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Culture

Son père avait écrit 800 lettres pendant la Première Guerre Mondiale

- sam. 01/04/2017 - 00:00
Jean-Claude Boré dispose d’un véritable trésor. A savoir 800 lettres écrites par son père depuis les tranchées de la Première Guerre mondiale. De quoi faire un spectacle.
Jean-Claude Boré
photos: © Corinne Cuendet

Les yeux bleus s’embuent quelquefois. Beaucoup de disparitions parmi son entourage, à la fin de 2016, le plongent sans doute dans une sorte de nostalgie. Pas toujours facile, à 87 ans, de regarder derrière soi. Et puis, il y a les lettres, les quelque 800 lettres détenues par Jean-Claude Boré, Français d’origine, mais Vaudois d’adoption depuis son arrivée chez nous dans les années 1960 pour travailler sur le chantier de l’autoroute. Une écriture serrée, parfois difficilement lisible: ces feuillets ont tous été rédigés par son père, Constant, artilleur téléphoniste, pendant son engagement durant la Première Guerre mondiale.

 

 

 

Dans son petit appartement de Chexbres (VD), rempli des souvenirs d’un grand voyageur, Jean-Claude Boré montre au visiteur ces classeurs où sont soigneusement rangés, depuis les années 1980, les écrits et les photos du poilu Constant. Un véritable trésor dont le fils a partagé la connaissance, en 2012, avec une de ses amies, metteuse en scène. Un peu par hasard. Il lui téléphone, elle lui répond qu’elle n’est pas vraiment disponible, étant en tournée à Verdun. Le déclic se fait. Jean-Claude parle et Nathalie Pfeiffer, comédienne et metteuse en scène, mais aussi passionnée d’histoire, réalise que cette collection épistolaire mérite un meilleur traitement, pour être accessible et transmissible à d’autres.

 

 

Pendant plus de deux ans, elle va entreprendre un travail digne des travaux d’Hercule, à savoir saisir sur son ordinateur et reconstituer, jour par jour, l’emploi du temps et les déplacements sur le front du conscrit Boré. Elle enquêtera également avec la plus grande minutie pour combler des trous, à savoir retrouver des noms, des villages détruits, des histoires de vie et des descendants qui répondent soudain.

«Aujourd’hui, ça marmite»

Première constatation qui correspond à ce qu’on peut voir sur les documents d’archives: les poilus partaient sans appréhension au front. Au contraire, on souriait et on chantait comme si on partait en course d’école et qu’on allait renvoyer les «Boches» chez eux en un tour de main. Certes, à l’époque, il n’y avait pas la télévision et internet pour disséquer les horreurs de la guerre. «Ils pensaient vraiment que ce serait l’affaire de quelques jours», rappelle Nathalie. Et puis, Constant Boré était content d’avoir appris le morse, de monter à cheval, de conduire un camion, de manier des armes, de s’endurcir dans la marche, le froid, la vie avec ses copains, de brancher un téléphone de campagne, de tirer des lignes … Il a eu l’impression de faire son Camel Trophy.»

 

 

Aujourd’hui, on sait quel enfer ont vécu les bidasses des deux camps dans ces tranchées et dans les barbelés. Mais, tout au long de son engagement, le soldat Boré parlera d’amitiés, des rencontres faites ci et là, des anecdotes. Jamais, il n’évoque de détails macabres et sanglants. Sinon deux: celle de cette femme hirsute, sans doute devenue folle, qui courait dans tous les sens au milieu de la bataille. «Et une seule fois, dans ces lettres qui commençaient toujours par «Chère maman», «Chère Marcelle» (NDLR sa sœur), souligne Jean-Claude, il évoque la violence d’un accrochage en écrivant : “Aujourd’hui, ça marmite.” Il faut dire que mon père n’avait peur de rien.»

Il n’y a aucun doute, il a aussi été gazé

Le fils en aura d’ailleurs la preuve lors de la Seconde Guerre mondiale. Dans une ville de Tours, à moitié démolie par les bombardements allemands — on est à la mi-juin 1940 –, Constant Boré décide de braver les nazis et d’aller faire des photos dans la ville, malgré l’interdiction formelle des occupants. Il embarque alors son fils dans une poussette, fait un petit trou dans la capote, afin que Jean-Claude puisse prendre des clichés de la ville dévastée ainsi que des envahisseurs. C’est d’ailleurs là qu’ils vont rencontrer un soldat belge en fuite. « Il a demandé à mon père ses vêtements pour pouvoir s’enfuir. Et mon père lui a mis une baffe en lui disant: «Moi, j’étais à Verdun, je n’ai pas déserté.»

120 000 corps non identifiés

Le poilu Boré décédera une année plus tard. «Durant 14-18, il avait reçu au ravin de la Caillette, à Verdun, un éclat d’obus dans l’épaule et un petit dans le cœur. Et, il n’y a aucun doute, il a aussi été gazé pendant la bataille comme tant d’autres. » Reste, aujourd’hui de cet homme, quelques rares objets et les 800 lettres qui constituent un témoignage précieux du quotidien des soldats français. Sans oublier des photos de lui et de ses camarades. Au cours de ses recherches, Nathalie Pfeiffer est devenue, presque malgré elle, une spécialiste de Verdun. « Il existe de nombreuses organisations qui se consacrent à cette histoire.» De fil en aiguille, on a ainsi pu montrer à la famille d’un camarade de tranchée de Jean-Claude-Boré une photo de son ancêtre dont elle n’avait aucune information. « C’est important, on sait qu’il y a 120 000 corps qui n’ont jamais été identifiés », relève Jean-Claude.

 

Le trésor constitué par ces lettres et ces photos, Jean-Claude Boré pensait, un jour, le transmettre à ses fils. « Mais nous n’avons plus de contact. » Triste, l’ancien chef de chantier ne sait donc pas ce qu’il adviendra de cet héritage.

Sur les planches

Pour l’heure, en tout cas, il prendra vie sur scène grâce à Nathalie Pfeiffer qui fera revivre ces poilus dans 1916, Ciel bleu à l’horizon. Un spectacle inspiré du courrier de Constant Boré qui fera la part belle à l’amitié, à la solidarité et au de courage. Des comédiens romands confirmés ainsi que des jeunes prometteurs constitueront une escouade qui a pour objectif aussi bien de faire rire que d’émouvoir les spectateurs. Et on se souviendra, au passage, des recherches de la metteuse en scène qui s’est aussi transformée en accessoiriste et en historienne et a parcouru des centaines de kilomètres pour retrouver des objets de l’époque, comme un casque ou une carte d’état-major.

Jean-Marc Rapaz

Plus d'infos:

1916, Ciel bleu à l’horizon, du 26 avril au 7 mai au Théâtre Oriental à Vevey; jeudi 11 mai et vendredi 12 mai à l’Espace des Terreaux, à Lausanne.


Le serrurier Constant Boré

Serrurier de formation, Constant Boré est mobilisé le 17 août 1916. Téléphoniste au 226e RACP (Régiment d’artillerie de campagne porté), il monte au front à Pâques 1917 pour la bataille du Chemin-des-Dames. Il écrira tous les jours à sa mère et à sa sœur, restées au pays du côté de Ingrandes-sur-Loire. Il décédera en 1941, lors de la Seconde Guerre mondiale, laissant un fils de 11 ans.

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