Un champion du monde bien givré

Rien ne refroidit le Valaisan Gaëtan Beysard, 69 ans, double champion du monde de natation en eau glacée. © Sandra Culand
A 69 ans, le Valaisan Gaëtan Beysard, ex-directeur d’EMS, vient de remporter deux titres mondiaux de natation en eau glacée, à Samoëns en Haute-Savoie (F). Plus que tout, il adore nager sous la neige dans une eau proche de 0 degré.
Le thermomètre indique moins 6 C, ce jour-là en Valais. Entouré d’arbres enneigés, le lac du domaine des Îles, près de Sion, légèrement glacé sur ses rives, offre un décor paradisiaque. C’est là où s’entraîne, plusieurs fois par semaine, le Sierrois Gaëtan Beysard (69 ans) que rien ne refroidit. Comme à la plage, relax, il enfile son caleçon de bain et fait quelques brasses dans cette eau où on ne mettrait pas un orteil. Simple routine pour lui.
Mi-janvier, cet ex-directeur d’EMS a remporté deux médailles d’or lors des Mondiaux en eau glacée, chez les 65 à 69 ans, à Samoëns en Haute-Savoie (F), sur 50 mètres et 100 mètres brasse avec, à la clé, deux nouveaux records du monde. «En compétition, l’adrénaline est telle que j’oublie la température», sourit-il. Réunissant 500 athlètes de 41 pays, la compétition s’est déroulée dans un bassin créé dans un lac et délimité par des pontons. L’eau avait 4 degrés. «Pour mériter l’appellation «Ice swimming», elle ne doit pas dépasser les 5 degrés, de 5 à 10, on parle alors «winter swimming.» En finale, Gaëtan a devancé deux Français, deux Sud-Africains et un Polonais. Le doyen de ces Mondiaux avait 82 ans.
Cartons de médailles
Nageur passionné et compétiteur dans l’âme, Gaëtan Beysard dispute également des courses vétérans dites «Masters» dans des piscines traditionnelles. Mais c’est l’eau glacée qu’il préfère et où il est le plus performant. Ses premiers titres mondiaux, il les a remportés à Bled, en Slovénie, en 2020. «Comme l’eau était encore plus froide à 1 degré, j’étais allé me préparer plusieurs fois au lac de Joux (VD) où les températures sont comparables», sourit-il. Quelle est l’ambiance dans ces compétitions? «Très chaleureuse contrairement à l’eau, ironise le champion valaisan. Comme il fait froid, on se change tous dans la même salle, c’est une grande famille. Mais après, plus de cadeau, c’est le meilleur qui gagne. J’aime me fixer des objectifs, c’est ce qui me fait avancer.» Voilà dix-neuf ans que Gaëtan Beysard empile les succès. «Je ne compte plus les cartons de médailles que j’ai chez moi.»
Au-delà des résultats, ce qu’il aime, ce sont les sensations que procure l’eau froide, cette forme de bien-être qu’il ne trouve nulle part ailleurs. «S’y plonger est toujours un défi. Mais, après 30 secondes, une minute, le plaisir prend le dessus. On se sent totalement en lien avec la nature, les éléments. Sécrétant des endorphines, le corps vous évite la douleur. Et c’est encore plus beau quand il neige. On est toujours de bonne humeur en sortant de l’eau. Ça vous booste le moral. Nager en eau froide est le meilleur des anti-dépresseurs, comme je le dis souvent.» Et d’ajouter: «Au bout d’un moment, ça devient addictif. Quand je ne nage pas quelques jours, je ne me sens pas bien. Les morts qu’on retrouve gelés ont, paraît-il, un air béat, comme s’ils étaient partis heureux. Au fond, je rêverais de mourir en eau froide.»
