Manuelle Pernoud: «Je n’ai aucun narcissisme»

La présentatrice vedette revendique son droit à la discretion Photos: Vincent Calmel
Productrice, journaliste et présentatrice du magazine A Bon Entendeur, Manuelle Pernoud se livre pour générations au jeu de l’interview, un exercice qu’elle connaît bien.
A Bon Entendeur, magazine phare de la RTS, fête cette année ses quarante ans. Plébiscitée par les Romands, cette émission, a trouvé en Manuelle Pernoud une femme qui sait incarner ses valeurs: honnêteté, rigueur, ténacité. Discrète dès lors qu’il s’agit de sa vie privée, qu’elle protège des regards extérieurs, cette journaliste et productrice apparaît en entretien comme à l’antenne : sérieuse et concentrée sur son travail. Aujourd’hui remise d’un bête accident, elle raconte, d’une voix douce, mais ferme, combien elle aime son métier.
Manuelle Pernoud, voilà dix ans que vous produisez A Bon Entendeur, une émission au succès jamais démenti. Quels sont les ingrédients de son succès auprès des téléspectateurs?
A Bon Entendeur parle du quotidien. Et la vie des consommateurs est compliquée : leasings de voitures, contrats avec les opérateurs téléphoniques ou les assurances, les gens tiennent à être informés. De même, ils ont aussi envie de savoir ce qu’ils ont dans leur assiette et ce qu’ils mangent. On nous accuse parfois d’être anxiogènes. Je crois, au contraire, que nous répondons à un réel besoin. Notre succès tient aussi à la qualité de nos reportages et au fait que nous bénéficions d’un plateau qui nous permet de recevoir des invités. En résumé, je dirais que cette émission est à la fois plaisante et pointue, c’est en tout cas ce vers quoi nous tendons, 50 mardis par année.
Dans cette Europe qui se replie sur elle-même, confrontée aux crises économiques et migratoires, les préoccupations des Suisses véhiculées par une émission comme A Bon Entendeur ne sont-elles pas un luxe?
Non, je ne vois pas pourquoi ce serait un luxe. Le monde qui nous entoure est de plus en plus difficile à gérer. Notre luxe, c’est le choix. Nous avons même l’embarras du choix, et ce, qui nous est proposé n’est pas facile à décrypter. Toute bonne décision, tout achat devrait pouvoir se faire en connaissance de cause, c’est mieux ainsi. Et je suis convaincue que l’information est un bien fondamental de la démocratie.
A Bon Entendeur, c’est aussi une certaine attitude face à ce que nous achetons et nous consommons : prudence, attention, réflexion, précaution. Cette émission vous ressemble-t-elle ou avez-vous fini par lui ressembler?
A Bon Entendeur ne me ressemble pas dans la mesure où je me suis coulée dans cette mission, à laquelle j’adhère pleinement. Elle m’a beaucoup appris. Je ne pensais pas que, un jour, je resterais aussi longtemps avec une émission. Dans la vie courante, lorsque je fais mes courses, par exemple, c’est vrai, je ne choisis plus mes denrées alimentaires de la même manière. J’ai une autre attitude vis-à-vis du décryptage des étiquettes. Je m’efforce d’éviter les différents pièges tendus aux consommateurs, et ce n’est pas ce qui manque !
Manuelle Pernoud présentant l'émission Droit de Cité, qu'elle a rejoint en 1998:
Conservez-vous quelques images fortes de la TSR en 1984, quand vous avez été engagée comme stagiaire?
Elle était une fois et demie plus petite. Puis, il y a eu la convergence avec la radio. Le volume de l’entreprise a pris de l’ampleur A l’époque, nous étions dans une espèce de PME. Quitte à paraître cliché, je dirais que nous nous connaissions tous, ou presque. Aujourd’hui, les liens entre les collaborateurs sont plus distendus, et cela s’observe tout particulièrement aussi avec la hiérarchie. C’est un constat. En ce qui me concerne, j’ai toutefois la chance de travailler dans une émission avec une équipe formidable. En affirmant cela, je suis sincère. Cela n’a toutefois pas toujours été le cas dans les émissions pour lesquelles j’ai travaillé. C’est un privilège énorme que je mesure régulièrement.
