Vieillesse et mal de vivre: comment rebondir?

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Entre perte d’autonomie et délitement des liens sociaux, vieillir peut engendrer solitude et dépression. Enquête et pistes pour aider nos aînés.

L’espérance de vie ne cesse d’augmenter, la recherche médicale n’arrête pas de progresser. Et, pourtant, garder le sourire à un âge avancé n’est pas toujours aisé. Vous-mêmes ou vos proches avez sans doute déjà dû faire face à différentes ruptures, parfois très difficiles à surmonter. Une fois à la retraite, il faut déjà retrouver sa place et un rôle dans la société. Puis, accepter de voir son corps changer, ses performances diminuer. Ou encore devoir vivre avec la perte d’un conjoint et constater que son cercle amical ou familial commence petit à petit à se resserrer…

 

Qui d’entre nous n’est pas concerné, de près ou de loin, par ces difficultés? On sait que, en vieillissant, il faut faire le deuil d’une partie de sa vie passée. Mais comment réussir à rebondir, malgré tout? Et quelles sont les réponses à donner à une personne âgée qui estime que son existence n’a plus de sens?

Médecins, famille, assistants sociaux, proches aidants, voisins, voire simples connaissances: tout le monde peut, d’une manière ou d’une autre, et dans une certaine mesure, apporter son aide et son soutien. Surtout aux personnes qui commencent à s’isoler et à déprimer, craignant d’être une charge pour leurs proches et la société.

Dépression masquée

En Suisse, les plus de 75 ans sont deux fois plus touchés par des symptômes dépressifs que les actifs. Avec la démence, la dépression serait le trouble psychique le plus fréquent parmi les personnes âgées. Plus particulièrement, une enquête réalisée dans les centres de soins en Suisse a révélé que 28 % des pensionnaires d’un home souffraient de dépression et qu’un autre tiers (34 %) présentait des symptômes dépressifs, sans qu’un diagnostic ait été posé en bonne et due forme.

 

Et c’est bien là tout le problème. La dépression chez la personne âgée n’est souvent pas reconnue ou mal diagnostiquée, car elle peut facilement être attribuée au processus de vieillissement et être masquée par des troubles somatiques : «On pense que c’est normal que l’aîné soit triste. Si la détection de la dépression peut être problématique à tout âge, quand la personne est âgée, d’autres symptômes, plus apparents, sont pris en compte et priment souvent. Les troubles de l’humeur sont moins identifiés et, quand ils le sont, souvent, ils ne sont pas traités», note Dolores Angela Castelli Dransart, professeure à la Haute Ecole fribourgeoise de travail social à Givisiez.

La dépression chez la personne âgée est fréquente, mais sous-estimée

Un constat partagé par Jérôme Fredouille, médecin adjoint a.i. au Service de psychiatrie gériatrique aux HUG. «La dépression chez la personne âgée est fréquente, mais sous-estimée, car bien souvent masquée. L’humeur triste n’est pas au premier plan du comportement. La personne âgée déprimée risque plutôt d’être irritable ou de se plaindre de problèmes somatiques. » Désengagement, désinvestissement dans les loisirs, hostilité, amertume, aigreur ou reproches : autant de signes avant-coureurs qui devraient mettre la puce à l’oreille. Tant l’entourage que le monde médical devraient ainsi savoir lire entre les lignes. Et ne jamais prendre la situation à la légère. Surtout quand, de surcroît, la personne âgée avoue ne plus avoir envie de vivre (lire ci-dessous).

Sentiment d’inutilité

S’il est rare qu’une personne âgée se plaigne ou formule clairement une tristesse, Jérôme Fredouille remarque, en revanche, que le sentiment d’être inutile est très souvent exprimé. Typiquement, à un moment donné, trouver sa place dans le cadre familial devient compliqué, généralement avec l’arrivée de la quatrième génération : «Dans les familles nombreuses, la personne âgée est sollicitée pour s’occuper des petits-enfants, elle retrouve ainsi une vitalité. Mais 15 ou 20 ans plus tard, avec l’arrivée des arrière-petits-enfants, la donne change. Toute l’attention est portée sur le nouveau-né et on ne compte pas sur les arrière-grands-parents pour donner un coup de main.»

