La cuisine de Ginette Mathiot

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Son livre de cuisine est un best-seller depuis 1932 — plus de 7,5 mil-lions d’exemplaires vendus — et vient d’être réédité. L’occasion de s’intéresser à son auteure décédée depuis 1998, à l’âge de 91 ans.

Son livre de cuisine a le ton de ceux que les jeunes filles romandes recevaient à l’école secondaire par le Département de l’instruction publique pour suivre leurs cours d’enseignement ménager : pratique, économique, pédagogique, distancié (les conseils sont divulgués à l’infinitif). Il a aussi l’inventivité de ceux de Betty Bossi mélangeant des idées applicables au quotidien avec des inspirations plus sophistiquées. A la différence particulière que Betty Bossi n’a jamais existé — c’est un personnage fictif né de l’imaginaire d’une publicitaire travaillant pour le fabricant suisse de margarine Astra.

Ginette Mathiot, en revanche, a une histoire qui traverse la France du XXe siècle. Voilà sans doute pourquoi les 2000 recettes de Je sais cuisiner donnent envie de se mettre au fourneau. En plus de déboucher sur des plats à la portée de chaque amateur de cuisine, elles relient à une ambiance qui sent le pain perdu. Celui des étals de poissons qui ne souffraient pas encore de la surpêche : plus de 200 recettes de poissons (anguille, lavaret, limande, merlan, raie, rouget, sole, entre autres, mollusques (ormeaux, oursins ...) et crustacés  (crevettes, écrevisses, homards ...). Celui des triperies qui n’avaient pas encore été dévastées par la crise de la vache folle : quatre recettes de cervelle de veau, cinq de têtes de veau, sans parler des recettes de cœur, de foie, de langue, de pied, de ris et de rognons de veau. Celui du tout fait maison, y compris les bonbons, la chapelure (du pain grillé au four, puis écrasé), la moutarde et la vanille en poudre. Celui enfin où rien ne se perdait : tout ce qu’on peut faire avec un reste de viande ou de volaille !

 

La cuisine faute de grives

Qui était Ginette ? En réalité, elle s’appelait Geneviève. Ginette était son petit nom. Elle est née en 1907 à Paris d’un père pasteur protestant et d’une mère Alsacienne (ah, ceci explique cela : la numérotation des recettes qui s’égrènent comme les versets de la Bible). Brillante élève (Ginette fait ses études secondaires au Lycée Fénelon, à Paris, où elle a pour condisciple la philosophe Simone Weil), elle aurait aimé se lancer dans des études de médecine, mais ses parents s’y sont opposés. «J’ai eu le malheur d’être une fille dans une famille où tout était réservé pour le mâle, le garçon qui faisait des études de droit», regrettait-elle encore peu de temps avant sa mort dans un article du quotidien Le Monde (il paraît qu’elle prononçait le mot « mâle » avec l’intonation parigote de Arletty.) Elle s’inscrit donc à l’Ecole normale d’enseignement ménager de la ville de Paris. Sa famille ne l’autorise pas davantage d’accepter les sept demandes de mariage, les prétendants n’étant pas protestants. « Si les gens qui se servent de mon livre, savaient combien de larmes d’amours contrariées ont mouillé les fiches sur lesquelles j’écrivais mes recettes ! » se souvient-elle jusqu’à la fin de sa vie. 

 

 

Alouette, je te plumerai

Elle a 23 ans, Ginette, quand elle se retrouve à plancher sur ses recettes. Par le fait d’un heureux concours de circonstances. En 1930, l’éditeur Albin Michel souhaite publier un livre de cuisine prenant en compte la diététique. Il se rend au Collège de jeunes filles Paul-Bert, situé juste en face de ses bureaux, rue Huyghens. On lui recommande une jeune enseignante, Hélène Delage. Celle-ci hésite devant l’ampleur de la tâche. Elle fait appel à Ginette Mathiot, une ancienne camarade de l’Ecole normale, devenue professeure d’arts ménagers. De fait, Hélène Delage ne participe pas au travail. Toutes les recettes sont testées par Ginette ou par l’un de ses élèves. En quelques mois, elle pond une somme. Les 2000 recettes suivent un préambule sur l’hygiène alimentaire (elle propose, par exemple, de présenter en premier un plat léger pour apaiser la faim), le savoir-vivre à table — (elle cite ces mots de Brillat-Savarin : « Convier quelqu’un à sa table, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous votre toit. ») —, l’organisation de la cuisine et quelques grands préceptes sur l’art culinaire — (saviez-vous que griller une viande permet à la fois la coagulation des protéines et la caramélisation de glucides ?). « Un bon livre de cuisine se doit de ne donner que des précisions utiles. Il évite les recettes quelconques ou trop compliquées pour la vie actuelle », précisait Ginette dans sa préface.
Deux semaines après avoir reçu le manuscrit, Albin Michel convoque son auteure et lui lance : « C’est très bien, mais il manque mon plat préféré : l’alouette plein beurre. » On ne s’étonnera donc pas de trouver la recette dans la dernière édition sous le numéro 923, même si les alouettes s’étant tellement fait plumer sont devenues rares.

 

La cuisine pour tous

Je sais cuisiner paraît le 1er août 1932. Il rapporte 4000 francs à Ginette (soit la moitié du forfait négocié avec l’éditeur, l’autre moitié étant allée à Hélène Delage pour son rôle d’intermédiaire). Ses parents, toujours de bon conseil, lui avaient suggéré une cession définitive du manuscrit plutôt qu’un pourcentage sur les ventes ! Quand on songe qu’il a été traduit en anglais, en russe, en espagnol, en suédois et en japonais et vendu à ce jour à 7,5 millions d’exemplaires, on se réjouit pour la Société de secours des amis des sciences à laquelle Ginette Mathiot a cédé ses droits avant de mourir ! 
Ce désormais classique de la cuisine (ce qui est modifié à chaque réédition, ce sont les ingrédients et le temps de cuisson adaptés aux habitudes et aux goûts du moment) sera le premier d’une série de trente ouvrages que Ginette publiera. Parallèlement, elle poursuivra sa carrière dans l’enseignement, devenant inspectrice générale de l’enseignement ménager. « En 1986, elle coucha sur papier ce qu’elle voulait être un résumé de sa vie. Figuraient les premiers cours de cuisine qu’elle fit donner pour les garçons », raconte son arrière petit-neveu Cédric Mathiot. Ginette Mathiot s’est éteinte en 1998 dans une maison de retraite du 13e arrondissement de Paris à 91 ans et décorée de la Légion d’honneur.

 


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Réédition       

   

Véronique Châtel

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