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Société

Les proches d'assistés au suicide disent leur désarroi

Marie Tschumi, Journaliste - mer. 01/11/2017 - 00:00
Lors d’un suicide assisté, les proches sont souvent oubliés. Pour les protéger, le député Laurent Kaufmann veut légiférer. Enquête et témoignages.
panneau de sortie exit
Exit, le nom choisi pour une association d'assistance au suicide. © Keystone / Alexandra Wey

«Il y a cette idée que les suicides sont plus traumatisants que les suicides assistés. Mais des complications existent, là aussi, et l’impact sur les proches peut être très important. » Pour mieux les protéger et éviter les risques de dérapage, Laurent Kaufmann, médecin et député neuchâtelois, vient de faire adopter par le Grand Conseil neuchâtelois une initiative cantonale pour que la Confédération puisse légiférer. Même si, par le passé, d’autres ont essayé, comme lui, d’encadrer cette pratique dans la loi, mais en vain, le politicien est aujourd’hui convaincu que les parlementaires doivent se repencher sur ce dossier en prenant en compte les changements de statut d’EXIT.

Deuil post-traumatique

Depuis 2014, en effet, l’association accepte aussi les personnes souffrant de polypathologies invalidantes liées à l’âge et ce même si leurs jours ne sont pas comptés (lire encadré). Or, pour Laurent Kaufmann, ces nouvelles conditions ouvrent la boîte de Pandore et exposent davantage les proches: «L’impact n’est pas le même selon qu’il y ait ou non une situation de fin de vie. Sans cette limite, le deuil peut être plus difficile.» Le député neuchâtelois cite une étude menée en Suisse en 2010 qui a montré que 20 % des proches témoins d’un suicide assisté souffraient d’un stress post-traumatique. Des chiffres qui font réagir le président d’EXIT Suisse romande, Jérôme Sobel. «Le nombre de personnes vivant un deuil pathologique est le même, quelles que soient les circonstances de la mort. Par ailleurs, avec l’aide au suicide, la séparation peut être discutée et le travail de deuil est amorti.»

S’il n’existe, pour l’heure, aucune étude qui permet de trancher clairement la question, d’autres recherches menées en Suisse sur le rôle et les difficultés rencontrées par les proches permettent d’y voir plus clair. A ce propos, Murielle Pott, infirmière et professeure ordinaire à la Haute Ecole de santé du canton de Vaud, relate que, en moyenne, «un tiers des proches n’est pas d’accord avec la mort volontaire, mais finit tout même par accompagner le suicidant. Et, généralement, aucun d’eux ne regrette. Il n’y a ni culpabilité ni reproches.»

En revanche, une telle expérience peut coûter énormément. « Dans le cadre de mes recherches, une femme m’a, par exemple, dit avoir été détruite par le suicide assisté de son mari. » Un témoignage qui rappelle d’ailleurs celui de Jeanne que générations a rencontrée (lire ci-dessous).

Le temps des négociations

Pris au piège dans une situation qu’ils n’ont pas choisie et qu’ils sont finalement obligés d’accepter, les proches doivent parfois faire face à un discours ambigu de la part de la personne malade. «L’ambivalence ressort beaucoup dans toutes les décisions complexes. C’est rarement noir ou blanc», précise Claudia Gamondi, directrice de la Clinique des soins palliatifs de Bellinzone. Cette période n’est dès lors pas évidente à gérer, d’autant plus qu’il y a toujours la perspective que l’autre va peut-être renoncer. Même quand le jour de la mort est fixé. D’ailleurs, là aussi, les proches sont concernés parce qu’ils vont négocier activement avec le suicidant pour savoir quelle date choisir (lire le témoignage de Claude). Parfois jugé trop proche, d’autres fois trop éloigné, trouver le « bon moment » est souvent un exercice difficile. «C’est une négociation très intense et le temps jusqu’au moment de passer à l’acte est extrêmement riche émotionnellement», précise Murielle Pott.