 

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L’entourage, et en particulier la famille, joue alors, à ce moment-là, un rôle fondamental. Ainsi, même si les rythmes ont changé, même s’il est devenu difficile de trouver le temps d’aller voir son parent (ou son grand-parent), il est toujours possible de lui rappeler que sa vie a du sens : «Pensez à lui dire l’importance qu’il a pour vous, encourage le psychiatre Jérôme Fredouille. Parler avec lui, c’est connaître vos origines, vos racines, c’est retisser votre propre histoire, c’est mieux comprendre qui vous êtes. Cette transmission est très précieuse, c’est ce qui fait l’identité d’un groupe familial. Et, si la mémoire fait quelque peu défaut, montrez-lui des photos, des vieilles diapos. C’est un vrai moment de partage.»

Perte d’autonomie

Arrivé à un âge avancé, les facultés physiques et les performances tendent, elles-aussi, à diminuer. Ce qui peut clairement avoir une incidence sur le bien-être des aînés : « A partir de 80 ans, les personnes âgées cumulent en moyenne trois à quatre maladies chroniques avec, parfois, des répercussions sur l’autonomie », relève Christophe Büla, chef du Service de gériatrie au CHUV. Une multimorbidité qui n’est pas sans conséquences sur la qualité du vieillissement. « Les interactions rendent la situation plus complexe. Une personne âgée avec de l’arthrose et des problèmes cardiaques va avoir de la peine à monter les escaliers et va vouloir rester chez elle. Elle ne va plus sortir aussi souvent. C’est une cascade de conséquences.»

 

Pour le spécialiste, tout l’enjeu actuel consiste donc principalement à trouver des solutions pour qu’on puisse « passer de vie à trépas sans endurer la phase où l’on est dépendant des autres ». Donc maximaliser l’espérance de vie sans incapacité ou, autrement dit, réduire au maximum la phase difficile où l’on est tributaires des autres, période qui s’étend en Suisse de huit à dix ans pour les femmes et de six à sept ans pour les hommes.

 

Dans cette idée, le meilleur moyen d’y parvenir et, ainsi, d’améliorer la qualité de vie des aînés repose, comme toujours, sur des mesures préventives. Soit ne pas fumer, avoir une activité physique régulière, une alimentation saine et équilibrée et une implication sociale, y compris après la retraite. Et sachez qu’il n’est jamais trop tard: « Même à 80 ans, s’activer physiquement trois fois 30 minutes par semaine permet déjà d’augmenter son espérance de vie.»

 

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Le programme «Pas de retraite pour ma santé » propose, dans ce sens, des journées pour tester des activités, comme la danse, le yoga ou la marche. De quoi déjà se faire du bien, mais aussi de créer du lien, comme en témoigne Christophe Büla : « Une dame de 75 ans nous a dit avoir commencé un groupe de gym et que cela avait complètement changé sa vie ! Elle était en train de se recroqueviller sur elle-même, elle restait toute la journée devant la télévision. Elle a croché avec une dame dans le groupe, a renoué des liens. Ils étaient ensuite toute une équipe à se retrouver régulièrement.»

Un poids pour les autres

Si, à l’image de cette femme, certains trouvent en eux la force de rebondir, pour d’autres, trouver un sens à leur existence est nettement plus délicat. Quand on n’est plus totalement autonomes, on peut vite se sentir inutiles ou, pire, penser qu’on est une charge pour les autres. Surtout dans une société comme la nôtre qui a plutôt tendance à stigmatiser les aînés: « On entend beaucoup, dans les discours, notamment ceux des politiques, que les personnes âgées coûtent trop cher. On s’en tient uniquement aux questions économiques, comme une priorité. On les fait culpabiliser. Elles se sentent alors inutiles et, pire, elles ont l’impression d’être un fardeau», déplore Jeremy Recab, infirmier en Suisse depuis près de trente ans dans des hôpitaux et des EMS et auteur du livre Quelle dignité pour la fin de vie? (Editions Albin Michel).

