L’héritage numérique, une succession (presque) comme une autre

Au moment de s’attaquer à la succession numérique d’un proche, c’est souvent l’accès à ses comptes et à ses données en ligne qui constitue le plus gros obstacle. © iStock

Que faire des fichiers, comptes, photos, données numériques et autres cryptomonnaies d’une personne défunte? La question de l’héritage digital doit aussi être abordée au moment de régler une succession. Eclairage et conseils d’expert.

Au détour d’une sous-page de réglages du profil Facebook, à côté de «paramétrages de commémoration», une phrase interpelle: «Décidez de ce que vous voulez faire de votre profil principal en cas de décès.» De plus en plus de réseaux sociaux, fournisseurs de messageries électroniques ou prestataires de services en ligne proposent de déterminer l’avenir de ses comptes après sa mort. En jeu : l’héritage numérique. En bref : qu’advient-il des données, comptes et biens « immatériels» d’une personne décédée?

«Nous abordons depuis quelques années cet aspect de la succession avec nos clients qui ignorent, pour la plupart encore, tout des spécificités de l’héritage numérique», admet Marc Beuchat, avocat exerçant le droit successoral au sein de l’étude Eigenmann Associés à Lausanne. «Le droit successoral suisse actuel est né en 1907 et il n’était, alors, pas visionnaire au point d’aborder l’héritage numérique. La révision qui entrera en vigueur en 2023 n’en fait pas davantage mention.

Des échanges interviennent au niveau européen avec le High level expert group on Digital Inheritance for the European Law Institute présidé par Antoine Eigenmann. Cela dit, il n’y a actuellement pas de solution juridique spécifique. L’héritage numérique fait partie intégrante de la succession et chacun est ainsi libre de le régler selon ses souhaits et la loi», précise Me Beuchat. Il préconise d’ailleurs un règlement global de sa succession, sans distinguer numérique et «ordinaire», le patrimoine de chacun formant un tout.

Reste que tous ces «avoirs» ne sont pas à traiter de la même manière : certains ont une valeur patrimoniale, d’autres peu ou pas; les uns relèvent du simple «droit d’utilisation de son vivant», régi par des conditions contractuelles et n’entrent, par conséquent, pas dans la masse successorale. Une constante cependant: l’accès à toutes ces données constitue un obstacle, justifié par la protection des données et/ou de la personnalité (secrets médical, bancaire, de correspondance).

Photos et fichiers textes

Le cas des images et des textes stockés sur support local comme un ordinateur ou un disque dur externe — clé USB, tablette ou smartphone compris — est simple et peut se régler dans la succession comme tout autre bien : « Ces fichiers sont propriétés du défunt et reviennent aux héritiers. Un même document présente l’avantage de pouvoir être copié et remis à plusieurs bénéficiaires », relève Me Beuchat. Généralement, ces documents n’ont pas de grande valeur «économique», à moins qu’ils ne soient protégés par le droit d’auteur… et se traitent alors comme dans une succession «ordinaire». La théorie considère en outre que les héritiers devraient aussi accéder aux fichiers stockés dans un espace virtuel («cloud»).

Bibliothèque musicale, films

Les films, ebooks et albums de musique achetés et téléchargés légalement entrent dans la même catégorie que les fichiers ci-dessus au regard du droit successoral et peuvent être transmis à des héritiers. Il en va, en revanche, différemment de la musique et des vidéos jouables en «streaming» via des abonnements sur des plateformes comme Apple Music ou Netflix: généralement, les conditions contractuelles octroient un simple «droit d’utilisation» individuel de son vivant, ce qui exclut toute transmission au décès.

Réseaux sociaux

Une autre partie de la succession «numérique» n’ayant généralement pas de valeur patrimoniale est constituée par les profils sur des réseaux sociaux de type Facebook, Instagram, TikTok, etc. Pour eux aussi, l’utilisation est régie par une relation contractuelle qui commence avec l’inscription et prend usuellement fin lors du désabonnement ou du décès du contractant. 

Revendiquer l’héritage de photos à Instagram ou de commentaires auprès de Facebook a peu de chance d’aboutir, dans la mesure où les conditions générales que l’on doit accepter pour s’inscrire prévoient quasi toujours la renonciation aux droits d’auteur. Autre écueil: ces prestataires ont rarement leur siège en Suisse et ne sont ainsi pas aisément soumis à sa juridiction, relève Me Beuchat.

Comme vu plus haut, il est parfois possible de «laisser une trace» post mortem dans le monde virtuel, soit en réglant au préalable ses «paramètres de commémoration», soit en donnant à ses héritiers la possibilité de modifier son profil.

Messagerie électronique

Les comptes de courriel ne présentent, eux non plus, pas de valeur patrimoniale en soi. Une adresse électronique joue cependant un rôle crucial, car très souvent requise pour accéder à la plupart des services en ligne ou en réinitialiser les mots de passe.

E-banking et cryptomonnaies

Si les avoirs du défunt sur des comptes bancaires sont transmissibles aux héritiers, les cryptomonnaies, bitcoins par exemple, ne sont pas reconnues comme des biens matériels… «Mais, souligne Me Beuchat, par principe, elles font partie de la succession et doivent être traitées comme telles.» Il en va de même pour les biens que la personne décédée — ou son avatar ! — a acquis dans le «métaver» (monde virtuel) à la valeur patrimoniale potentiellement importante: maison, bijoux, œuvres d’art (non fongible token ou NFT).

Guillaume Arbex

CONSEILS PRATIQUES

Une fois listés les domaines concernés par l’héritage numérique, force est de constater qu’il est difficile de procéder à l’inventaire des «biens» sans moult mots de passe. Pour garantir le volet numérique d’une succession le plus serein possible, voici quelques démarches pratiques préconisées par l’étude Eigenmann Associés.

Pour la personne concernée:

♦ Dresser et tenir à jour une liste de tous ses comptes, avec les identifiants et les mots de passe (messagerie, réseaux sociaux, comptes bancaires en ligne, fournisseur d’accès, opérateur téléphonique, dossier médical, etc.) et la confier à une personne de confiance. 
♦ Rappelons que les conditions générales interdisent souvent la transmission des accès à des tiers.
♦ Enregistrer les données stockées en ligne (courriels, photos, etc.) sur un disque dur accessible aux héritiers.
♦ Indiquer, pour chaque service, s’il est payant ou gratuit pour éviter qu’en cas de non-renouvellement, les données soient effacées.
♦ Vérifier auprès de chaque service si une procédure de succession numérique est possible.
♦ Planifier le sort des actifs numériques.
♦ Consulter un avocat ou un notaire pour respecter le formalisme du droit successoral.
♦ Choisir éventuellement un exécuteur testamentaire.

Pour les proches:

♦ Etablir un instantané des activités online du défunt.
♦ Résilier les abonnements aux services online après avoir établi une copie des données, en présence des héritiers.
♦ Faire appel à un avocat ou à un notaire en cas de difficultés à désactiver un service.

>> Explications et liens utiles sur la page du préposé fédéral à la protection des données

>> Lire aussi: Les embûches de l'héritage numérique sur le site d'Helvetas

 

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