Jean-Claude Péclet célèbre, la jeunesse avec un vieux boîtier

©Péclet DR
A 70 ans, il photographie des jeunes gens avec un appareil de 1938 qui lui a servi de sésame : le journaliste vaudois Jean-Claude Péclet expose une série de portraits de jeunes animés de passions et du sens du collectif.
Pour générations, il commente six d’entre eux.
« Je revendique une approche empathique. » Jean-Claude Péclet, 70 ans en 2020, est sensible aux gens qui ont une passion et qui s’engagent. A son image. Que ce soit dans leur métier, un sport, la musique, une cause politique — sa série de portraits de jeunes gens, exposés à Vevey, en témoigne —, l’ancien journaliste vaudois n’a en effet pas perdu le goût du contact et sa curiosité est intacte.« L’avantage, avec ma retraite, c’est de ne plus avoir besoin de chercher le scandale. »
Amateurs de sports urbains, apprentis particulièrement doués, fans de jeux vidéo, chacune de ces prises de vue, en noir/blanc et en format carré, est l’histoire d’une rencontre. A l’heure du selfie sur smartphone, Jean-Claude Péclet ne pouvait qu’intriguer la génération Z (ceux nés après 1994) en s’approchant avec ce curieux boîtier sur le ventre, tête baissée vers la visée.
Par hasard
Cette aventure a commencé « par hasard » : « Sans y prêter attention, je me suis mis à réaliser avec ce vaillant ancêtre quelques séries de portraits de la Jeunesse de Sévery en train de monter un camp de rondins pour accueillir le Giron du Pied du Jura 2017. » La véritable prise de conscience se déclenche le 18 janvier 2019, à la gare de Lausanne : « J’allais prendre le direct pour deux expositions genevoises, Rolleiflex 1938 en bandoulière, quand le régional d’en face à dégorgé une cargaison de jeunes. Ouh là !, me suis-je dit, il semblerait que le climat et la biodiversité, l’épuisement des ressources rassemblent plus de monde qu’attendu… » Ce jour-là, sur Facebook, son nouveau « média », l’ancien journaliste retrouve ses réflexes : « J’ai emboîté le pas aux jeunes en me donnant ce défi: couvrir la manif lausannoise avec le Rollei entièrement manuel, trois bobines de 12 négatifs chacune, revenir chez moi, développer les films et les scanner pour en tirer douze images utilisables pour le lendemain. » Jean-Claude Péclet précise : « Comme au bon vieux temps de la photo argentique et des quotidiens, vous savez, ces chiffons de papier avec lesquels on emballait le poisson… »
Sa démarche tape dans l’œil du Matin Dimanche qui en publie une sélection. Dans la foulée, Luc Debraine, directeur du Musée suisse de l’appareil photographique, perçoit aussitôt la valeur du travail de son ancien collègue de L’Hebdo : « Cette ancienne technologie a permis au photographe de faire une galerie de la jeunesse d’aujourd’hui en Suisse romande. L’appareil suscite un contact, jouant le rôle d’intermédiaire entre le photographe et les sujets. »
Génération Z
Jean-Claude Péclet nous relate les anecdotes en-tourant chacun de ces portraits sélectionnés pour générations. L’exposition évoque aussi l’histoire du Rolleiflex, utilisé par les plus grands photographes au XXe siècle. Sa société mère, Rollei, a été fondée il y a exactement un siècle en Allemagne.
Sarah Gysler
« Sarah Gysler, aventurière, photographiée à bord de son bateau Dune à Port-Saint-Louis-du-Rhône, mai 2019.
Il y a cinq ans, la Palinzarde est partie à l’aventure, sans argent. De cette prise de risques rare est né un livre, Petite, qui s’est vendu à plus de 15 000
exemplaires. Puis elle est tombée amoureuse de ce voilier, qu’elle a patiemment remis en état. Mais ses retrouvailles avec la mer ne se sont pas bien passées. Destin de navigatrice contrarié, peut-être un destin d’écrivaine en devenir…
Sévery 17
« Quentin, Jeunesse de Sévery, juin 2017. Première série d’images faites avec le Rolleiflex de 1938, que je viens d’acquérir. A douze images par bobine, il faut tout miser sur une, deux, au maximum par personne… J’ai demandé aux jeunes de poser assis ou accroupis à terre, au milieu du village canadien qu’ils étaient en train de construire pour le giron du Pied du Jura.
Manif Climat 18.1.19.
« Première manifestation pour le climat, 18 janvier 2019, Lausanne. Je vais prendre le train pour Genève quand je vois débarquer des cohortes de jeunes sur les quais. C’est chez moi que ça se passe ! Le défi : avec trois bobines en poche, réaliser au moins douze images utilisables, les développer et publier le jour même. J’ai bien aimé ce slogan sur une pancarte de fortune et le regard des jeunes femmes découvrant la puissance de protester à cinq mille.
Sarah Atcho
« Sarah Atcho, sprinteuse, décembre 2018. En 2015, j’avais photographié (en numérique) les quelque 70 employés du Buffet de la Gare de Lausanne avant sa fermeture. Quand il a rouvert en Tibits,
je m’y suis pointé avec le Rollei et ai repéré cette belle jeune femme dont j’ai fait le portrait (1/25e, pleine ouverture, limite !), après avoir eu l’autorisation de la cerbère qui l’accompagnait. « Savez-vous de qui il s’agit ? » m’a demandé cette dernière. Non. Je venais de photographier une des femmes les plus rapides de Suisse !
Eileen Ailing Gu (Chine, freestyle)
« Eileen Ailing Gu (Chine), médaille d’argent en freestyle aux Jeux olympiques de la Jeunesse, Leysin, 18 janvier 2020. Temps splendide, il est tombé un peu de neige, la veille. La jeune sino-américaine vient de terminer son parcours, elle sait qu’elle l’a bien maîtrisé et savoure d’avance un résultat qui s’annonce excellent, tout en suivant des yeux les concurrentes qui la suivent.
Christian Triventi
« Christian Triventi, danseur hip-hop, champion du monde 2016 de poppin’C à Las Vegas, champion du monde 2019 en catégorie « Juste debout » à Paris. Photographié à l’école de danse Neptune de Vevey, où il enseigne. Entre le moment où a été prise cette image et le vernissage de l’exposition se sont écoulés neuf mois. Et que fait-on en neuf mois ? Une petite princesse prénommée Nalya.
Bobines neuves – Portraits argentiques – Jean-Claude Péclet, jusqu’au 23 août au Musée suisse de l’appareil photographique, à Vevey.
Nicolas Verdan