Vous retrouvez-vous dans la Manuelle Pernoud des années 1980, avec ses rêves et ses ambitions de devenir journaliste?
Les choses se sont faites par rencontres et glissements successifs. J’ai eu la chance de faire beaucoup de choses dans des domaines où je suis compétente. Je ne me verrais pas couvrir l’actualité sportive, par exemple ! Cette entreprise m’a donné l’occasion de mener beaucoup de débats politiques. J’ai tourné cette page sans problème et j’ai l’impression d’avoir emmagasiné bon nombre d’expériences. Je peux désormais en faire bénéficier les stagiaires. L’expérience est source d’assurance. C’est un atout. C’est ce qui me permet, aujourd’hui, de ne pas me laisser impressionner lorsque la pression se fait ressentir.
Quel est le secret de votre maîtrise et de votre constance à l’antenne ? On dirait que le temps n’agit pas sur vous comme sur tout le monde.
Je le prends comme un compliment. Mon secret ? Le travail. Mes collaborateurs(trices) vous le diront: notre émission est préparée avec minutie. Avec Luc Mariot, producteur et journaliste ainsi qu’avec toute notre équipe, nous travaillons d’arrache-pied. Mais cette aisance ne va pas sans contraintes. Je suis, par exemple, la première présentatrice à avoir dû m’absenter pour des raisons d’accident. Nous devons à notre public d’être présents, en bonne forme. Au fond, j’essaie avant tout d’avoir une vie équilibrée, pour moi et ma famille. Cela rejaillit sur le travail. La présentation du Téléjournal, avec des enfants en bas âge, c’était, en revanche, plus difficile à gérer. Je commençais à 8 h 15 et finissais à 20 h. Parfois sans pause.
Un accident? Pardonnez-moi, comme dirait votre collègue Darius Rochebin, mais j’ai entendu dire que vous aviez effectivement fait une mauvaise chute dans les escaliers de la tour de la RTS. Le journalisme est-il un métier à risque ?
Il ne l’est pas physiquement, à moins, bien entendu, d’être sur des terrains de guerre, dans des zones à risque d’enlèvement. Il s’agit d’un accident bête, qui résulte d’une mauvaise habitude, celle d’une femme pressée qui fait trois choses à la fois. J’ai raté une marche, et je me suis blessée au bras gauche, dont l’usage est encore limité. Cela ne m’empêche pas de faire du ski, mais pas et encore moins de travailler. Mon absence a duré un minimum de temps.
Patrick Nussbaum, votre époux, est une personnalité influente au sein de la maison RTS. A la maison, tout court, comment gérez-vous cette proximité de vos carrières ?
Je précise que nous nous sommes connus avant d’être journalistes. On gère très bien la chose. On se comprend quand on parle de ce qui nous arrive. Mais notre travail n’est pas un sujet constant de discussion. Par chance, alors même que nous sommes dans la même entreprise, nous ne sommes pas sous le même toit professionnel. Ce serait plus difficile.
Vos enfants vous regardent-ils encore à la télévision, parce que c’est vous?
Non, non, pas du tout. Je ne suis même pas sûr que mes filles m’aient beaucoup regardé à la télé. Elles ont aujourd’hui 23 et 26 ans. Elle sont moins gênées qu’autrefois de s’entendre dire : « Ah, j’ai vu ta maman hier soir à la télé ! » Elles s’y sont faites.
Sérieuse et pondérée, ne vous a-t-on jamais dit que vous correspondez à un archétype de la femme suisse?
