La passion de l’apothicaire

Pharmacien à la retraite, le Vaudois Jacques Charnaux a collectionné pendant des décennies les objets historiques liés à sa profession. ©Yves Leresche/DR
La maison de Jacques Charnaux, c’est la caverne d’Ali Baba. Dans le vaste sous-sol, des centaines de trésors parfois surprenants témoignent de l’évolution du métier de pharmacien. Mortiers, étuves, moules à suppositoires, petite presse d’imprimerie pour fabriquer les étiquettes : ces objets, tout comme le millier de flacons multicolores, rappellent que les officines d’antan étaient aussi des fabriques artisanales de médicaments.
Gérant jusqu’en 2020 de la Pharmacie Saint-Laurent à Lausanne, Jacques Charnaux est un collectionneur invétéré depuis ses premières trouvailles, des fioles achetées au marché aux puces de Plainpalais à Genève, à l’époque où il était étudiant en pharmacie. Peut-on parler d’une obsession ? « Mon épouse dirait que oui », s’amuse-t-il. « Certains ramènent des souvenirs de leurs vacances. Moi, je rapporte de vieux flacons ! Je fréquente les brocantes, je regarde ce qui est en vente sur internet. J’ai aussi souvent récupéré des objets du passé lors de la modernisation d’anciennes pharmacies. Certains ont plus de 150 ans. » Jacques s’intéresse également au graphisme d’autrefois et peint des panneaux reproduisant les affiches publicitaires des années 1900, dont certains slogans font sourire aujourd’hui, comme celui vantant un apéritif : « Suze à toute heure » ou « Suze, l’amie de l’estomac ». Autre clin d’œil à un passé révolu, le collectionneur, qui est aussi bricoleur, fabrique des lampes Tiffany qui illuminent toutes les pièces de la maison de couleurs vives. Qui a dit que la retraite était un long fleuve tranquille ?
Les médicaments qui se perdent…
Depuis ses débuts, la profession de pharmacien a beaucoup évolué : « Nous faisions davantage de préparations. Des pommades, des sirops contre la toux ou des gouttes pour les yeux. Actuellement, nous sommes surtout des prestataires de services. Nous ne pratiquons plus seulement la prise de tension, mais aussi les allergotests, les cardiotests, la mesure de la glycémie et, depuis peu, la vaccination. Nous participons à des entretiens entre pharmaciens et médecins, par exemple pour améliorer les prescriptions et éviter la surmédication dans les EMS. Mais, hier comme aujourd’hui, le plus beau côté du métier, c’est le contact humain et le conseil aux clients. » Ce qui ne va pas sans une certaine vigilance : il arrive que des personnes cherchent à se procurer davantage de médicaments.
Un collègue me disait : «C’est bizarre, certains médicaments se perdent plus que d’autres, comme les somnifères ou les tranquillisants. Jamais personne ne vient nous dire qu’il a perdu un médicament contre la constipation ! » Ces médicaments, qui engendrent une dépendance, font aussi l’objet d’un trafic. Certains cherchent à s’en procurer au moyen de fausses ordonnances ou de photocopies, afin de revendre les comprimés à des toxicomanes à un prix exorbitant. Dans le doute, nous appelons les médecins.»
Parce qu’il aime son métier, Jacques Charnaux continue d’effectuer, de temps à autre, des remplacements dans diverses pharmacies du canton. « On manque de pharmaciens. C’était déjà le cas dans ma jeunesse. Quand on terminait ses études un vendredi, on avait une place de travail le lundi suivant. Cette profession reste l’une des rares où l’on ne risque pas de se trouver sur la touche à 50 ou 60 ans. Celui qui le souhaite a la possibilité de continuer à travailler après la retraite. »
Marlyse Tschui