Enfin, un autre obstacle auquel il faut faire face consiste à devoir gérer les différents conflits qui peuvent surgir au sein même de la famille. Pour la chercheuse Murielle Pott, c’est là l’un des vrais problèmes: «Quand la personne dit qu’elle n’en peut plus, elle met dans la confidence une partie seulement de son entourage. Ce qui peut entraîner des conflits avec ceux qui n’ont pas été informés.» Le président d’EXIT Suisse romande Jérôme Sobel rappelle, lui, que son association ne gère pas cet aspect, mais que lui et ses pairs demandent à la personne d’être transparente avec ses proches, sans pour autant imposer quoi que ce soit: «Nous ne sommes pas des assistants sociaux ni des directeurs de conscience. Nous ne pouvons pas interférer dans les dynamiques familiales.»

Malgré tant de complexités et de difficultés, aucune aide officielle n’est prévue aujourd’hui en Suisse pour accompagner et aider les proches, quelque peu laissés à eux-mêmes. Excepté des bénévoles d’EXIT qui, selon leur bon vouloir, rencontrent la famille et prennent des nouvelles après le décès, «c’est très difficile pour eux de pouvoir déposer leur fardeau, trouver du soutien et une vraie écoute», regrette Murielle Pott. Il convient donc de se tourner vers d’autres solutions. Le médecin traitant notamment peut rediriger les proches selon leurs besoins. Les équipes mobiles des soins palliatifs (pour autant qu’ils ont suivi le patient) ont des psychologues à disposition. Enfin, il existe des groupes de parole, dans le cadre de certaines associations comme La Ligue suisse contre le cancer, pour partager son expérience et trouver un appui.

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Une proposition qui provoque une levée de boucliers

 En 2014, EXIT a élargi ses conditions d’accès en admettant également les personnes âgées (dès 75 ans environ) qui ne sont pas en fin de vie, mais qui souffrent de polypathologies. L’année dernière d’ailleurs, sur 216 suicides assistés, 60 personnes, d’une moyenne d’âge de 84 ans, entraient dans cette catégorie. Plus récemment, en juin 2017, EXIT Suisse alémanique a lancé l’idée d’accepter aussi les personnes âgées qui ne souffrent d’aucune pathologie, mais qui en auraient assez de la vie. Encore discutée à l’interne, cette proposition a — on s’en doute bien — provoqué une levée de boucliers. Du côté de la Suisse romande, Jérôme Sobel ne prend pas position, tant que rien n’a été décidé. Mais il tient à préciser : « Quelqu’un qui n’a strictement rien ne va pas nous convaincre de l’aider à mourir. Mais, pour les gens qui sont dans l’hiver de leur vie avec une polypathologie invalidante, c’est autre chose. Nous allons aider les personnes âgées qui sont en souffrance. 

La révolte de Jeanne*, 50 ans

«Avant, j’étais plutôt favorable à EXIT. J’ai travaillé dans le milieu de la santé et vu des gens gavés par des sondes. Ce n’est pas une vie. Dans ces conditions-là, évidemment que j’étais pour. Ma belle-mère, elle, avait un cancer, c’est vrai. Mais elle marchait, conduisait, passait l’aspirateur, faisait sa lessive et fumait ses cigarettes. Elle avait encore des joies.»

 A 90 ans, la belle-mère de Jeanne, disant ne plus supporter la morphine, décide de faire appel à EXIT. Jeanne et son mari sont mis au courant quatre jours avant la date de sa mort. « On est allés la voir une dernière fois, j’étais dans la compassion. De toute façon, elle avait tout décidé. Elle nous a dit que ça allait être bien après, qu’elle allait pouvoir dormir dormir dormir … Mon mari n’a rien exprimé à ce moment-là. Et moi, qu’est-ce que j’allais dire? Je ne pouvais que la suivre, je lui ai simplement dit «au revoir.»

Quelque temps après la mort de sa belle-mère, Jeanne et son mari partent en vacances. Mais rapidement, lui commence à aller très mal: «Il a eu des malaises psychiques graves. Il a eu un décrochement, il est sorti de la réalité. Je pensais qu’on allait s’en sortir, des difficultés, on en avait déjà traversé par le passé. Mais ça ne s’est plus arrêté. J’ai vécu l’enfer.»

