Une maman pour les hérissons

Sylvie Benoît et l'un de ses protégés. © Corinne Cuendet
Sylvie Benoît soigne, depuis bientôt 30 ans, ces petits mammifères recouverts de piquants. Portrait d’une retraitée neuchâteloise dévouée à ses pensionnaires.
La sculpture en métal qui trône devant l’entrée de l’immeuble de Sylvie Benoît donne un premier indice de sa passion. Le second est accroché au mur du couloir qui mène à son appartement neuchâtelois, situé sur les hauteurs du lac éponyme. « Ce sont les enfants d’une classe que j’ai visitée qui ont créé, avec tout leur cœur, ce calendrier de l’Avent en forme de hérisson », nous explique-t-elle fièrement. « Hérisson », le mot est lâché, même si ce sont deux gros chiens qui viennent d’emblée à notre rencontre. « Je suis maman de jour pour le plus clair des deux », précise cette septuagénaire.
Elle nous conduit alors dans son jardin d’hiver, où se trouvent plusieurs cages qui servent d’habitats aux hérissons qu’on lui amène. Actuellement, ils sont trois en soins dans l’appartement et trois en semi-hibernation à la cave, plus deux ou trois encore dans les trois parcs extérieurs. « C’est relativement peu, car l’hiver a été, jusqu’ici, clément. La plupart de ces petits mammifères ont donc pu atteindre les 600 grammes nécessaires pour tenir le coup à cette saison », explique la connaisseuse, qui peut accueillir un maximum de 12 individus.
Depuis 1986, année où elle a trouvé une nichée d’orphelins qu’elle a soignés, cette enseignante à la retraite offre son temps à ces boules de piquants. La prof de couture de Peseux aurait-elle transposé son goût prononcé pour les aiguilles sur cet animal ? « Cela provient plutôt d’un intérêt inné pour les animaux, répond cette adepte de la télépathie avec les bêtes. Ma chienne Plum-Plum, aujourd’hui décédée, y a aussi beaucoup contribué en dénichant les hérissons blessés. Si elle sentait qu’ils allaient mourir, elle se couchait et mettait les oreilles en arrière, et faisait l’inverse si le pronostic vital était bon. Elle ne s’est jamais trompée. »
Un jeune sur deux meurt
De fil en aiguille, ou plutôt de bouche à oreille, elle se fait connaître. Au début, les gens se montraient parfois surpris de sa démarche, mais, aujourd’hui, la plupart ont une sensibilité différente à l’égard des hérissons et lui disent merci. « Il faut oser faire ce qu’on ressent, car c’est ainsi que la vie devient belle et intéressante », insiste-t-elle. Et même les hérissons viennent « frapper » à sa porte ! « Certains, blessés, se retrouvent devant chez moi, comme s’ils avaient été guidés jusqu’ici », raconte cette antivivisectionniste convaincue.
C’est d’ailleurs bien que les hérissons suscitent davantage d’empathie, car leur situation a changé … « Elle s’est nettement dégradée, ces deux dernières années, déplore-t-elle. Les changements climatiques leur posent de gros problèmes. Faute de réserves de graisse suffisantes, beaucoup ne parviennent pas à affronter les printemps plus rigoureux qu’auparavant. Quand on sait que, en temps normal, un jeune sur deux meurt durant son premier hiver, on imagine bien les répercussions dramatiques que cela peut avoir. Il est donc important de les aider à cette période (lire l’encadré). En outre, je constate, sans savoir pourquoi, qu’ils ont de plus en plus souvent des problèmes d’yeux (infections, etc.). Même si leur sens le plus important est l’odorat, c’est assez préoccupant. »
En cette fin de janvier, une autre nouvelle lui a hérissé le poil : un projet immobilier devrait voir le jour au bout de sa rue, en lieu et place d’un espace vert. « C’est une catastrophe d’être le témoin de la disparition des milieux naturels. C’est autant d’habitats en moins pour les hérissons. »
Peur de rien
Mais Sylvie Benoît a décidé de s’employer pour limiter au maximum ce « projet démesuré ». Comme ses pensionnaires, la Neuchâteloise est déterminée. « Ce sont des mammifères qui n’ont peur de rien, même pas des routes sur lesquelles ils meurent ou sont estropiés en masse. Ces animaux sont très attachés à la terre qui les a vus naître. C’est pourquoi on demande aux gens de les remettre dans leur zone d’origine après les soins, sans quoi ils risquent de parcourir des dizaines de kilomètres pour revenir chez eux, comme nous avons pu le constater avec Henri, qui a traversé tout Neuchâtel durant Expo.02 pour retourner à Colombier. » Dans la foulée, elle évoque également Jojo, aveugle, qui est resté trois ans dans son jardin.
Des histoires de hérissons, Sylvie Benoît en aurait à raconter. Peut-être, une fois, dans un livre… Elle en a, en tout cas, déjà partagé quelques-unes avec sa petite-fille. « Elle a presque 18 ans, et me donne un coup de main depuis sa plus tendre enfance. Son aide est particulièrement précieuse quand les jeunes ont moins de 110 grammes, car ils doivent être nourris au biberon toutes les trois heures — dans la nature, ils sont sevrés quand ils atteignent 250 grammes, mais peuvent rester quelques mois encore dans le nid familial. » Ce moment où elle relâche ses protégés n’est-il pas difficile à vivre ? « C’est à chaque fois un crève-cœur, puisqu’on ne sait pas ce qui va leur arriver. Mais c’est ma manière de me sentir utile et d’agir pour la préservation de cette espèce amusante au regard malicieux et touchant. »
Frédéric Rein
Que faire si on trouve un hérisson ?
Si le hérisson est petit au printemps lorsque vous le trouvez, il aura vraisemblablement de la peine à survivre tout seul, car il a tout juste pu passer l’hiver. Il faut donc le prendre avec des gants et le mettre au chaud, dans une cage ou un carton avec des trous, qu’on installera dans la baignoire, afin d’éviter qu’il ne s’échappe. On y mettra de la paille ou de vieux chiffons, de l’eau (jamais de lait), et de la nourriture (des aliments pour chiens ou chats, des œufs brouillés non salés ou de la viande hachée de bœuf). Il convient ensuite de le peser et de vérifier qu’il n’a pas la diarrhée, qui peut s’avérer mortelle, puis appeler un centre de soins qui saura évaluer la situation.
Frédéric Rein
Chez Sylvie Benoît (NE), 079 480 91 79
Centre de soins du Zoo du Bois du Petit-Château, La Chaux-de-Fonds (NE), 032 967 60 71
SOS Hérissons, Vernier (GE), 078 821 16 69
Centre de soins de la Garenne. Le Vaud (VD), 022 366 11 14