Solitude : un robot pour futur compagnon ?

Un regard plutôt sympa. Reste à savoir si Misty plaira aux utilisateurs qui craignent surtout que
les robots remplacent, à terme, les soignants humains. ©DR
Il s’appelle Misty et il pourrait bientôt devenir un précieux allié dans le quotidien des aînés vivant chez eux. Tel est en tout cas l’objectif des Hôpitaux universitaires de Genève, impliqués dans ce projet.
Avec ses yeux ronds entourés d’un casque de cosmonaute et sa vingtaine de centimètres de haut, Misty pourrait passer pour un jouet. Pourtant, ce robot conçu par la firme américaine Misty Robotics est un concentré de technologies. Développé depuis janvier dans le cadre du projet européen Guardian, il sera destiné aux bénéficiaires des soins à domicile — qui représentent quelque 265 000 personnes parmi les plus de 65 ans, en Suisse.
Le rôle de Misty ?
« Etre les yeux, les oreilles et le canal de communication des soignants et des proches aidants, quand les aînés sont seuls, ainsi qu’un compagnon au quotidien », résume Jessica Rochat, responsable du laboratoire EVALAB aux Hôpitaux universitaires de Genève, qui conçoit et évalue des technologies de santé. Concrètement, ce petit robot enrichira l’environnement des aînés grâce à ses fonctionnalités connectées, comme l’enregistrement de paramètres vitaux quand la personne est seule, des rappels pour la prise de médicaments ou les rendez-vous, des portails pour orienter les proches aidants. « Tout ce qui améliore la qualité de vie peut être envisagé, en veillant, bien sûr, à ne pas tomber dans le piège du gadget », note Pascal Piguet, directeur Santé digitale à l’institution genevoise de maintien à domicile IMAD, qui s’est jointe au projet afin d’amener son expertise.
Un robot très simple à utiliser
« Il importe d’impliquer les futurs utilisateurs à chaque phase du dévelop-pement si l’on veut apporter des solutions adéquates. Misty devra surtout être très simple à utiliser », souligne Jessica Rochat. Mais que pensent les aînés, les soignants et les proches aidants de l’arrivée prochaine de ce robot ? La question a été posée. Résultat, les seniors souhaitent avoir un compagnon social pouvant donner le sentiment d’une présence et renforcer la confiance, sans oublier des modules de rappel. A l’inverse, ils refusent qu’un robot remplace le contact humain et le travail des soignants. « Ce n’est nullement notre objectif », rassure la chercheuse. Pour Pascal Piguet, impossible non plus de l’imaginer : « Même, les tâches apparemment simples effectuées par nos collaborateurs à domicile ont une vraie valeur ajoutée et nécessitent une vision globale de chaque situation, dont un robot ne sera jamais capable. Il s’agit surtout de privilégier le contact humain, auprès de gens parfois très isolés. » Tristan Gratier, directeur de Pro Senectute Vaud, appuie, tout en relevant : « Ce qu’il ne faudrait pas, c’est que, d’ici à vingt, trente ou cinquante ans, il y ait une pression politique et financière pour remplacer les soignants par des robots. »
Empathie
Au-delà de ses tâches concrètes, Misty doit permettre de diminuer le sentiment de solitude et d’augmenter le sentiment de sécurité par sa présence. « Il sera doté d’intelligence artificielle, afin d’adapter ses propositions à la personne, par exemple pour l’alimentation et les exercices. Et, pour qu’il soit apprécié, il faut qu’il soit sympathique, capable de répondre aux émotions de son interlocuteur, d’empathie en quelque sorte », explique Jessica Rochat.
Réaliste ?
