Un dessinateur de BD au secours d’une locomotive « Croco »

   La « Crocodile », dans sa version colorisée actuelle, un héritage fantaisiste des années 90.
©Sandra Culand

Julien Cachemaille s’est mis en tête de sauver le locotracteur de Travys, anciennement Yverdon-Sainte-Croix. Une aventure digne de bandes dessinées pour cet engin fabriqué en 1950 par les employés de la compagnie.

Quand il était petit, Julien Cachemaille était fier de son petit train : des wagons et des motrices emblématiques, dessinés sur du carton, puis découpés avec soin pour jouer avec eux. Aujourd’hui, c’est une locomotive à l’échelle 1 :1, le « tracteur » des cheminots de la ligne reliant Yverdon à Sainte-Croix, que cet illustrateur et dessinateur de BD entend sauver de la casse. Du haut de ses 48 ans, qu’il ne fait pas, cet enfant de la région, vient de créer une association pour conserver un mastodonte de 71 ans, dont la silhouette de 39 tonnes est bien connue sur les lacets pentus du Jura vaudois. 

La particularité de cet engin, unique en son genre, tient d’abord au fait que la Ge 4/4 21 a été construite en 1950 dans et par les ateliers de ce qui était la compagnie Yverdon-Sainte-Croix, avant son intégration au groupe de transport Travys en 2001 : « Les gens du coin ont appelé cette locomotive la « Crocodile », du simple fait de sa forme, précise Julien Cachemaille. Les puristes disent que ce n’est pas une authentique « Crocodile CFF », articulée, comme celle du Gothard. A l’origine, la nôtre était destinée à tirer les convois marchandises, histoire de soulager les automotrices sur cette ligne pentue. Elle présentait également un atout pour le transport des marchandises. » 

 


©Sandra Culand

- La couleur rouge du tracteur des cheminots de l’Yverdon-Sainte-Croix.

- Enfant, Julien Cachemaille s’était fabriqué un modèle réduit en carton qu’il a conservé.

 

 

Tombé dans la marmite

Equipée d’un chasse-neige amovible en 1981, décorée de manière fantaisiste dans les années 90, elle est désormais en sursis. Travys a fait l’acquisition d’un locotracteur tout beau tout neuf, mieux adapté à l’entretien des voies. De plus, cette locomotive est difficilement intégrable au nouveau système de sécurité du réseau ferroviaire. Les pieds sur terre, même s’il n’a pas peur de rêver, Julien Cachemaille comprend très bien la décision de se séparer de la « Crocodile ». Pas une raison pour ne pas tenter de sauver bien plus qu’une locomotive. Dans ses statuts, l’association, déjà forte d’une trentaine de membres, vise en effet à « sauvegarder le patrimoine ferroviaire de la ligne de chemin de fer Yverdon-les-Bains — Sainte-Croix, à le faire connaître au grand public par des publications, des activités et des événements, ainsi qu’à sensibiliser le grand public à l’importance historique et culturelle de cette ligne de chemin de fer. »

Mais d’où vient cette passion de Julien Cachemaille pour les trains ? « Mes premiers dessins étaient des trains, raconte cet illustrateur et bédéiste (voir ses héroïnes Flink&Frida). J’ai grandi entouré par trois gares : Baulmes, Six-Fontaines, Trois-Villes, avec une tante cheffe de gare à Vuiteboeuf, et un oncle qui l’était à Sainte-Croix. J’ai donc des circonstances atténuantes. »

 

 

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« Elle fabrique sa propre électricité »

A propos de « Crocodile », lorsqu’on s’approche de la bête, force est de constater qu’elle est exceptionnelle en tous points : « Construite par les employés, son châssis est composé de matériaux de récupération, comme ces anciens rails servant de poutrelles ! » Julien Cachemaille a raison de s’extasier. La cabine, qui sent bon la limaille, l’ozone et la graisse, a quelque chose de cosy dans son genre industriel : « Regardez ! Voici son frein à récupération unique, installé dans la partie du côté de la descente. Au lieu de perdre l’énergie générée au freinage électrique sous forme de chaleur dans ses résistances, elle pouvait la réinjecter dans le réseau. »

Avec son agenda 2050 zéro carbone, Travys a toutefois fait bon accueil à Julien Cachemaille et à son association. « Le directeur s’est montré ouvert, il trouve notre idée bonne. » Et d’ajouter : « C’est vrai aussi que, pour l’image de la compagnie, cette « Crocodile » est un bel atout. » Ce passionné sait toutefois que la compagnie ne pourra pas éternellement conserver la « Crocodile » sur une voie de garage.

Pour l’heure, elle passe le plus clair de son temps devant la superbe nouvelle halle ferroviaire de la gare de Sainte-Croix. Ce matin, elle a même eu droit à y dormir quelques heures. « On ne peut pas simplement dire qu’on va la mettre dans un hangar. Si on a pour but de la faire fonctionner de nouveau, pas question de la mettre au repos dans une grange pour éviter des risques de pollution.

 


©Sandra Culand
La cabine, la carrosserie et le moindre détail technique de cet engin évoquent l’âge d’or de l’industrie mécanique et électrique. 

 

« Une immense cassure »

Avec son association, Julien Cachemaille a aussitôt reçu bon accueil. Parmi les heureux, un certain Pierre Gavin, fils de Henri Gavin, directeur de l’Yverdon-Sainte-Croix qui fut l’artisan de l’électrification et de la construction du « Tracteur ». « J’ai plus de peine à attirer la presse pour la sortie d’une de mes BD que pour la défense de la « Crocodile ! », s’amuse ce dessinateur de talent qui travaille actuellement, en étroite collaboration avec des spécialistes du Laténium et du canton de Vaud, à une BD de haute volée illustrant le travail des archéologues sur les Lacustres. 

Qu’il porte une casquette de conservateur de patrimoine ou d’illustrateur, Julien Cachemaille carbure à la passion : « Mon but, c’est toujours créer des idées et de l’enthousiasme. Pour ce qui est de la « Crocodile », ce n’est pas dit qu’on puisse la faire rouler, mais au moins conservons-là comme dans un musée. C’est important d’avoir des projets qui font rêver en cette période de transition. Il y a des choses du monde actuel qu’on aime, mais dont nous devrons nous séparer malgré tout pour faire face aux défis environnementaux. Cette locomotive illustre elle-même une période de changement. Elle représentait un progrès et l’électrification correspond à une période où tout le parc à vapeur a été bazardé. Les conducteurs de train ont vécu une immense cassure quand on leur a dit qu’ils seraient désormais des wattman. »

L’avenir dira si la fameuse locomotive du Nord-Vaudois échappera à la ferraille. S’il est vrai que sa consœur automotrice de 1945 vient d’y passer, une voiture de cette rame a eu plus de chance. Julien Cachemaille aime raconter cette anecdote significative de l’attachement des cheminots à leur matériel roulant : « Un employé de Travys, qui ne supportait pas l’idée que cette rame soit ferraillée, a racheté la voiture restaurant, charmante, avec ses sièges en bois, pour la mettre devant son entreprise, aux Fourgs dans le Jura français. »

Julien, père d’un petit garçon de 7 mois, mari d’une chercheuse d’origine brésilienne petite-fille de cheminot, s’est donné deux ans pour faire quelque chose : « Dans le meilleur des cas, ce serait un petit train historique et touristique. »

 

 

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Nicolas Verdan

 

 

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