Nous étions pris en otages. Si nous avions critiqué son choix, tout le monde aurait été contre nous. Pour Jeanne, le suicide assisté de sa belle-mère est une «violence qu’elle leur a infligé.» Mais pas seulement: «Il y a un chantage, nous étions pris en otages. Si mon mari et moi-même avions critiqué son choix, tout le monde aurait été contre nous. Si quelqu’un veut se suicider, il le fait tout seul. Le suicide ce n’est pas quelque chose que l’on fait en spectacle, comme le Roi-Soleil.»

Selon elle, il est grand temps de mettre des limites : « Il faut tout faire pour que ce genre de cas n’ait pas lieu. Surtout que, de nos jours, on a les moyens de maintenir en vie une personne qui peut encore avoir des joies, être souriante. J’ai un oncle qui est mort en dix jours à l’hôpital. Il refusait de manger. Très vite il n’était plus là. Je ne vois pas en quoi c’est pire. Au contraire ! C’est une glissade, douce, normale.»

A l’inverse, le suicide assisté apparaît aujourd’hui, pour Jeanne, comme une solution, certes à portée de main, mais aux conséquences graves. Surtout pour la famille: «Les proches devraient être informés directement par le médecin et avoir le droit de s’opposer. On minimise l’impact quand il s’agit d’une personne âgée, alors que ce genre de fin fait énormément de mal. Il y a des dégâts monstres. A cause d’EXIT, j’ai perdu ma belle-mère et mon mari.»

*Nom connu de la rédaction

Pour Claude, 63 ans, «une leçon incroyable»

«Mon père m’a demandé instamment de faire appel à EXIT en juillet dernier, à 94 ans. Il était atteint d’un cancer avec métastases et avait depuis quelque temps des pertes d’équilibre. Il perdait sa force.» Face au déclin de son père Pierre, Claude, 63 ans, accepte sa décision de faire recours au suicide assisté. Il va alors en informer les autres membres de la famille: «J’étais le pivot, la plaque tournante. C’était assez spécial et particulier comme situation. Je n’étais pas juge et partie, mais rapporteur. Il y a eu des moments difficiles, ma situation centrale impliquait une certaine responsabilité, mais sa décision faisait autorité.»

Par le passé, Pierre, membre depuis des années, avait déjà fait appel à EXIT à plusieurs reprises avant de se raviser, affirmant aller mieux. Dès lors, ses autres enfants prennent la nouvelle avec scepticisme. Claude, lui, tente plutôt de s’assurer que son père est cette fois-ci convaincu : «Je n’ai pas cherché à le dissuader, et encore moins à le persuader. En revanche, je l’ai mis en situation pour évaluer sa détermination. Quand il buvait un verre d’eau, je lui disais: «Imagine qu’il y ait la potion là-dedans, qu’est-ce que tu ferais ? » Mais Pierre ne change pas d’avis, sa certitude est « inébranlable». Il est même «impatient de partir ». Claude, lui, repousse quelque peu la date : «Il était tellement pressé que j’ai fait « pétouiller » le processus, pour voir si sa détermination était vraiment solide. Mais mon père était prêt.»

Je n’ai pas cherché à le dissuader, et encore moins à le persuader. Le jour J, en août passé, à cinq reprises, l’accompagnante d’EXIT s’assure, vérifie et fait encore confirmer la décision. Claude, lui, est aussi présent. «Pour moi, ce fut une leçon incroyable. Il y avait beaucoup de sérénité en lui, une lucidité stupéfiante.» Quant aux jours qui ont suivi, ils ont été assez difficiles. Mais le contrecoup et le malaise se sont rapidement estompés : «J’ai ressenti un grand vide, mais, après, il faut mettre en place la suite des opérations. Le tourbillon qui a suivi a beaucoup aidé à l’atténuer. Et je suis plutôt quelqu’un de résilient, même si ce n’est pas évident d’accompagner son papa pour son dernier voyage.»
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