Pour David Rudrauf, professeur de psychologie à l’Université de Genève : « Parler aujourd’hui d’em-pathie robotique est souvent un abus de langage un peu marketing. » Exemple ? Pepper, présenté comme « robot avec un cœur », mais qui détecte juste des émotions de base et s’y adapte selon des réactions scriptées. « Au bout d’un moment, vous risquez de comprendre comment ça marche, donc d’être agacé. » Pour créer des robots doués d’une véritable empathie, « il faudra d’abord modéliser l’esprit humain, au moins dans ses grands traits. J’y travaille avec mes collaborateurs. Mais la tâche est encore longue. »
A lire aussi : Des lunettes connectées pour prévenir les chutes
Enjeux éthiques
Les robots modifieront-ils notre rapport à la solitude ? « L’être humain a toujours entretenu une relation anthropomorphe avec ses objets familiers, mais les robots dotés de parole vont nous répondre et même nous interpeller.
Quelle relation aurons-nous avec eux ? Personne n’en sait rien. Mais, avant d’en installer à demeure chez des personnes vulnérables ou en situation de fragilité, il faut poser un cadre éthique et étudier les risques d’un attachement qui prendrait trop de place dans leur vie », recommande le psychiatre Serge Tisseron.
Pas le premier né Reste que Misty ne sera pas le premier né de sa catégorie. On connaît déjà une dizaine de robots d’assistance — comme PaPeRo — ou compagnons, comme le phoque Paro et Zora utilisés dans des EMS. Et six autres sont au stade de la recherche.
Budgeté à 1,7 million d’euros, financé principalement par le programme européen AAL, Guardian réunit dix parte-naires des Pays-Bas, d’Italie et de Suisse — aux côtés d’EVALAB de l’Université de Genève, laboratoire de recherche sur la qualité de vie dirigé par la Professeure Katarzyna Wac. Misty devrait être mis sur le marché dans trois ans. Prix de base environ 2000 francs, mais la stratégie commerciale est encore à l’étude.
Saura-t-il convaincre les utilisateurs ? « Les prestations dans le domaine de la santé devront inévitablement prendre en compte ce genre d’innovation. Et il ne faut pas oublier que les aînés de demain, c’est nous. Comme nous baignons déjà dans les technologies, notre niveau d’acceptation sera plus élevé », estime Pascal Piguet.
Pour la journaliste Véronique Châtel, auteure d’un essai au ton de manifeste, Nous ne voulons pas vieillir seuls ! (Editions Erès, 2020), l’innovation technologique doit aller de pair avec une culture du vieillir en lien.
Quel regard portez-vous sur les technologies axées aînés ?
Qu’elles puissent être un soutien permettant d’améliorer le quotidien des aînés, pourquoi pas. On a vu, par exemple pendant le confinement, que des personnes très âgées s’étaient mises à utiliser l’application WhatsApp pour communiquer avec leurs proches. Mais cette période a aussi montré combien la présence physique humaine était capitale. Quand ils en sont privés, les êtres humains s’étiolent.
Dans votre livre, vous évoquez aussi les habitats connectés…
Beaucoup les envisagent comme une solution d’avenir qui permettra aux individus, même désorientés, de vieillir seuls chez eux. Mais investir dans la domotique et les robots, n’est-ce pas entériner l’idée qu’on va vieillir seul ? Quel sens donne-t-on au vieillir longtemps ? Il serait terrible, pour la condition humaine, que, au prétexte que ces technologies existent, on renonce à se poser ces questions.
Mise-t-on trop sur le développement technologique ?
On vieillit de plus en plus longtemps, c’est donc une source d’inspiration pour les jeunes chercheurs, avec, à la clé, un marché potentiellement rentable. D’autant plus que les services à domicile ont du mal à trouver du financement et que la gériatrie souffre d’un manque de vocations. Il ne s’agit pas de se braquer contre la technologie, mais de veiller à ne pas se laisser séduire uniquement parce que c’est nouveau. Comme si le vernis technologique apportait un côté moins tristounet, plus moderne à la problématique du vieillissement…
Idéalement, quel équilibre verriez-vous ?
En parallèle aux innovations, il faudrait envisager une culture du vieillir en lien, notamment en développant des modèles d’habitats propices aux relations intergénérationnelles. Ce serait cela l’idéal, trouver un mixte.
Priska Hess