Un nouvel avenir pour la colocation intergénérationnelle?

Monique (à g.) et Marine ont été accompagnées par Kevin pour réaliser au mieux leur colocation. © Sandra Culand
Si des seniors romands partagent leur habitat devenu trop grand avec des étudiants ou des jeunes actifs, beaucoup n’osent pas franchir le pas. Un nouvel acteur sur le marché propose désormais un modèle un peu différent.
Ttristesse rime souvent avec solitude. Les sondages montrent que cette dernière pèse particulièrement sur le quotidien des seniors, notamment quand ils sont confrontés à un veuvage. Une solution consiste, pour certains, en une colocation intergénérationnelle. Si le concept n’est pas nouveau en Suisse, ni en Romandie (lire ci-dessous), il répond à une logique, puisque deux tiers des personnes âgées séjournent dans un logement considéré comme sous-occupé. De surcroît, quelque 95% des seniors souhaitent vieillir à domicile — la fréquentation des EMS a baissé de 4% en 2020 et les prestations à domicile ont augmenté de près de 7%. Pourtant, les acteurs présents sur ce marché de la «coloc» restent rares, plusieurs d’entre eux ayant même cessé leur activité. «Nous avons mené entre 2012 et 2021 un projet de logement intergénérationnel, atteste Valérie Ugolini, responsable Services Aide aux familles de la Croix-Rouge fribourgeoise. Nous avons reçu de nombreuses demandes d’étudiants, mais, malgré toute la publicité, peu de seniors. Après avoir eu deux à cinq duos par année, nous avons décidé de mettre un terme à cette offre.» Les seniors ne sont pas opposés à cette idée, mais peinent à ouvrir les portes de leur intimité, notamment celle de leur salle de bain.
Un loyer à payer
Malgré tout, Kevin Kempter, travailleur social de formation et assistant HES à la Haute Ecole de travail social et de la santé de Lausanne — HES-SO — vient de créer Elderli, plateforme de colocations intergénérationnelles. Ce projet est le fruit de son travail de master. Il a été conçu sur une méthode participative, au cours de laquelle des seniors, un professionnel de Pro Senectute, un étudiant et une scientifique experte de la thématique du vieillissement et de l’habitat se sont mobilisés afin de répondre aux préoccupations des uns et des autres. «Nous avons tenté d’améliorer le concept de colocation intergénérationnelle afin qu’il colle au plus près aux besoins et aux envies. J’ai également analysé comment il était possible de lutter contre le processus de marginalisation que génère l’habitat des personnes âgées, détaille-t-il. La désaffiliation comme la paupérisation représentaient l’une de ses causes, d’où le fait de demander un loyer, modéré, aux étudiants ou aux jeunes actifs, sans pour autant effacer le caractère solidaire. En outre, cette contribution évite de se retrouver dans un rapport de force entre la personne âgée et le locataire.»
© Sandra Culand
En l’ocurrence, Marine doit payer 630 francs par mois pour la sous-location (qui doit être signalée au propriétaire si on est locataire), dont 90 fr. partent pour les coûts de fonctionnement de Elderli. «Nous estimons avec l’accueillant la valeur immobilière et les services à rendre, ajoute Kevin Kempter. Le loyer nous est ensuite payé, de sorte que d’éventuels problèmes d’argent n’interfèrent pas négativement sur la relation. Nous assurons également trois mois de loyer en cas de litige. Le montant que nous prélevons sert à couvrir nos frais.»
Accompagné par un travailleur social
Car la grande plus-value de Elderli repose sur une relation accompagnée professionnellement tout au long du procédé. Le travailleur social, seul interlocuteur du duo, intervient au moment d’étudier les profils et de déterminer ceux qui pourraient s’entendre. «Nous rencontrons le candidat senior pour déterminer ses besoins et ses envies, souligne Kevin Kempter. Nous publions ensuite une annonce sur Internet pour trouver son binôme. S’ensuit une sélection et des entretiens. Enfin, les deux personnes sont présentées, en présence du travailleur social, qui sera à chaque fois leur référent.»
Le duo peut ensuite décider de se voir le nombre de fois nécessaires avant la signature de la convention. Par la suite, leur référent vérifiera que la relation reste équilibrée. «Durant cette séance mensuelle, on peut évoquer les non-dits, poursuit-il. Et s’il y a un problème relationnel important, la personne de contact se tient à disposition pour organiser une rencontre dès le lendemain. A noter qu’un préavis de trois mois permet de mettre un terme à la convention, renouvelable d’année en année. En outre, si le travailleur social détecte des signes de fragilisation chez le senior, il sera à même de l’aiguiller vers les services qui pourront l’aider.» Kevin Kempter arrivera-t-il à convaincre? Le pari est lancé.
