«Les Suisses veulent un renforcement des 2e et 3e piliers»

Les conseillers nationaux en séance plénière au Palais fédéral à Berne. © Béatrice Devènes / Services du Parlement
Le Baromètre de la prévoyance 2022 met en lumière les souhaits des Helvètes à l’égard du système des trois piliers. Damien Combelles, spécialiste en planification financière et prévoyance chez Raiffeisen Suisse, revient sur cette étude et sur l’actualité du moment.
- Quels enseignements tirez-vous de votre 5e baromètre de la prévoyance?
- Que la majorité des sondés souhaite un renforcement des 2e et 3e piliers parallèlement au 1er pilier. Il ressort aussi que 60% de la population veut supprimer la pénalisation du mariage dans l’AVS, ce plafonnement étant souvent perçu comme injuste. On constate en outre que la tendance à percevoir des prestations de prévoyance sous forme de capital ou sous forme mixte se poursuit au détriment de la rente.
- Cette volonté de revaloriser le 2e pilier est en train de se concrétiser au niveau fédéral…
- En effet. La réforme du 2e pilier proposée par le Conseil fédéral vise à améliorer la situation des bas salaires, des travailleurs à temps partiel ainsi que des salariés cumulant plusieurs employeurs. Le projet se trouve actuellement au sein de la Commission du Conseil des Etats et son traitement risque encore de prendre du temps, mais il est important de parvenir à élaborer un projet équilibré et susceptible de recueillir une majorité. La moitié des personnes que nous avons interrogées estiment qu’il faudrait commencer à épargner plus tôt, et 45% d’entre elles pensent que les travailleurs à faible revenu devraient également être assurés auprès d’une caisse de pension. Ces deux approches révèlent une disparité entre les générations. Tout le défi consiste à aménager les réformes de manière à préserver l’équité entre les unes et les autres.
- Comment le résultat des votations — 65 ans pour les femmes — va-t-il influencer la prévoyance?
- Les femmes nées en 1964 seront les premières à travailler une année entière supplémentaire. Les neuf premières classes d’âge concernées par ce relèvement recevront des compensations. Ce nouveau seuil de 65 ans s’applique également à la prévoyance professionnelle. De fait, travailler une année de plus signifie aussi pour les femmes une augmentation de leurs prestations du 2e pilier.
- Comprenez-vous le mécontentement de certaines femmes?
- Sur la question de l’âge idéal pour le départ à la retraite, la réponse qui nous a le plus fréquemment été donnée est un départ à 65 ans pour les deux sexes. Cela ne convainc toutefois que 30% des femmes et 26,5% des Romands. Comme le montrent les résultats des votations, les écarts entre les régions sont plus marqués que ceux entre les sexes.
- Avez-vous des conseils à donner à ces femmes?
- Comme les taux de réduction et les suppléments de rente sont dépendants du revenu annuel moyen, une planification précise, avec une analyse des différentes options, est judicieuse — il est possible de se renseigner directement auprès de la Caisse de compensation ou de se faire conseiller par un spécialiste. Les femmes de la génération transitoire pourront, en effet, choisir d’anticiper la retraite en bénéficiant de taux de réduction de rente avantageux ou de travailler jusqu’à l’âge de référence et recevoir, en contrepartie, des suppléments de rente à vie. Celles qui souhaitent travailler au-delà de l’âge de référence devront en outre décider si la franchise AVS de 1400 francs par mois (NDLR: la partie du revenu des travailleurs en âge de retraite qui n’est pas soumis à cotisations) doit être appliquée ou non.
- Est-ce qu’il y aura assez d’emplois pour absorber les femmes actives de 64 ans et plus?
- Tout dépend de la branche économique où elles évoluent. Dans de nombreux secteurs, il y a une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, qui devrait s’accentuer dans les années à venir avec le départ à la retraite des baby-boomers.
Plusieurs idées sont en discussion... dont un relèvement de l'âge de la retraite pour les deux sexes
- Hormis l’âge des femmes, quels sont les autres changements induits par la récente votation fédérale sur l’AVS?
- L’introduction de la retraite flexible dans le 1er et le 2e piliers. Elle permettra, à l’avenir, à tous les actifs de glisser en douceur vers la retraite. Les Suissesses et les Suisses pourront anticiper leur retraite à partir de 63 ans (62 ans pour les femmes de la génération transitoire) et l’ajourner jusqu’à 70 ans révolus — avec les réductions et les augmentations de rente correspondantes. Et, désormais, il est aussi possible d’anticiper ou de retarder une partie seulement de la rente. La poursuite de l’activité lucrative au-delà des 65 ans permettra, d’une part, aux personnes ayant un revenu annuel moyen inférieur au salaire maximal déterminant AVS (actuellement 86'040 francs) d’améliorer leur rente AVS pour tendre vers une rente maximale, d’autre part, de combler les lacunes de coti-
sations existantes. La possibilité de renoncer à la franchise mensuelle de 1400 francs accélérera le processus.
- Faut-il s’attendre à une hausse prochaine de l’âge de la retraite pour les hommes?
- Actuellement, plusieurs idées destinées à financer durablement le système de prévoyance sont en discussion, dont un relèvement de l’âge de la retraite pour les deux sexes.
- Les futurs rentiers ont-ils des soucis à se faire?
- La responsabilité personnelle reste centrale en matière de prévoyance. Aujourd’hui déjà, les revenus de l’AVS et de la caisse de pension suffisent rarement à maintenir le niveau de vie habituel après la retraite.
- L’inflation est là, les assurés sont-ils inquiets?
- Trois quarts de nos sondés ne protègent pas suffisamment leur patrimoine contre l’inflation ou sont démunis face à la manière de le faire — qui peut notamment prendre la forme d’investissement en épargne titre. Cela dit, en raison de l’inflation record, les banques centrales du monde entier resserrent la vis des taux d’intérêt, ce qui, à long terme, sera toutefois positif pour les épargnants, car les intérêts des placements dits sans risque vont augmenter.
- Cela fait cinq ans que vous réalisez le baromètre de la prévoyance. Quel enseignement en tirez-vous?
- Depuis la première enquête, en 2018, la confiance dans chacun des trois piliers du système de prévoyance suisse a augmenté, la prévoyance vieillesse privée jouissant de loin de la plus grande confiance — 50% des Helvètes ont une confiance élevée à très élevée dans le 3e pilier. C’est positif, car cela encourage à agir. Autre point réjouissant: l’épargne sous forme de titres dans le 3e pilier devient peu à peu la norme. Malheureusement, les connaissances sur la prévoyance vieillesse restent à un niveau bas depuis des années.
Propos recueillis par Frédéric Rein