Massimo Lorenzi: la mort et moi

Portrait du rédacteur en chef des Sports à la RTS, Massimo Lorenzi. © Nicolas Zentner

Fils de modestes immigrés italiens à Genève, le journaliste de 61 ans a étudié l’histoire avant d’entamer une carrière remarquée à la RTS. Actuellement chef des Sports, il a notamment présenté le TJ soir et coproduit le magazine culturel Viva.

 

- Comment la mort est-elle entrée dans votre vie?
- Massimo Lorenzi: mon souvenir le plus frappant remonte à l’âge de 10-12 ans. Nous étions en vacances en Italie lorsqu’un grand-oncle très proche est mort. Nous sommes allés à la veillée chez lui et, là, mes parents, croyant bien faire, m’ont emmené dans sa chambre. Le spectacle m’a choqué, j’ai eu une forme d’attaque de panique, il a fallu m’emmener… Ça m’a longtemps marqué. 

- Il ne faut pas montrer les morts aux enfants, alors? 
- Je ne sais pas, je n’ai pas de conseils à donner. Je suppose que ça dépend des cas. Avant cet épisode, j’avais vu le frère de ma mère mort. J’avais 7 ans et ça ne m’avait pas impressionné. Peut-être parce qu’il y avait une vitre sur le cercueil? Quand mon père est décédé, j’ai emmené mon fils aîné le voir, il avait 5-6 ans. Mon père était mort dans mes bras et, pour ma mère aussi, plus tard, j’étais là, à l’hôpital. Elle m’avait dit: «Si je souffre trop, tu sais ce que tu as à faire.» J’ai respecté notre accord à la lettre. J’ai mis ma tête sur son front, on a poussé la morphine, son visage s’est adouci… Ce sont mes souvenirs les plus forts. Mais je n’ai pas de conviction sur la mort. Ça m’arrangerait bien…

- Vous n’êtes pas croyant?
- J’ai une foi chancelante comme la flamme d’une bougie. Je crois, dans le sens que je ne suis pas sûr! J’aime, par exemple, l’idée que nos morts sont avec nous. Un bouddhiste m’a dit: «Ils sont là, dans la pièce, dans les arbres!» Alors, j’essaie de convoquer les amis proches que j’ai récemment perdus, je leur dis: «Fais-moi un signe, s’il te plaît, même petit!» Il ne se passe rien. C’est dommage, c’est quelque chose dont je me nourrirais. 

- Comme cadre RTS, vous avez eu à gérer plusieurs décès dans votre équipe, ces dernières années…
- Trois, à la suite de maladies… des collègues jeunes, 45-55 ans. C’est une énorme secousse dans un collectif. Il faut être délicat. Et encourager le groupe à se tenir chaud à l’âme. Je crois y être arrivé.

J’ai une phrase tatouée à l’intérieur du bras: "Rien ne m’appartient"

- Et à votre mort, vous y pensez?
- Oui. J’espère que ce ne sera ni trop long ni douloureux. Après, qu’ils fassent ce qu’ils veulent. Je ne fantasme pas sur les traces à laisser. Je suis imprégné de l’idée que nous sommes poussière. J’ai une phrase tatouée à l’intérieur du bras: « Rien ne m’appartient.»

- D’où vous vient-elle?
- De mes lectures probablement. Depuis l’adolescence, Camus m’a façonné l’âme. «Le silence assourdissant du monde répond à notre appel.» La condition humaine est proprement absurde.

- Pas de testament?
- Non, mes trois enfants hériteront ainsi que mon ex-femme Delphine, puisque nous sommes séparés, pas divorcés. Ça me va bien. Ce que j’ai fait, c’est dire à Delphine ce que ma mère m’a dit: «En cas de souffrance inutile, tu sais ce que tu as à faire.» Nous avons un bon rapport elle et moi. Là, je viens de me faire opérer de la hanche et j’ai passé deux semaines chez elle en convalescence.  

- Comment voudriez-vous vivre le dernier jour de votre vie?
- Sans savoir que c’est le dernier. Sans agitation. Plus j’avance, plus j’aime le calme, la présence aux choses. En mai, je suis parti seul sur une île grecque. J’ai passé cinq à six heures par jour à regarder la mer. Il m’arrive de passer une soirée entière chez moi sans paroles, sans musique, sans TV…

- La solitude ne vous angoisse pas?
- Vaste sujet! Il y a sept ans, je suis passé de l’appartement familial à cinq personnes au studio solo. Une plongée brutale dans la solitude. J’ai décidé d’apprendre. Je suis en 7e année, ce n’est pas encore le master… 

- C’est un choix inhabituel de la part d’un homme, en plus beau et célèbre…
- Chacun fait comme il veut. Moi, je me suis dit: «II va falloir commencer par là. Une rencontre viendra peut-être. Mais je ne veux pas que ce soit une béquille contre la solitude.» 

Propos recueillis par Anna Lietti

 

0 Commentaire

Pour commenter