la pratique du vélo plus sûre. »
Peut-on, dès lors, croire en l’avenir de la petite reine ?
« Je le pense vraiment, répond le spécialiste de la mobilité. Il est silencieux, sain, propre, économe en surface et bon marché. Il contribue en outre à apporter une réponse aux défis que sont les changements climatiques, la pollution de l’air, le bruit, la congestion et la sédentarité. » Le vélo, un moyen de locomotion à pratiquer avec prudence, mais sans modération, comme en témoignent quelques adeptes de la première heure…
« Il s’agit d’une vraie source de bien-être » Frédéric Jakob, 66 ans, Auvernier (NE)
La pratique du vélo est un plaisir simple qui s’est imposé dans la vie de Frédéric Jakob dès sa plus tendre enfance. « Cela me procure un bien-être immédiat, aussi bien physique que mental, avoue-t-il sans détour. Je dirais même que les bénéfices ont augmenté au fil de ma pratique, car c’est un sport qui s’adapte à tout âge et qui est favorable tant au cœur qu’aux articulations. » Lorsqu’il travaillait encore dans le social, il ralliait chaque jour son lieu de travail grâce à son deux-roues. « J’ai fait durant une vingtaine d’années les 15 à 20 minutes qui séparaient Auvernier de Neuchâtel, se rappelle ce jeune retraité de 66 ans. C’était, sans conteste, le moyen le plus rapide de réaliser ce trajet. »
S’il constate que beaucoup de ses contemporains ont souvent levé le pied, notamment car « ce n’était pas toujours bien vu socialement », lui n’a jamais abandonné le pédalier. « Dans la première moitié du XXe siècle, des hordes de cyclistes habillés en civil sillonnaient les rues. La petite reine a ensuite perdu de sa superbe, pour redevenir tendance, récemment. Surtout auprès des jeunes, à ce que je constate sur les routes. Ils fréquentent les bourses, retapent des vélos d’époque », remarque ce père de quatre fils, tous rompus à cette pratique — l’un d’eux est même coursier. Bref, aujourd’hui, sur son vélo en aluminium vieux de dix ans, il est plus que jamais dans l’air du temps.
« Je l’utilise généralement dans mes déplacements urbains quotidiens dans un rayon de 10 kilomètres, note-t-il.
Je dispose aussi d’une remorque qui me permet de faire de plus grosses courses. »
La Suisse est-elle un pays où il fait bon pratiquer le vélo ?
« C’est très variable d’un endroit à l’autre, répond-il. Mais on est loin de la Hollande, où il y a des autoroutes à vélo et où les cyclistes sont aussi majoritaires et même prioritaires sur le bitume. Chez nous, en revanche, il faut être très concentré sur le trafic. Le nombre de voitures a augmenté et les pistes cyclables ne sont pas encore assez nombreuses, bien qu’il y en ait insensiblement plus. Je dirais que cela tend à devenir mieux qu’avant ! »
« Rouler à vélo représente un confort » Fabienne Guinnard, 77 ans, Martigny (VS)
1949. Fabienne Guinnard, âgée de 6 ans, revient en Suisse après avoir vécu en Angleterre avec sa famille. En 1954, elle est placée dans une ferme fribourgeoise pour y travailler. Le dimanche, elle fait du vélo sur un vieux modèle trouvé au fond de la grange. « Depuis, je n’ai cessé de le pratiquer au quotidien, confie celle qui rêve d’aller de la naissance du Rhône jusqu’à Marseille. Quand j’étais jeune, je faisais souvent Verbier-Martigny pour me rendre au travail. Il y a aussi eu de nombreux trajets urbains durant les quelques décennies où j’habitais à Lausanne. Pour éviter les montées trop éprouvantes où l’on sue beaucoup, j’avais fait monter un petit moteur sur la roue arrière de ma bicyclette ! »
Aujourd’hui, cette ancienne maître ébéniste possède d’ailleurs un vélo électrique en plus de ses… trois autres deux-roues ! Comment choisit-elle sa monture ? « Selon l’humeur du jour, l’utilité recherchée, la distance à parcourir et la topographie. » Aujourd’hui, Fabienne Guinnard ne roule plus que par plaisir.
« En tant que retraitée, je n’ai plus l’obligation d’aller au travail. En revanche, cela a toujours représenté un moyen de garder la forme. »
« C’est un bon moyen de faire du sport » Jean Lob, 92 ans, Lausanne (VD)
A Lausanne, il est devenu une légende. Chaque jour, Jean Lob enfourche vaillamment son vélo pour faire les quelques kilomètres qui séparent son domicile de son étude d’avocat. Ce rituel, il le pratique d’ailleurs depuis une bonne trentaine d’années. « Avant, je réalisais ce trajet à pied, puis j’ai opté pour le vélo, qui me permettait de gagner du temps. Par rapport à une automobile, on possède l’avantage de pouvoir se parquer presque partout. Un autre argument important à mes yeux, c’est la dimension sportive.
Se mettre en selle, c’est faire un effort physique, ce qui est absolument nécessaire pour quelqu’un qui a l’habitude de travailler dans une étude. » L’effort est d’autant plus soutenu que Jean Lob chevauche un vieux vélo acheté il y a déjà plusieurs années. « C’est plus intense qu’avec un vélo moderne, mais cela me convient parfaitement », note-t-il.
Il avoue toutefois devoir pousser son deux-roues sur certains tronçons du trajet, quand la montée est trop raide. Autre confession : il roule plutôt sur le trottoir que sur la route quand il en a l’occasion.
« Je pratique le système japonais, pays où il est autorisé de le faire, souligne l’homme de loi. Mais je vous rassure, je roule très lentement et je fais en sorte de ne jamais mettre les piétons en danger. Sur la route,
les véhicules ne font pas suffisamment attention aux cyclistes et cela peut vite devenir dangereux. » Un vélo qu’il utilise parfois aussi pour accomplir des distances plus longues, notamment quand il se rend à Pully.
«J’aime bien ce moyen de transport, car il me permet aussi de me changer les idées. Et puis, il y a une dimension écologique certaine. »
Que pense-t-il de l’engouement que connaît actuellement le vélo ?
« Les personnes qui le pratiquent estiment, comme moi, qu’il est mieux adapté aux courtes distances urbaines que les autres moyens de transport. Vous savez, à l’époque, j’étais un peu un précurseur, car j’ai été l’un des premiers à l’utiliser régulièrement pour me déplacer en ville. » Aujourd’hui, les citadins sont de plus en plus nombreux à suivre son exemple.
Frédéric Rein