Jamais malade
Quelles précautions faut-il prendre? «Ne jamais nager seul. Et éviter de rester trop longtemps immergé, une minute par degré au-dessus de zéro pas plus, sous peine de risquer l’hypothermie. Ensuite, il faut laisser le corps se réchauffer tranquillement entre 15 et 30 minutes. Et si on tremble aux extrémités, aux mains notamment, rien n’est plus normal, le sang s’est concentré sur les organes essentiels.» Un certificat médical est obligatoire pour toute compétition. «Mon médecin me dit toujours: «Tout va bien, continuez.» «Je ne suis jamais malade.» A-t-il déjà connu des mauvaises expériences, des moments d’effroi dans l’eau? «Non franchement jamais», tranche-t-il.
La natation en eau glacée fait de plus en plus d’adeptes. De six au début, «Les Givrés», le groupe que Gaëtan Beysard a créé, a passé à plus de quarante aujourd’hui qui se retrouvent, en moyenne, quatre fois par semaine aux Îles. «Comme il n’y pas de vestiaire, contrairement aux Bains des Pâquis à Genève, on débarque ici avec nos sacs en plastique et notre thermos de thé et on se change sur place. C’est très spartiate. Dans l’eau, certains papotent, d’autres font quelques brasses, moi, je suis le seul à pratiquer la natation sportive. Mais, après 100, 150 mètres à fond, je reviens vers le groupe pour discuter. La plupart ont plus de 50 ans. C’est très festif, ça rigole. Le 1er janvier, on a mangé la raclette après la baignade et le thé a vite fait place au Fendant.»
Déclic
Fort d’un diplôme de l’Ecole hôtelière de Lausanne, Gaëtan Beysard a géré le marketing des caves Dorsaz, puis dirigé plusieurs EMS à Genève pendant une trentaine d’années. Père de deux trentenaires, il s’occupe aussi régulièrement de ses deux petits-fils de 3 et 1 an. Le goût de la natation lui est venu naturellement. «Comme on n’avait peu de moyens en famille, je passais tous mes étés, toutes mes vacances au lac de Géronde. A 12 ans, j’ai découvert l’existence de la Coupe de Noël à Genève dans le Journal de Sierre et je me suis juré que, un jour, j’y participerai.» Ce rêve, il l’a réalisé pour son cinquantième anniversaire. «Je me suis entraîné au large de Versoix avec Pascale, ma femme, qui m’accompagnait pour vérifier que je ressorte de l’eau. J’ai fini 2e chez les vétérans dès ma première participation. Ça a été un déclic. J’ai ensuite commencé à m’entraîner au Genève Natation. »
Depuis, le Valaisan n’a pas raté une seule édition de cette course qui consiste à nager une centaine de mètres au large du Jardin anglais. «En décembre dernier, j’ai fini 24e sur 352 tous âges confondus.» Disputée dans le même esprit festif que la Course de l’Escalade, la Coupe de Noël comprend deux groupes distincts: les adeptes de la performance et ceux qui nagent déguisés. «En décembre prochain, je disputerai les deux épreuves», promet Gaëtan.
Jolis bonnets
Ses vacances, Gaëtan Beysard a toujours préféré les passer en Bretagne et son océan frisquet plutôt que au bord de la Méditerranée. Avec l’accord de son épouse? «Elle est si frileuse qu’elle ne se baigne pas où qu’on aille. On a chacun nos hobbies, moi c’est l’eau froide et elle, c’est manger avec ses copines et tricoter. Elle me fait d’ailleurs de très jolis bonnets. Dans un couple de retraités, c’est souvent mieux d’avoir des intérêts différents.»
Aux prochains Mondiaux, Gaëtan Beysard passera dans la catégorie des plus de 70 ans. «J’espère bien remporter encore quelques médailles.» Récemment, Joana Ryter, l’une des meilleures triathlètes suisses, établie en Valais, lui a demandé de l’initier à la natation en eau froide. «Comme ça lui fait horreur, elle espère ainsi repousser ses limites.» Nul doute que la championne a trouvé le bon mentor.
Bertrand Monnard