>> Voir le site de Elderli
Frédéric Rein
Une relation win-win
Veuve depuis dix ans, Monique vit dans son quatre pièces et demie dans l’Ouest lausannois. Depuis 2016, cette septuagénaire amatrice de chant et de prière liturgique, accueille par intermittence (deux à six mois par an, et pas toutes les années) des étudiants. «Je vois plusieurs intérêts, explique-t-elle. La rencontre du jeune, de sa famille et de ses amis représente un challenge qui remet en question mes a priori et m’expose à une sorte d’aventure ludique, qui bouscule un peu mon train-train. En outre, cette location améliore mes rentes.» Si, les premières fois, elle a cherché elle-même des étudiants sur Internet, elle a, cette fois-ci, décidé de passer par Elderli. «J’ai tout de suite adhéré au projet, car il est soutenu par des valeurs morales qui me parlent.»
Trés agréable
Sa colocataire actuelle se nomme Marine. A 20 ans, que recherche cette jeune femme qui, après deux années passées à l’EPFL, souhaite se réorienter pour venir en aide aux enfants polyhandicapés? «C’est important, pour moi, de ne pas être seule, comme durant la pandémie. Cette période n’a pas été facile. Savoir qu’une personne est à la maison est très agréable. Et le fait que ce soit quelqu’un de plus âgé rend l’expérience sympathique: c’est comme si j’avais ma grand-mère chez moi! Je vais pouvoir partager avec elle, tout en ayant mon espace privé et en me sentant libre de faire ce que je souhaite. L’aspect financier est également une motivation.
Trois programmes romands
- Genève: des coups de main
Créée en 2016 par l’Université de Genève, cette formule permet à un étudiant de loger en échange de trois à six heures de coups de main. Un dédommagement pour les frais courants de 100 à 120 francs est en outre versé à l’hôte. «Depuis trois ans, nous avons 65 à 70 tandems chaque automne, mais nous sommes toujours en recherche de nouveaux hôtes», explique Sabine Estier Thevenoz, responsable. Il s’agit d’un rapport de solidarité entre deux générations qui s’entraident, les étudiants offrant aide informatique, promenade d’un chien, courses, etc.» Les deux parties signent une convention renouvelable chaque année. Moins de 10 % des tandems rencontrent des difficultés.
>> Voir le programme sur le site de l'Université de Genève
- Suisse romande: trois formules à choix
Développé par des privés à partir de 2011, ce concept permet à des seniors ou des familles de loger des étudiants ou des jeunes salariés pour une durée déterminée. Trois formules sont proposées: « Chambre gratuite», où seuls sont demandés au jeune des services et, généralement, une obligation de présence le soir; «Chambre à loyer modéré», entre 100 et 450 francs par mois charges comprises, mais les obligations sont moindres et, enfin, «Chambre sans prestation», à savoir un loyer au prix du marché, mais pas de contreprestations. «Notre modèle mise sur le succès de la qualité de cohabitation», précise Stuart Urquhart, administrateur chez «Ensemble avec toit». Les deux parties s’engagent à respecter une charte. L’accueilli doit en outre s’acquitter lors du premier contrat, de 280 francs de frais de dossier. «Nous avons très probablement eu plus de 1000 binômes, et tournons avec une moyenne par année de 50 à 100 duos.
>> Voir le site d'Ensemble avec toit
- Neuchâtel: formule mixte
Appart-Age a vu le jour en 2019. Là encore, en échange de quelques heures de présence et de coups de main rendus, une chambre est mise à disposition d’un étudiant, qui devra seulement s’acquitter d’un forfait de 100 francs par mois destiné à couvrir les charges. «Depuis le début du projet, nous avons réuni un peu moins de dix tandems. A plus long terme, nous espérons encore trouver une dizaine d’hôtes afin de répondre à la demande de tous les étudiants inscrits.» (F.R.)
>> Voir le programme Appart-Age sur le site de l'Université de Neuchâtel
Chambres pour étudiants avec vue… sur EMS!
Les complexes intergénérationnels se développent en Suisse romande. Il n’est plus rare de voir un établissement médico-social (EMS) jouxter une crèche. Ces dernières années, à Genève, des projets ont aussi mis en présence des EMS et des bâtiments destinés aux étudiants. C’est par exemple le cas au Prieuré ou à l’Adrets.
Au Prieuré, les étudiants peuvent ainsi, s’ils le souhaitent, travailler dans l’EMS ou le foyer pour personnes polyhandicapées afin de compléter leurs revenus. A l’Adret, les étudiants s’engagent, dans l’optique de réduire le montant de leur loyer, à donner cinq heures par mois de leur temps, soit par le biais d’une présence active et régulière auprès des locataires seniors, soit pour des tâches d’intérêt général en faveur de la structure. Un modèle, inspiré de la Hollande, qui fait déjà des émules du côté de Zurich et devrait être amené à se développer… (F. R.)