Isolement social

Tout comme le racisme ou le sexisme, cette discrimination basée sur des stéréotypes liés à l’âge, aussi appelée «âgisme», n’est pas sans conséquences. Selon un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé, les personnes âgées qui pensent être un fardeau pour les autres perçoivent également leur vie comme ayant moins d’importance. Un sentiment d’inutilité qui risque, entre autres, de les pousser à s’isoler et à ne pas oser, par gêne ou par honte, à se manifester. Une réalité bien connue et entendue par Jean-Marc Richard, animateur radio de l’émission quotidienne La ligne de cœur sur RTS La Première: «Il y a de plus en plus de personnes fragilisées, vulnérables et seules. Des personnes âgées qui n’osent pas l’exprimer, se replient sur elles-mêmes et s’isolent de plus en plus. Ceux qui se retrouvent dans une impossibilité financière et sociale sont généralement peu entourés. Ils ne savent pas vers qui se tourner et n’ont même plus les ressources pour demander de l’aide. Pour moi, c’est à ce niveau-là qu’il y a une très grande solitude.»

Pour l’animateur, «la Suisse a tendance à attendre que celui qui est dans la précarité fasse le premier pas, alors qu’il faudrait que ce soit l’inverse. Lui, il n’ose pas, il a honte et la démarche est compliquée.» Dans cette idée, il existe déjà des associations comme Pro Senectute (lire ci-dessous) qui vont à la rencontre des personnes âgées pour les aider. Il y a aussi des mouvements de retraités qui proposent des programmes avec des activités. Ou encore des projets, comme les quartiers solidaires ou les colocations intergénérationnelles, pour mieux les intégrer. Par ces différents programmes et ces actions, notre société commence donc à se rendre compte qu’il devient urgent d’assurer un soutien et une qualité de vie aux personnes âgées. Surtout quand on sait que, d’ici à 2060, un tiers de la population suisse aura plus de 65 ans. Mais c’est aussi à l’entourage — voisins, amis, connaissances, famille — de rester attentifs. Et, surtout, d’arrêter de penser qu’être vieux signifie forcément être tristes. Car comme le répète Jérôme Fredouille: «On peut vieillir sans être dépressif. Si la vivacité d’esprit est moindre et les performances plus faibles, la créativité n’est pas altérée, ni l’expérience. C’est une vraie richesse. L’existence toute entière peut être une source de plaisir.»

Marie Tschumi

Suicide des aînés: «Il y a un manque criant de prévention»

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Dépression, troubles du sommeil, maladies physiques, douleurs et handicaps, désespoir, isolement social, veuvage … Ces différents facteurs, parfois accumulés, peuvent pousser certaines personnes âgées à se suicider. Selon le dernier rapport sur la prévention du suicide en Suisse (2016), en moyenne, 227 personnes âgées de 70 ans et plus ont mis fin à leurs jours (hors suicides assistés), chaque année entre 2009 et 2013. Soit presque deux fois plus que les adolescents et les jeunes adultes de moins de 30 ans.

 

« Le taux de suicide chez les personnes âgées est plus élevé que chez les jeunes. Les tentatives échouent plus rarement, car elles ont les connaissances et les moyens à disposition (médicaments) », note Dolores Angela Castelli Dransart, professeure à la Haute Ecole fribourgeoise de travail social à Givisiez.

Dans l’ordre des choses?

Malgré cet état de fait qui donne froid dans le dos, on en parle très peu, voire pas du tout. « Cela fait partie des représentations sociales qu’une personne âgée veuille mourir, c’est considéré comme étant dans l’ordre des choses. Il y a une banalisation de la suicidalité, parfois même une discrimination basée sur l’âge. Dans les esprits, c’est plus choquant qu’un jeune se suicide. On porte une appréciation sur la valeur de la vie en fonction de l’âge. »

Par ailleurs, on a tendance à sous-estimer les signes avant-coureurs, et les professionnels ne sont pas au fait. Sans grande surprise, puisque le comportement suicidaire chez les aînés est très peu étudié : « Il y a un manque criant de prévention. Les programmes sont rares. Dans certains pays comme le Japon et le Canada, des campagnes de prévention ont pourtant porté leurs fruits. Mais, chez nous, c’est encore lacunaire. Il faudrait une volonté politique. Et des ressources. »

Oser poser des questions

Reste donc à tout un chacun — soignants, aides à domicile, proches — d’être bien attentifs et de ne jamais sous-estimer certains propos alarmants. « On n’ose pas les questionner, pourtant, il faudrait le faire. Si la personne dit vouloir mourir, demandez-lui si c’est un projet auquel elle réfléchit depuis un moment. Et essayez d’en comprendre les raisons. Demandez-lui comment vous pouvez l’aider. Parfois, des petites choses, comme des visites ou des téléphones plus fréquents, peuvent déjà redonner du sens et soulager la détresse. »

