Un instituteur dans les vignes

Ferdinand Bétrisey a acheté ses premières parcelles à trente ans. © Corinne Cuendet
Radical, c'est l'adjectif qui peut être utilisé pour qualifier le changement d'orientation qu'a opéré Ferdinand Bétrisey à l'âge de 56 ans. Après une carrière dans l'enseignement, il a réalisé le rêve de sa vie: devenir vigneron.
C'est un homme doux et souriant qui ouvre la porte de la maison pleine de charme qu'il a lui-même rénovée, à Vétroz (VS). Ferdinand Bétrisey est soulagé: alors que le mois de décembre est déjà largement entamé, il a à peine terminé les travaux de sa vigne qui va rester en dormance jusqu'au printemps. Un hectare de parcelles morcelées, situées entre Sierre et Vétroz, dont il s’occupe seul avec une minutie d'orfèvre. Ce petit domaine, c'est le rêve de sa vie. Celui pour lequel il a quitté son métier d'instituteur en 2005, «sans le moindre regret».
Lorsqu'il raconte son enfance à Saint-Léonard, chacun comprend très vite d'où lui viennent ses racines terriennes. Troisième d'une fratrie de huit enfants, dont six filles, il est issu d'un milieu agricole où son père et son grand-père cultivaient la vigne et les arbres fruitiers. «A six ans, comme c'était l'habitude à l'époque, j'allais déjà "en journée". Je faisais les effeuillages, les désherbages chez d'autres agriculteurs. Ces journées duraient dix heures, puis nous rentrions pour donner un coup de main dans les vignes de nos parents. C'était des conditions très astreignantes, c'est vrai, mais je n'en garde que de bons souvenirs...»
Retour aux sources
Ferdinand, que la dureté des tâches n'a pas réussi à dégoûter de la vigne, range son attirance pour ce métier au rayon des projets à reprendre dans le futur et opte pour la profession d'instituteur qu'il pratiquera durant
37 ans. Pendant les vingt premières années, il enseigne au cycle primaire, à des élèves de 8, 9 et 10 ans, puis aux 11–12 ans. «J'ai adoré cette profession, confie-t-il. J'aimais beaucoup enseigner. Mais la société a évolué au fil du temps. Les enfants gardaient leur vivacité et leur intérêt, mais l'attitude de certains parents devenait compliquée à gérer. Je me suis toujours dit que le jour où je me sentirais vieillir dans l'enseignement, j'arrêterais. Au bout de toutes ces années, je ne me suis plus trouvé en adéquation avec ce qui s'y passait.»
Son changement de vie, le professeur l'a anticipé bien longtemps avant de prendre la décision de bifurquer vers un autre univers. Dès l'âge de trente ans, alors qu'il est marié et père de deux garçons, il commence à acheter les parcelles déjà plantées, les choisissant avec soin pour leur terroir, les cépages et leur emplacement. Il aime les vieilles vignes et a toujours vinifié avec son père et son grand-père, pour les besoins de la famille. Remarié en deuxièmes noces avec Adrienne, enseignante elle aussi, il continue à agrandir son domaine pour atteindre un hectare. Jusqu'à ce jour d'automne 2005 où il amorce l'un des tournants les plus importants de son existence: «J'ai pris la décision d'arrêter mon métier. Je savais que je prenais un risque puisque je n'avais pas atteint l'âge de la retraite, mais je sentais que c'était le moment. J'ai commencé à bâtir la cave tout autour de la maison, avec l'aide de deux maçons, puis, petit à petit, j'ai acheté des cuves d'occasion, un pressoir et tout le matériel œnologique nécessaire. C'était un peu juste financièrement, mais je n'avais aucun regret!»
En 2006, le nouveau vigneron vendange pour la première fois dans le but de vinifier les premiers millésimes qui seront présentés à la vente. Lui qui aime les vins structurés, bien charpentés, sans sucre résiduel, propose désormais cinq vins rouges et trois blancs. Très vite, les connaisseurs ont remarqué le travail consciencieux de cet autodidacte rigoureux et raffiné qui a appelé sa cave Arte Vinum. La qualité de ses petite arvine, chardonnay, amigne, syrah, pinot et autre cornalin séduit les palais. Au point que, aujourd'hui, sa réputation est faite, et les quelque 3000 bouteilles qu'il produit chaque année sont presque toutes réservées par ses clients un an à l’avance.
«Je suis un homme heureux»
Sa passion pour la terre et pour son travail, Ferdinand a voulu la transmettre aux élèves d'une classe de Vétroz. «Chaque enfant avait quatre ceps à son nom, dont il avait la charge. Trois ou quatre fois dans l'année, la classe venait s'occuper de sa vigne. L'expérience va malheureusement s'interrompre en raison de la lourdeur des programmes scolaires, mais mon désir de transmission est toujours bien présent.»
Lorsqu'il n'est pas dans sa vigne ou dans sa cave, l'instituteur vigneron part randonner en montagne et fréquente les salles d'exposition avec son épouse. Viscéralement attaché à sa terre, il avoue être un homme heureux. Et sourit en repensant à ses parents qui se doutaient qu'il reviendrait sans doute un jour à ses premières amours: «Maman m'a toujours dit que je suis né avec un cep dans le ventre. Elle n'avait pas vraiment tort!»
Martine Bernier
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