Licenciée à 59 ans, elle se reconverti dans la gastronomie

© Nicola Pitaro

Congédiée à 59 ans, Antonietta Buoncore aurait pu arrêter là sa vie professionnelle. Mais c’était sans compter sur la fierté de cette maman d’origine calabraise, ses talents de cuisinière et la complicité de ses enfants Giulio et Emanuela, très présente depuis Genève.

A 11 h 30, le restaurant est encore vide, mais sur la dizaine de tables on peut lire Reserviert. Avec sa palissade de bois blanc et le papier peint azur aux murs, l’endroit ressemble à une guinguette de bord de mer; plutôt en Italie, à écouter les nouveaux arrivants. «Come sta la mamma ? Mi fa un cafè per favore?»

 

La mamma, c’est Antonietta Buoncore. Les habitués l’appellent ainsi du nom de son restaurant Da Mamma. Mais pas seulement. Car Antonietta, c’est l’image même de la maman italienne, forte et généreuse, toujours revêtue d’un tablier de cuisine à la maison et éternellement soucieuse de savoir si l’on n’a pas une petite faim!

 

D’ailleurs, c’est exactement ce qu’elle demande à sa fille quand elle franchit la porte. Emanuela travaille et vit à Genève. Aujourd’hui, c’est vendredi, elle a congé alors elle est venue donner un coup de main pour le service de midi et passer le week-end chez sa mère, à Coire. Comme souvent.

 

Le local, sis dans la vieille ville de Coire, est petit. Antonietta va et vient entre la cuisine et la salle les bras chargés d’assiettes, sans la moindre anicroche. Elle s’assoit parfois à certaines tables au moment du café. «J’ai des clients qui sont devenus de véritables amis, ils sont fidèles à ma cuisine. Et pas que des Italiens. Si les gens reviennent, ça veut quand même dire qu’ils sont satisfaits!» constate-t-elle avec beaucoup de fierté. En plat du jour ce vendredi midi, pasta al salmone et un plat végétarien, pasta con carciofi. «La qualité et la fraîcheur à prix modéré, c’est notre devise», déclare Antonietta.

Une bonne passe

A bientôt 62 ans, Antonietta Buoncore est une femme heureuse; sans démonstration exagérée parce que «la vie m’a enseigné que ce qui t’est donné un jour peut être repris très vite». Disons alors qu’elle est dans une bonne passe. Ses deux enfants vont bien, ont de belles situations, sa fille dans le marketing à Genève et son fils dans la banque à Francfort; et surtout elle vient de fêter les deux ans de son restaurant!

 

Da Mamma, c’est son rêve de toujours, devenu réalité un peu par «obligation», raconte Antonietta. «Quand tu as un travail qui te plaît, que tu as l’habitude de le faire, tu ne lâches pas cette sécurité pour des projets précaires. Tu les oublies. Et puis j’ai perdu mon emploi d’aide-soignante, il y a deux ans, à 59 ans; alors il a bien fallu se retrousser les manches et se relever».

 

Attendre la retraite? Inimaginable pour cette femme de tête, venue seule de Calabre à 28 ans chercher une vie meilleure en Suisse, avec deux petits enfants. «La dignité d’avoir un travail est irremplaçable. Mon destin, j’ai toujours voulu l’avoir entre mes mains. Je suis restée très orgueilleuse. Ne plus travailler, je n’y ai même pas pensé!» 

 

Retourner en Italie? «Ma vie est ici, à Coire, désormais.» Restait une seule option, réaliser son rêve, avec le soutien de ses enfants. «Ma volonté était grande, mais les enfants m’ont aidée à surmonter ma peur, car la concurrence est rude à Coire». Et pas seulement. Car dans la famille Buoncore, chacun a son rôle bien défini: «Mon fils s’occupe des finances, ma fille du marketing et moi j’ai mes bras», résume en riant Antonietta.

Retour à l’école

Ensemble, ils décident que son projet passera d’abord par la Sicile; Antonietta retourne à l’école, à Catane, six semaines payées par les enfants. «J’ai toujours cuisiné, pour les amis, à mon travail quand il y avait des apéritifs. Mais en autodidacte. Quand tu cuisines selon ton intuition, une fois ça devient rouge, une fois bleu. C’est bon, mais ce n’est jamais la même chose. Pour proposer des menus de qualité, il me fallait acquérir de vagues notions», explique modestement Antonietta Buoncuore.

Ah les desserts siciliens

Passées ses journées sur les bancs de l’école et ses nuits dans une pâtisserie de renom, elle rentre à Coire un diplôme en poche et la tête pleine de recettes. «Surtout des desserts siciliens, que j’ai toujours aimés, et qui ne souffrent d’aucune concurrence ici.»

 

Et que les clients peuvent déjà manger des yeux en entrant chez Da Mamma: des cannoli siciliani, des arancini, et surtout les paste de mandorla, de petits biscuits à la pâte d’amande devenus en peu de temps LA spécialité d’Antonietta. «Celui qui les goûte est de suite séduit, c’est la fleur de nos yeux». Des biscuits que l’on peut désormais déguster dans le train du Glacier Express, et dans plus d’une quinzaine de points de vente aux Grisons; grâce aussi aux conseils avisés en marketing de sa fille.

Pas de limite

«On fait tout ici, dans la cuisine du restaurant. C’est sûr que ça demande pas mal d’investissements, de nouvelles machines rien que pour empaqueter tous ces biscuits par exemple; et aussi beaucoup d’heures de travail, aux fourneaux et au bureau», explique Antonietta à la tête maintenant d’une véritable petite entreprise de trois personnes. «J’ai toujours eu l’habitude de beaucoup travailler. La différence aujourd’hui, c’est que je suis vraiment satisfaite. Non seulement d’avoir réalisé mon rêve, mais que celui-ci marche bien», avoue-t-elle.

 

Alors pas question pour cette Italienne d’imaginer s’arrêter un jour. «Je resterai dans ma cuisine tant que le Seigneur m’en donnera la force.»

 

Audrey Sommer

 

Antonietta Buoncore raconte son projet:

ET VOUS? Peut-être avez-vous aussi profité de votre retraite pour vous lancer un défi? Si vous souhaitez qu'on en parle, écrivez-nous à defis@generations-plus.ch ou par courrier à Générations Plus, Rue des Fontenailles 16, 1007 Lausanne.

 

0 Commentaire

Pour commenter