Vraiment (rire) ? Non, franchement, personne ne m’a jamais dit cela. Si je suis sérieuse ? Oui, à l’antenne, avec mon équipe, nous ne produisons pas un spectacle de divertissement. Il y a eu des périodes où le ton d’ABE était plus olé olé ! Mais A Bon Entendeur n’a pas perdu son sérieux pour autant. Quarante ans après la création de cette émission, les entreprises réfléchissent trois fois avant de l’attaquer en justice. Il arrive fréquemment que des entreprises nous demandent des comptes ou nous incendient, c’est arrivé sur Facebook, avec mauvaise foi, nous avons demandé à l’auteur de rectifier. De tels épisodes ne sont pas forcément médiatisés. Notre expérience nous permet de résister à la pression et de répondre correctement à ceux qui nous accusent. Mais la consolidation d’un dossier peut prendre du temps. C’est nécessaire d’avoir les épaules solides.
Berdoz Optic, une PME vaudoise, vous a notamment accusée de «méthodologie partiale» et a saisi ABE en justice.
Oui, et nous avons gagné ! Le tribunal a jugé que nos méthodes d’enquête étaient parfaitement valables. La RTS a produit un communiqué qui a été repris par quelques médias. Mais ce genre d’affaires fait généralement plus de bruit quand l’accusation est lancée que lorsque justice est rendue. Ce n’est d’ailleurs pas la seule bataille que nous ayons gagnée récemment.
Quand vient le temps des vacances, vous sautez dans le premier avion ou vous commencez par prendre du bon temps chez vous?
Je dirais qu’il n’y a pas de règle. Je ne pars pas immédiatement. Je suis une marcheuse en montagne. Je m’y rends pour dérouiller mes jambes et ma tête, en franchissant des cols et en traversant des vallées. Mon mari et moi, nous ne nous lançons actuellement pas dans de longs voyages, du genre partir trois semaines en Australie. Nous sommes plutôt attirés par les séjours courts, et donc pas très lointains.
Etes-vous présente sur les réseaux sociaux?
A titre privé, je n’y suis que très peu présente. Je dois avoir royalement six amis sur Facebook, qui m’amuse. J’y passe un temps très limité. Cela m’intéresse toutefois de jeter un œil à ce que les amis d’amis peuvent poster d’intéressant. Mon attitude envers les réseaux sociaux est le reflet de ce que je suis: très discrète. Vous me verrez rarement à des cocktails. Et, comme on ne me demande pas d’en faire plus, cela me va très bien. Il a fallu un certain temps avant que je ne devienne Madame ABE. Mais dans notre coin de pays, les paparazzi n’existent pas, et c’est mieux ainsi! Je supporterais assez mal de me sentir constamment épiée. Les gens, dans la rue, se contentent de me sourire et rarement de m’aborder.
Quand on tape votre nom sur Google, effectivement, une évidence s’impose. Vous avez beau être chaque semaine à l’antenne, vous n’en êtes pas moins presque invisible.
Il paraît que mon nom ne figure même pas sur Wikipédia. Tant mieux, car je n’ai ainsi pas d’erreurs à corriger ! Je n’ai aucun narcissisme. On me rétorquera que je suis pourtant tout le temps à l’antenne. Certes, mais je n’ai pas besoin de notoriété supplémentaire.
En tant que journaliste, diriez-vous qu’il est plus facile d’interviewer une personne que de l’être vous-même?
Eventuellement, oui. Quoi qu’il en soit, j’observe dans mon travail que, si la personne que vous avez en face de vous n’est pas préparée aux questions, qui plus est dans un domaine aussi pointu que le nôtre, ce peut être stressant d’être interviewé. Et, sur le plateau d’ABE, je demande, de surcroît, des réponses synthétiques. On n’a pas le temps d’intégrer des hésitations ou des discours tautologiques !
Sur le site de la RTS, on trouve une biographie de vous, succincte, avec votre date de naissance, en toutes lettres. Vous est-il difficile de répondre, quand on vous demande votre âge?
Ah non, pas du tout ! J’ai 58 ans, et cela ne m’a jamais dérangé de répondre à cette question.
Texte: Nicolas Verdan
Photos: Vincent Calmel