«La personne âgée devrait savoir qu’elle compte pour quelqu’un»

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Assistante sociale dans le canton du Valais, Edwige Perraudin, 55 ans, côtoie et vient en aide aux personnes âgées depuis 30 ans. Par des visites à domicile ou lors de consultations sociales à son bureau, elle leur fournit conseils et soutien. Pour l’assistante sociale, la solitude des aînés survient souvent à la suite de problèmes récurrents, tant financiers que psychiques. Et, quand surgit une maladie, « il y a une plus grande dépendance, le réseau est moindre et la vulnérabilité plus grande. L’univers se rétrécit. La personne peine alors à aller vers les autres ».

 

Face à cette solitude, Edwige Perraudin rappelle que même les petites attentions ont déjà du poids : «De mon côté, si la personne est seule et dans une situation difficile, je lui demande simplement de penser à me téléphoner. Je lui envoie aussi des cartes postales.» Et de poursuivre : «Il faudrait garder un regard ouvert sur la personne âgée, rester attentif à elle, et entretenir un contact avec elle, si minime soit-il. Le but, c’est qu’elle sache qu’elle compte pour quelqu’un. Rien que le petit bonjour du kiosquier a déjà son importance!»

 

Dans certaines familles, les contacts sont parfois plus compliqués et assez tendus, à la suite d’histoires du passé ou même simplement à cause de la distance et du manque de temps. Mais, dans la plupart des cas, «les enfants font déjà beaucoup pour leurs parents. Et c’est surtout la qualité relationnelle qui importe, davantage que la quantité.»

Respecter sa volonté

Les enfants auraient même, d’ailleurs, tendance à s’alarmer presque trop vite. « J’ai connu une dame qui me disait ne pas oser avouer à sa fille qu’elle était tombée. » Car qui dit chute peut vite vouloir dire intervention du CMS ou mise dans une institution. Et donc perte d’indépendance. « Si la personne âgée est capable de discernement, il faudrait toujours respecter sa volonté. Même s’il est parfois difficile de ne pas intervenir ! Je me souviens d’ailleurs d’une dame qui marchait très difficilement. De l’extérieur, cela fendait le cœur et donnait envie d’agir, de prendre des décisions pour mieux l’épauler. Mais elle ne voulait aucune aide. Elle a dû lutter pour rester autonome. Ses enfants l’ont compris et ont toujours respecté sa volonté, malgré les pressions médicales pour la placer.»

 

Alors, bien sûr, dans d’autres cas, si la personne âgée semble confuse, les enfants, l’entourage et même les voisins devraient prendre les choses en main. Et, dans un premier temps, prendre contact avec son médecin traitant. Un réflexe à avoir aussi quand la personne dit ne plus avoir le goût de vivre. «Il ne faut jamais rester seul dans une telle situation.»

Marie Tschumi


Adresses utiles

Si vous vous inquiétez pour un parent ou une connaissance, voici les contacts utiles (liste non exhaustive)

Pour obtenir de l’aide, des conseils ou un suivi :

  • Le médecin traitant dans un premier temps.
  • Pro Senectute: www.prosenectute.ch/fr ou Pro Senectute Suisse: 021 925 70 10.
  • Le Centre médicosocial (CMS) le plus proche de votre domicile.
  • Les associations de proches aidants: la plupart sont répertoriées sur www.info-workcare.ch/fr/adresses.
  • Prise en charge psychiatrique de l’âge avancé: Genève (HUG): 022 305 49 00; Vaud (CHUV): 021 314 52 67.
  • Pars Pas: dans le canton du Valais (027 321 21 21) propose des entretiens et des groupes de soutien pour les personnes endeuillées à la suite d’un suicide.
  • Contre la solitude, les personnes peuvent appeler La main tendue au 143.
  • La ligne de cœur au 021 653 70 70.

Pour les personnes dans le besoin

  • Caritas: Caritas Suisse au 041 419 22 22.
  • Centre social protestant: adresses selon les cantons – Vaud, Neuchâtel, Genève, Berne/Jura – sur www.csp.ch.
  • Pro Senectute: www.prosenectute.ch/fr ou Pro Senectute Suisse: 021 925 70 10.

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